LE MAHA-BHARATA
POÈME ÉPIQUE.
La reproduction et la traduction nême de cette traduction sont interdites en France et dans les pays étrangers.
Meaux. — Imp. J.Carro.
LE
MAHA-BHARATA
POÈME ÉPIQUE
DE KMSHNA-DWAIPAYANA
PLUS COMMUNÉMENT APPELÉ
G' EST- A-DIRE LE COMPILATEUR ET L ORDONNATEUR DES VÉDAS
Traduit complètement pour la première fois du sanscrit en français
PAR
H1PP0LYTE FAUCHE
Traducteur du Râmâyana, des Œuvres complètes de Kàlidàsa, etc.
Abréviateur du Râmâyana
Chevalier de la Légion-d'honneur.
NEUVIÈME VOLUME
PARIS
FRIEDRICH KLINCKSIECK, LIBRAIRE
Rue de Lille, 11 AUGUSTE DURAND ET PEDONE-LAURIEL, LIBRAIRES
Rue Cujas, 9 ERNEST THORIN, LIHRA1RE
Boulevard Saint-Michel, 58.
1868
"•
1 i 1973
v-7
AVANT-PROPOS
Ce neuvième volume est parvenu à sa fin vers lepoque, que nous avions fixée nous-même, le pre- mier d'août, il y aurait donc peu de chose à dire.
Seulement, victime des chaleurs, jeté dans un état, non de souffrance, mais de faiblesse, atteint d'une disette de pensée, ce qui ne nous est pas ordi- naire, nous avons dû arrêter ce volume après le vingt-deuxième chapitre du Karna, au numéro 892, avant d'atteindre le chiffre 1,036, comme c'était d'abord notre intention.
On a pu en abuser et détourner peut-être dans les dernières feuilles, sur un ouvrage nouveau venu, les heures du travail, qui nous étaient destinées, lorsqu'il en coûtait à notre langueur de crier pour rappeler à nous l'activité égarée de nos typographes.
Interrompu, sans égard, peut-être sans politesse, au milieu de nos promenades au parc du collège de Juilly, nous tournons avec inquiétude nos yeux sur le volume suivant. Comment traduire ce dixième volume, sans promenades? Comment traîner tout un hiver ces frimats à la voix rauque, ces vents plu- vieux, ces journées si courtes, ces soirées si longues, quand on ne les a point fait précéder de quelque
n AV\NT-PROPOS.
exercice déambulatoire? Combien de fois aurions- nous à replier sur elle-même ma petite cour bri- quetée avant qu'elle n'atteignît à ce demi-kilomètre de la grande allée de Juilly?
Mais tout passe, le mal comme le bien. L'en- nuyeuse saison s'est écoulée avec lenteur dans sa ca- rapace endormie, et nous voici revenus au futur printemps. J'ai suivi pas à pas les levers du soleil ; un frais zéphir balance les tiges presque en fleurs des rosiers ; et je me sens heureux d'être accoudé à mon bureau dans un moment où l'astre du jour tient encore sa paupière fermée sous l'horizon, qui vase réveiller. Mais le printemps de 1869 a rendu aux années de 1 797 mes anciennes promenades du Bois des Pères, avec les mêmes conditions que l'année précédente, plus fatigantes, par conséquent plus lourdes encore, plus insupportables qu'elles n'é- taient auparavant.
De Juilly à ce bois, il y a presque une demi-lieue de plaine exposée au soleil. Aller et s'en revenir, c'est donc une lieue à défalquer chaque jour sur le travail de la traduction. Aussi, quand nous avions ar- penté quatre fois cette allée monotone, sans aucun site , sans aucun banc, fût-ce une pierre seulement pour s'asseoir, sans rien qui reposât un instant nos yeux, nous nous en revenions distrait, fatigué, incapable de tout travail pour le reste de la soirée.
D'ailleurs, que va bientôt devenir ce bois?
Dans les mains duquel des trois héritiers Simo- nard le hasard fera-t-il tomber ce lot pour sa ruine ou sa conservation?
AVANT-PROPOS. m
Que vais-je faire? à quoi m'arrêter? je n'en sais absolument rien !
Il est un mot que nous avons mal traduit dans nos premiers volumes, faute de renseignements : Wilson et Bopp n'ont pas cette expression cependant très- usitée : c'est pârshnisârathî. Nous attachant aux ra- cines, nousavions cru voir ici le cocher de l'avant- train etlecocher de derrière, c'était un contre-sens. Depuis Bohtlingk et Roth sont arrivés eux-mêmes à ce mot, et je me suis fait expliquer ce que ces deux érudits laborieux en avaient dit.
Les chars de guerre étaient attelés de quatre cour- siers, les premiers chevaux étaient sous la conduite immédiate du cocher, Sârathi. Les deux autres, qui manœuvraient en avant, étaient sous la surveillance de deux valets de pied, à droite et à gauche, c'é- taient là ce pârshnisârathî (1) ; ce mot, qui, une fois dégagé de ses voiles, n'a plus donné lieu à la moin- dre incertitude.
Une gravure accompagne chaque parva du com- mentaire; ces dessins auraient une grande valeur, s'ils étaient la reproduction d'antiques images, qui nous eussent conservé une exquisse de ce qu'était la société dans l'Inde en ces temps reculés, à une époque presque voisine de la naissance du Mahâ- Bhârata. Mais l'artiste, si j'ose lui donner ce nom, ne paraît pas s'inspirer de la méditation du poème : Deux chevaux seulement sont attelés à ses chars de
(I) Page 170, stance 7,194 et suivante.
iv AVANT-PROPOS.
guerre, sa flèche est le trait ordinaire : où sont les vatsadantas, les oreilles-de-sangliers, les bhin- dîpâlas, les pattiças, les andjalikas, les bouçoundhis, les nakharas et tant d'autres, dont la seule énumé- ration suffirait à remplir toute une page de leur nomenclature inexpliquée? Où voit-on représentée cette arme, qu'on nommait les huit chars attelés de huit taureaux (1) ? Rien qui présente à nos yeux un guerrier armé de pied en cap ; rien qui fasse voir un si grand nombre d'armures offensives, étranges, inouïes, particulières à cette contrée, et tant de raffinnements apportés dans l'art indigne de tuer les hommes.
Un dernier mot avant de finir.
Quand je vois au bas des pages du présent volume tant de notes, où la nécessité m'a forcé de recourir à l'édition de Bombay, je ne puis, certes, m'em- pêcher de regretter mes trois ou quatre premiers volumes, où, trop dévot à mon texte, je cherchais à traduire fidèlement une lettre souvent intraduisible. Mais elles serviront du moins à prouver le désir du mieux, et même le soin, dépourvu de toute ambi- tion, que j'apporte à ce travail, au sommet duquel je suis arrivé enfin ; et maintenant, grâce à Dieu et à vous, mes bienvellants lecteurs, je vais descendre la verdoyante colline !
(1) Page 537, stance 797,
Hippolyte FAUCHE. Juilly, de ma tour, le 8 août 1868.
LE MAHA-BHARATA
POÈME SANSCRIT.
SUITE DU DRONA-PARVA
« Que dit Douryodhana, s'enquit Dhritarâshtra, quand il vit ce guerrier, en qui mes fils, Sandjaya, avaient posé une grande espérance de la victoire, tourner le dos devant Bhîmaséna ? 5,413.
» Comment combattit Bhîma, qui est glorieux de son courage? Ou que lit Karna dans la bataille, après qu'il eut vu, mon ami, Bhîmaséna dans le combat tel qu'un feu flamboyant?» 5,414— 5, 415.
Etant monté sur un autre char, équipé suivant l'art, répondit Sandjaya, Karna de s'avancer une seconde fois vers le Pândouide, comme une mer soulevée par le vent. 5,416.
ix 1
2 LE MAHA-BHARATA.
Dès qu'ils virent l'Adhirathide irrité, tes fils, souverain des hommes, pensèrent que Bhîmaséna était déjà sacrifié dans la bouche de la mort. 5,417.
Ayant tiré le bruit de son arc et fait résonner d'une manière épouvantable ses mains, battues l'une contre l'autre, Râdhéya, fit éclater une pluie de flèches sur le char de Bhîmaséna. 5,418.
Le combat de ces deux guerriers, de l'héroïque fils du Soleil et du magnanime Bhîmaséna, fut de nouveau épou- vantable. 5,419.
En effet, ces deux guerriers aux longs bras, bouillants de colère, se désirant mutuellement la mort, se regar- daient l'un l'autre comme s'ils allaient se brûler des yeux. 5,420.
Avec des regards ù se peignait la fureur, tous deux violents, soupirants comme des serpents, ces héros, dompteurs des ennemis, s' étant approchés, commencèrent à se déchirer. 5,421.
Ils se combattirent mutuellement, irrités comme deux çarabhas, fondant rapides comme deux vautours, remplis d'une ardente colère comme deux tigres. 5,422.
Ensuite, le terrible Bhîma, se rappelant quelles vexa- tions il avait éprouvées au jeu des dés et dans la forêt même, quelle peine il avait subie dans la cité de Virâta,
L'enlèvement de leurs trônes et de leurs riches pier- reries par tes fils, les soucis, dont vous les aviez conti- nuellement abreuvés, toi et tes enfants ; 5,423—5,424.
N'oubliant pas que tu désiras consumer de chagrins l'innocente Rountî avec ses fils, les outrages subis par Krishna de la part d'hommes cruels au milieu de l'assem- blée, 5,425.
DRONA-PARVA. 8
Que Douççàsana l'avait traînée par son abondante che- velure, Bharaticle, et les paroles mordantes, prononcées par Rarna : 5,426.
« Désire qu'on t'unisse avec un autre époux; tes maris ne sont plus ! Tous les Prithides, semblables au sésame d'un eunuque, sont tombés dans le Naraka; » 5,427.
Se souvenant de ces paroles, que les Rourouides ont proférées alors en ta présence, rejeton de Rourou ; se rappelant que tes fils voulaient posséder Rrishnâ, réduite à la qualité d'esclave ; 5,428.
Le langage blessant, que Rarna avait tenu dans l'as- semblée en ta présence sur les fils de Kounti, qui allaient en exil, revêtus de la peau d'une antilope noire ; 5,Z|29.
Que ton fils irrité, l'esprit égaré, placé dans un lieu plane, tandis que les fils de Prithâ étaient posés dans un lieu inégal, en avait sauté de joie et fait d'eux le même cas que d'une poignée d'herbes ; 5, 430.
Pensant à ses peines, en remontant depuis son enfance jusqu'à ce jour, Vrikaudara, le vertueux homicide des ennemis, en devenait comme indifférent à la vie. 5,431.
Alors, faisant vibrer son arc immense, inaffrontable, au dos en or, le tigre des Bharatides s'approcha de Rarna en homme, qui a fait le sacrifice de sa vie. 5,432.
Bhîma couvrit la clarté du soleil avec des rézeaux de flèches lumineuses, aiguisées sur la pierre et lancées sur le char de Rarna. 5,433.
L' Adhirathide en riant mit en pièces rapidement avec ses traits les rézeaux de dards affinés sur la pierre, envoyés par Bhîmaséna. 5,434.
Le fils du cocher aux longs bras, au grand char, à la
h LE MAHA-BHARATA.
vaste force, perça alors Bhîma de neuf grandes flèches acérées. 5,435.
Arrêté comme un éléphant à coups d'aiguillon, Vri- kaudara ému fondit sur l'Adhirathide, en le couvrant de ses traits. 5,436.
Aussitôt que Karna irrité vit l'éminent Pàndouide, doué de légèreté, rapidement accourir, il se porta à sa ren- contre comme un éléphant en rut marche au-devant d'un autre pachyderme en folie. 5,437.
11 remplit de vent sa conque, fille des eaux, égale au bruit de cent tambours, et agita l'armée, comme la mer est soulevée de joie, à l'arrivée de la pleine lune. 5,438.
Dès qu'il vit s'émouvoir toutes ces divisions, grosses de fantassins, de chars, de chevaux et d'éléphants, Bhîma d'attaquer Karna et de l'ensevelir sous des flèches. 5,439.
Karna de mêler ses grands chevaux, de couleur sem- blable à celle des cygnes, aux chevaux du Pàndouide, qui égalaient les ours en couleur, et de le couvrir avec ses traits. 5,440.
Quand l'armée de tes fils eut vu les coursiers noirs comme des ours, et rapides comme le vent mêlés aux coursiers blancs comme les cygnes, elle poussa de toutes parts ses cris de : « Hélas! hélas! » 5,441.
Grâce à ce mélange de noir et de blanc, ces chevaux, non moins légers que Maroute, brillaient, puissant roi, tels que des nuages au milieu du ciel. 5,442.
A l'aspect de Karna et de Vrikaudara furieux, les yeux enflammés de colère, les grands héros des tiens étaient ébranlés d'effroi. 5,443.
Leur champ de bataille était épouvantable ; il ressem-
DRONA-PARVA. 5
blait au royaume d'Yama : la vue en était aussi difficile à soutenir, ô le plus vertueux des Bharatides, que celle de la ville des morts. 5,444.
En voyant le spectacle admirable de cette grande scène (1) , les fameux héros ne pouvaient apercevoir évidemment à qui resterait la victoire dans ce vaste combat. 5,445.
Ils voyaient arrivée près d'eux, sire, la bataille de ces deux guerriers armés de grands astras, et cela par suite de ta mauvaise politique et de celle de ton fils, souverain des hommes. 5,4/16.
Se couvrant mutuellement de traits acérés, ces deux meurtriers des ennemis au courage admirable, voilaient le ciel d'un réseau de flèches. 5,447.
Ces deux illustres héros, qui désiraient se porter la mort l'un à l'autre, se tenaient, admirables à voir, armés de leurs flèches aiguës, comme deux nuées, enceintes de pluies. 5,448.
Ces dompteurs des ennemis, qui se lançaient des flè- ches, dont l'or avait changé la matière, jetèrent la splen- deur au milieu du ciel, seigneur, comme avec de grands météores enflammés. 5,449.
Les flèches aux plumes de vautour, envoyées par ces deux héros, sire, brillaient, telles que dans le ciel, en au- tomne, des files de grues, enivrées de la saison. 5,450.
Quand Krishna et Dhanandjaya virent Bhîmaséna, le dompteur des ennemis, engagé dans une lutte avec le fils du cocher, ils pensèrent que c'était une charge au-dessus de ses forces, mise sur les épaules de Bhîmaséna. 5,451.
(1) Samâdjan signifie ici rangan, dit le commentaire.
6 LE MAHA-BHARATA.
Les éléphants, les guerriers, les chevaux tombèrent, profondément blessés des traits, lancés par les deux rivaux et qui avaient dépassé la portée ordinaire des flèches.
La perte de tes fils, sire, Mahârâdja, se fit p^r des hommes tombants ou tombés et d'autres en grand nombre, dont la vie était exhalée. 5,452 — 5,453.
La terre fut dans un instant couverte, éminent Bhara- tide, de corps inanimés des éléphants, des chevaux et des enfants de Manou. 5,454.
« Je considère la valeur de Bhîmaséna comme au- dessus du prodige, observa le roi Dhritarâshtra, en ce qu'il soutint la bataille contre ce Karna au rapide cou- rage, 5,455.
» Qui est capable d'arrêter ceux, qu'on appelle les vents (1), munis de toutes les armes, et les treize grands Dieux avec les Yakshas, les Asouras et les hommes !
» Comment n'a-t-il point surpassé dans la guerre ce fils de Pândou et de Prithâ, qui semble être le favori de la Fortune ? Raconte-moi cela, Sandjaya. 5,456 — 5,457.
» Comment le combat se déploya-t-il entre ces deux guerriers dans ce jeu des existences? C'est de sa chance, à mon avis, que dépendent la victoire et la défaite.
» Soutenu par le bras de Karna, est-il possible que Douryodhana, mon fils, espère une victoire sur les Pri- thides, qui sont défendus par le Sâttwatide, qui le sont même par Govinda! 5,458 — 5,459.
» Quand j'apprends que Bhîmaséna aux œuvres épou- vantables a pu vaincre Karna dans la bataille, le délire s'empare de moi. 5,460.
(1) Vâyoûktàn, édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 7
» Je pense que les Kourouides succombent par les mauvais conseils donnés à mon fils, et que, certes! Karna au grand arc, Sandjaya, ne sera jamais le vainqueur des Prithides. 5,461.
» Les Pândouides ont vaincu sur le champ de bataille Karna en tous les combats, qu'il a soutenus avec les fils de Pândou. 5,462.
» Les Pândouides sont invincibles, mon fils, aux Dieux mêmes, Indra à leur tête ; mais c'est une vérité, qu'ignore Douryodhana, mon fils insensé. 5,463.
» Lorsque mon fils eut ravi ses trésors au Prithide comme au Dieu des richesses, il ne vit plus le rivage, tel qu'un insensé, qui s'est plongé dans l'ivresse. 5,464.
» Homme à la science cruelle, dès qu'il eut enlevé par sa méchanceté le royaume de ces magnanimes : « Je l'ai conquis! » pensa-t-il ; et de mépriser les Pân- douides. 5,465.
» Insensé et vaincu par l'amour de mon fils, j'ai persé- cuté plus d'une fois les magnanimes fils de Pândou, quoi- qu'ils se tinssent dans le devoir. 5,466.
» L'amour de la paix suivit toujours le fils de Prithâ, Youdhishthira à la vue perçante : « Elle est impossible ! » pensaient mes fils, qui rejetaient son désir. 5,467.
» Quand il eut ramassé dans son cœur ces peines en grand nombre et ces injures, venues de tous les côtés, Bhîma aux longs bras combattit le fils du cocher. 5,468.
» Dis-moi donc, Sandjaya, comment Bhîma et Karna, ces deux plus vaillants guerriers dans un combat, et qui désiraient se porter mutuellement la mort, soutinrent cette bataille. » 5,469.
Écoute circonsianciellement, sire, lui répondit San-
a Lfc] MAHA-BHARATA.
djaya, ce combat singulier de Bhîma et de Karna, tel que, dans un bois, la lutte de deux éléphants, qui dési- rent arriver l'un à la mort de l'autre. 5,470.
Le lils du Soleil irrité, se promenant autour de l'invin- ( ible dompteur des ennemis, Bhîma, plein de colère, sire, le blessa de trente flèches. 5,471.
Vaîkartana de percer, ô le plus vertueux des Bhara- tides, Bhîma avec dix traits, ornementés d'or, à la grande vitesse, à la pointe reluisante. 5,472.
Bhîma, lui décochant trois dards aigus, trancha son arc et fit tomber d'un bhalla son cocher du siège sur la terre. 5,473.
Plein d'un ardent désir pour la mort de Bhîmaséna, le fils du Soleil saisit une lance de fer au manche d'or, ornée d'or et de lapis-lazuli. 5,474.
Dès que Râdhéya eut pris cette longue pique, semblable à l'épieu de la mort, qu'il l'eut dirigée contre lui et levée avec une grande force, 5,475.
Il l'envoya à Bhîmaséna, comme la mort, qui met fin à la vie. Quand Râdhéya eut jeté sa lance de fer, tel que Pourandara sa foudre, 5,476.
Ce vigoureux fils du cocher poussa une vaste clameur. A ce bruit entendu, tes fils ressentirent de la joie. 5,477.
Mais Bhîma de sept dards trancha au milieu du ciel cette pique, lancée par le bras de Karna et qui avait la splendeur du soleil ou du feu. 5,478.
Après qu'il eut coupé cette lance, semblable à un ser- pent déchaîné, vénérable monarque, et qui cherchait, pour ainsi dire, la vie du fils de cocher, 5,479.
Bhîma, sa colère allumée, envoya dans ce combat des flèches, revêtues des plumes du paon, au tranchant fourbi
DRONA-PARVA. 9
sur la pierre, à l'empennure d'or et pareilles au bâton d'Yama. 5, 4 80.
Karna à la grande splendeur, ayant pris un nouvel arc, inaffrontable,audosen or, le banda et décocha des traits.
Mais, de neuf dards aux nœuds inclinés, le fils de Pân- dou trancha ces grandes flèches, roi des hommes, que lui adressait Vasoushéna. 5,481 — 5,482.
Une fois qu'il les eut coupées, Bhîma de pousser un cri, qui semblait un rugissement de lion. Tels que deux taureaux vigoureux, qui mugissent, à peine senties leurs fumées, 5,483.
Comme deux tigres, qui crient l'un contre l'autre à l'occasion d'une chair à dévorer, qui ont l'un de l'autre une honte mutuelle et qui désirent saisir l'un sur l'autre un moment favorable ; 5, 484.
De même que deux grands taureaux se jettent mutuel- lement des regards jaloux au milieu des troupeaux, ou tels que deux gigantesques éléphants s'attaquent récipro- quement avec l'extrémité de leurs défenses ; 5,485.
Ainsi, grand roi, ces deux guerriers, se remplissant de leurs traits décochés, s'avancèrent l'un contre l'autre, se déchirant mutuellement avec leurs averses de flèches ;
Et, les yeux tout grands ouverts de colère, altérant l'un de l'autre toutes les formes sous leurs coups réci- proques. 5,486—5,487.
Riant, s' adressant mainte et mainte fois de mutuelles menaces, tirant le son de leurs conques, ils combattirent l'un contre l'autre. 5,488.
Mais Bhîma de ses flèches lui trancha son arc au poing et plongea dans le séjour d'Yama ses chevaux, couleur de la conque, 5,489.
10 LE MAHA-BHARATA.
Il enleva son cocher au siège du char et l'abattit sur ta terre. Alors le fils du Soleil, Rama de tomber dans une pensée accablante. 5,690.
Couvert de traits, ses chevaux tués, son cocher im- molé, l'esprit égaré par la multitude des flèches, il ne voyait plus ce qu'il avait à faire. 5,49].
Quand le roi Douryodhana vit Karna engagé dans cette voie périlleuse, il donna ses ordres à Dourjaya, comme en tremblant de colère : 5, £92.
u Va, Dourjaya, avant que le Pândouide n'ait dévoré Karna! Hâte-toi de tuer cet eunuque avant qu'il n'ait ravi la force à Karna ! » 5,493.
Aussitôt que ton fils eut ainsi parlé à ton fils, le guer- rier, auquel ces mots étaient adressés, courut, dispersant sur lui ses flèches, contre Bhîmaséna, occupé de son combat. 5,494.
Il harcela Bhîma de neuf traits, ses chevaux de huit, son cocher de six, son drapeau de trois, et le guerrier lui- même pour la seconde fois de sept dards. 5,495.
Mais Vrikaudara de plonger, les membres rompus de ses flèches, Dourjaya dans le séjour d'Yama avec ses chevaux et son cocher. 5,496.
Karna en pleurs, désolé, décrivit un pradakshina autour de ton fils, tombé avec ses riches ornements sur la terre, où il se convulsait comme un serpent. 5,497.
Bhîma souriant, quand il eut réduit sans char son indomptable ennemi, le couvrit de la multitude de ses flèches, comme un çataghni d'aiguillons. 5,498.
Le fléau des ennemis remonta dans un char, et le brise- ment de ses membres par les traits ne lui i;t point aban- donner dans le combat Ventre-de-Loup aux formes irritées.
DRONA-PARVA. 11
Karna, entièrement privé de char et vaincu de nouveau par Bhîma, étant remonté dans un autre char, blessa dans un instant le fils de Pândou. 5,499 —5,500.
Tels que deux grands éléphants, qui s'attaquent mu- tuellement avec l'extrémité de leurs défenses; tels ces deux héros de se blesser réciproquement, se remplissant de traits décochés. 5,501.
Karna de lancer sur Bhîmaséna des multitudes de flèches ; vigoureux, il jeta un cri et le frappa de nouveau dans la poitrine. 5,502.
Bhîma lui rendit en échange dix traits au vol droit, et le perça de nouveau avec une vingtaine de flèches aux nœuds inclinés. 5,503.
Mais Karna, ayant blessé entre les seins Bhîma de neuf dards, perça son drapeau, sire, d'un trait acéré. 5,504.
Il frappa en retour le fils de Prithâ avec soixante-trois flèches, tel qu'un grand éléphant à coups d'aiguillon ou comme un coursier à coups de fouet. 5,505.
Grièvement blessé par l'illustre fils de Pândou, grand roi, le héros, léchant les angles de sa bouche et les yeux rouges de colère, 5,506.
Tel qu'Indra lance sa foudre, envoya à Bhîmaséna pour la mort une ilèche, Mahârâdja, qui fendait tous les corps. 5,507.
Le trait à l'empennure variée, sorti de l'arc du fils de cocher, ayant fendu le fils de Prithâ dans la bataille, entra dans la terre, en déchirant son sein. 5,508.
Sans balancer, Bhîma aux longs bras, les yeux rouges de colère, envoya au fils du cocher une lance pesante, ornée de bracelets d'or, longue de quatre coudées, forte de six tranchants et semblable au tonnerre. De même
12 LE MAHA-BHARATA.
qu'Indra immola de sa foudre les Asouras, ainsi le Bhara- tide irrité fit tomber sa massue sur les quatre chevaux, instruits à bien conduire le char de l'Adhirathide. Après que Bhîma aux longs bras eut tranché avec deux flèches en rasoir, éminent Bharatide, le drapeau de Radhéya, il perça le cocher de ses traits. Aussitôt j abandon- nant son char au drapeau abattu, aux chevaux tués, au cocher privé de vie, l'intraitable Karna se tint, brandis- sant un arc. Nous vîmes en ce moment le courage admi- rable de Râdhéya ; {De la s tance 5,509 à (a sta?ice 5,514.)
Car, tout dénué de char, qu'il fût, ce meilleur des maîtres de chars arrêta l'ennemi ! Dès qu'il vit l'Adhira- thide, le plus vaillant des hommes, sire, privé de son char dans le combat, Douryodhana dit alors ces mots h Dourmoukha : « Voici que Bhîma a réduit le fils de Râclhâ sans char, Dourmoukha. 5,514 — 5,515.
» Donne le secours de ion char à ce grand héros, le plus brave des hommes. » Dourmoukha, à ces paroles de Dou- ryodhana, s'avança d'un pied hâté vers Karna et arrêta Bhîma de ses flèches. Aussitôt qu'il vit Dourmoukha se faire dans ce combat le suivant, attaché au pas du fils de cocher, 5,510—5,517.
Le fils du Vent, léchant les angles de sa bouche, en ressentit de la joie. Après qu'il eut arrêté Karna de ses flèches, 5,518.
Le Pândouide lança rapidement son char sur Dour- moukha, qu'il envoya, grand roi, dans ce combat sanglant, de neuf traits bien supérieurs, au. séjour d'Yama. Monté sur le chariot du vaincu, Dourmoukha immolé, l'Adhira- thide brilla, sire, comme le soleil enflammé. A la vue
DRONA-PARVA. 13
de ce héros étendu mort, arrosé de sang, les membres rompus, Karna, les yeux remplis de larmes, ne se dé- tourna pas un seul instant. Il s'avança au-delà du guerrier sans vie et décrivit autour de lui un pradakshina.
5,519- 5,520—5,521-5,522.
Le héros poussa de longs et brûlants soupirs; il ne trouvait rien qu'il dût faire. Dans cette absence de moyens, sire, Bhimaséna d'envoyer au fils du cocher quatorze nârâtchas, revêtus des plumes du vautour. Quand ces traits, empennés d'or, à la grande vitesse, di- versifiés par l'or, illuminant les dix points de l'horizon, eurent fendu sa cuirasse, Indra des rois, ils burent le sang du fils de cocher, se repaissant de sa vie (1), comme des serpents en courroux, excités par la mort. Ils bril- laient, en se glissant au sein de la terre, (De la stance 5,523 à la stance 5,527.)
Où, à demi-entrés, ils reluisaient irrités, comme de grands reptiles, qui s'introduisent dans leurs cavernes. Râdhéya, sans balancer, le blessa en retour de quatorze nârâtchas plus que terribles, ornementés d'or. Une fois brisé le bras gauche de Bhîmaséna, ces flèches
Terribles entrèrent dans le sein de la terre, comme des oiseaux, qui s'abattent sur le mont Kraâuntcha (2). Ces nârâtchas resplendissaient, en pénétrant dans la terre, 5,527—5,528—5,529.
Tels que les rayons enflammés, qui rentrent dans le soleil parvenu au mont Asta. Blessé dans ce combat par les nârâtchas, qui brisent les articulations, Bhîma 5,530.
Versait des ruisseaux de sang, comme les montagnes
(1) Littéralement : de sang.
(2) KroAuntrhon, texte de Bombay.
U LE MAHA-BHARATA.
répandent l'eau. Vrikaudara blessé perça de trois dards le fils du cocher, et de sept, aussi rapides que le vol de Ga- rouda, le conducteur de son char. Affligé par la vigueur de Bhîina, Karna, plein de trouble, puissant roi,
5,531—5,532.
Abandonna le champ de bataille, et s'enfuit avec ses légers chevaux. Mais Bhîmaséna à la vaste renommée, brandissant son arc, ornementé d'or, se tenait, monté sur son char dans ce combat, comme le feu flamboyant.
5,533 — 5, 534.
« Je pense que le Destin est tout-puissant, observa le i oi Dhritarâshtra : honte soit au courage inutile, puisque l'Adhirathide, malgré ses efforts, n'a point surpassé le fils de Pândou en ce combat! 5,535.
a Karna est capable de vaincre dans une bataille les Prithides, secondés par Govinda ! Je ne vois aucunement dans le monde un combattant égal à Karna! » 5,536.
» Voilà ce que j'ai entendu dire mainte et mainte fois à Douryodhana. « Karna est certainement un héros, plein de vigueur ; son arc est solide ; il a vaincu la fatigue. »
» C'est ainsi que m'a parlé avant la guerre, cocher, l'insensé Douryodhana. « Indra même ne serait pas mon égal dans une guerre, où j'ai Vasoushéna pour compa- gnon. 5,537—5,538.
» Que sont les fils de Pândou sans âme, au courage évanoui, sire? » Qu'est-ce qu'a dit Douryodhana, quand il vit s'enfuir du combat ce Karna vaincu, tel qu'un ser- pent, désarmé de son venin? Hélas! infortuné Dour- moukha ! Il était l'unique, le plus habile des combattants,
5,539 — 5,540.
« Et l'insensé l'a jeté dans son délire, comme une sau-
DRONA-PARVA. 15
terelle, au milieu du feu! Açwatthâman, le roi de Macira, Kripa et Karna réunis ne sont pas capables sans doute, Sandjaya, de rester, le pied ferme, en face de Bhîma. Us connaissent sa vigueur très-épouvantable et pareille à la force d'une myriade de serpents boas; ils savent les travaux cruels de ce héros, qui a la puissance du vent. Pourquoi, connaissant sa force, sa colère, son courage dans la guerre, allumèrent-ils le courroux de ce guerrier aux terribles actions, qui ressemble (1) au trépas, à la mort, à Yama? Mais seul le fils du cocher aux longs bras, Karna, appuyé sur la force de ses bras, sans faire cas de Bhîmaséna, lui a livré bataille ! Nul guerrier n'est capable de surmonter dans un combat ce fils de Pândou, qui a dompté Karna, comme Pourandara a vaincu l'Asoura, ce Bhîma, qui,, occupé à rechercher Dhanandjaya, est entré dans mon ar- mée, après qu'il eut jeté le trouble en Drona! Quel homme attaché à la vie l'affronterait dans un combat? Qui donc oserait, Sandjaya, demeurer, le pied ferme, en face de Bhîma, (De la stance 5.541 à la stance 5,548.)
» Tel qu'un Dânava en présence de Mahéndra, sa foudve levée? Un homme, arrivé à la cité du roi des morts, pourrait encore en revenir ; mais, s'il affronte Bhîma, il n'y a pour lui nul retour! D'une faible énergie, ils se sont jetés dans le feu comme des sauterelles, 5,5/18 — 5,549.
» Ces princes, qui, dans leur délire, ont couru sur Bhîmaséna en colère ! Pour sûr, la vue de Karna vaincu a dû leur rappeler ces paroles, que le terrible Bhîma irrité, promettant la mort à mes fils, prononça dans l'assemblée, aux oreilles des Kourouides. &,550 — 5,551.
(1) Antakaupaman, texte de Bombay.
16 LE MAHA-BHARATA.
» La crainte fit déposer les armes, tournées contre Bhîma, à Douççâsana et son insensé frère, qui, Sandjaya, avait dit tant de fois dans l'assemblée : 5,552.
« Karna, Douççâsana et moi, nous vaincrons les Pân- douides dans le combat ! » Sans doute, Sandjaya, depuis qu'il a vu Karna sans char, vaincu par Bhîma, il se re- proche vivement d'avoir repoussé (1) les propositions de Krishna! Depuis qu'il a vu ses frères, en dépit de leurs cuirasses, abattus sous les coups de Bhîmaséna, mon fils ressent, pour sûr, une bien vive douleur au souvenir de sa faute 1 Qui, attaché à la vie, affronterait comme un en- nemi le Pândouide, 5,553 — 5,554 — 5,555.
» Bhîma irrité, ses armes levées, debout devant lui, tel que la Mort en personne? Il se peut qu'un homme soit délivré, engagé même au milieu de la gueule d'un volcan sous-marin; 5,556.
» Mais on ne saurait le retirer, — c'est mon sentiment, — s'il est entré dans la bouche de Bhîmaséna ! Ni les Piïthides, ni les Pântchâlains, ni Sâtyaki et Kéçava ne savent pas, dans leur colère, ménager leur vie dans le combat» Hélas ! cocher, la vie de mes fils est tombée dans le plus grand danger ! » 5,557—5,558.
Au milieu de ce carnage sévissant des hommes, que tu déplores, lui répondit Sandjaya, c'est toi, il n'y a nul doute, qui es l'auteur de cette destruction du monde.
Tu as fait naître toi-même (2) cette grande inimitié, en suivant la parole de tes fils. Mortel, que tu es appelé, tu n'agis pas, comme ferait un médicament efficace.
5,559—5,560.
(1) PratyAkhyûnût, édition de Bombay.
(2) Swayan, texte plus correct de Bombay.
DRONA-PARVA. 17
Tu as bu de ta pleine volonté, grand roi, le plus indi- geste des poisons : accepte maintenant, ô le plus excellent des hommes, ce fruit entièrement, puisque c'en est le résultat. 5,501.
Mais, comme tu maudis ces guerriers, qui combattent suivant leurs forces, je vais te décrire ici de quelle ma- nière se déroula ce combat. 5,56*2.
Quand tes fils virent Karna vaincu par Bhîmaséna, cinq héros, frères germains, ne purent supporter ce spec- tacle, respectable roi. 5,563.
C'étaient Dourmarshana, Doussaha, Dourmada, Dour- dhara et Djaya, qui, revêtus d'armures diverses, couru- rent à l'encontre du Pândouide. 5,56/i.
Ces guerriers, environnant de tous les côtés Vrikau- dara aux longs bras, couvrirent toutes les plages du ciel avec des flèches comme avec des nuées de sauterelles.
Bhîmaséna accueillit en riant, pour ainsi dire, ces jeunes princes aux formes divines, qui arrivaient tout à coup dans le combat. 5,565—5,566.
Aussitôt qu'il eut vu tes fils, à la rencontre desquels marchait Bhîmaséna, Râdhéya de s'avancer sur ce héi\,s à la grande force. 5,567.
Décochant sur lui des flèches empennées d'or, péné- trantes, aiguisées sur la pierre, Bhima s'approcha du guerrier rapidement et l'arrêta, lui et tes fils. 5,568.
Mais, environnant Karna de tous les côtés, les Kou- rouides firent pleuvoir sur Bhîmaséna des traits aux nœuds inclinés. 5,569.
Bhîma, de vingt-cinq dards, plongea ces pluséminents des hommes aux arcs terribles dans le séjour d'Yama, avec leurs chevaux, avec leurs cochers. 5,570.
ix 2
18 LEMAHA-BHARA^A.
Ornés de fleurs variées, ils tombèrent sans vie de leurs chars avec les cochers, tels que de grands arbres, que le vent a rompus. 5,571.
Nous admirâmes ce merveilleux courage de Bhîmaséna; après qu'il eut arrêté de ses flèches l'Adhirathide, il ravit l'existence à tes fils. 5,572.
Arrêté de tous les côtés par ses traits acérés, le fils du cocher, puissant roi, contemplait Bhîmaséna. 5,573.
Et celui-ci, les yeux rouges de colère, brandissant un grand arc, jetait à chaque instant sur Karna des regards irrités. 5,574.
Quand l'auguste Karna vit tes fils étendus morts, pé- nétré d'un vif sentiment de fureur, il méprisa alors sa vie elle-même. 5,575.
11 pensa que Bhîma n'avait tué dans le combat tes fils sous ses yeux que parce que son âme était souillée d'un péché. 5,576.
Plein d'émotion au souvenir de son ancienne ini- mitié, Bhîmaséna irrité implanta dans Karna ses flèches acérées. 5,577.
Dès que Râdhéya eut percé Bhîma en riant de cinq traits, il le blessa de nouveau avec soixante-dix flèches, empennées d'or, aiguisées sur la pierre. 5,578.
Mais, sans penser aux dards, que lançait Karna, Vri- kaudara de frapper dans le combat le fils de Râdhâ de cent traits aux nœuds inclinés. 5,579.
Il le perça de nouveau de cinq dards acérés dans les membres, et trancha d'un bhalla, vénérable monarque, l'arc du fils de cocher. 5,580.
Karna au cœur intraitable, ayant pris un nouvel arc, couvrit de tous les côtés Bhîmaséna de ses flèches.
DRONA-PARVA. 19
Dès que Bhima eut tué ses chevaux, qu'il eut immolé son cocher, il éclata d'un vaste rire, joyeux d'avoir tiré de lui cette vengeance. 5,581 — 5,582.
Homme éminent, il en trancha l'arc de ses flèches, et l'arme au grand son, au dos en or, tomba, puissant roi, sur la terre. 5,583.
Karna, le fameux héros, descendit de ce char; il saisit une massue, et l'envoya dans la bataille avec colère à Bhîmaséna. 5,584.
Lorsqu'il vit la massue voler à lui rapidement, Vri- kaudara de l'arrêter avec ses flèches, aux yeux de toute l'armée. 5,585.
Ensuite, le courageux Pândouide, d'une main hâtée par le désir de porter la mort au fils du cocher, lui envoya des milliers de traits. 5,586.
Aussitôt qu'il eut arrêté dans ce grand combat les dards avec ses dards, Karna fit tomber sous ses flèches la cuirasse de Bhîmaséna. 5,587.
Il décocha sur lui vingt-cinq kshoudrakas (1) aux regards de tous les guerriers : ce fut comme une chose admirable. 5,588.
Bhîma alors envoya dans sa colère au fils du cocher, vénérable et grand roi, neuf traits aux nœuds inclinés.
Quand ils eurent fendu sa cuirasse et son bras droit, ces dards acérés de pénétrer dans le sein de la terre, comme des serpents dans une fourmillière.
5,589—5,590.
Couvert de ces multitudes de traits, lancés par l'arc de
(1) Ce mot veut dire : petit, exigu. Mais, employé sans aucun substantif, et non plus comme adjectif, c'est probablement le nom d'une espèce de ilèche. Bothlingk et Roth n'en parlent pas.
20 LE MAHA-BHARATA.
Bhîmaséna, Karna, une seconde fois, tourna le dos devant lui. 5,591.
Dès qu'il eut vu le fils du cocher fuyant, à pied, cou- vert des flèches du fils de Rountî, le roi Douryodhana de s'écrier: 5,592.
« Hâtez-vous de courir, pleins de d'ardeur, de toutes parts, vers le char de Râdhéya! » Tes fils, à peine en- tendue cette auguste parole de leur frère, 5,593.
S'avancent, décochant leurs flèches, vers le Pândouide dans le combat : c'étaient Tchitra, Oupalchitra, Tchi- trâksha, Tchâroutchitra, Çarâsana, 5,594.
Tchitrâyoudha et Tchitravarman, tous héros dans la bataille. Sans tarder, l'héroïque Bhîma de frapper chacun de tes fils dans leur course même avec une flèche mortelle. Atteints, ils tombèrent sur la terre, comme des arbres, que le vent a rompus. 5,595 — 5,596.
Quand il vit ces grands héros, tes fils, sire, étendas sans vie, Karna, le visage rempli de larmes, se souvint alors des paroles de Kshattri. 5,597.
11 monta dans un autre char, équipé suivant la règle, et, d'une course hâtée, plein de courage, il s'avança de nouveau contre Bhîmaséna. 5,598.
Lorsqu'ils se furent blessés mutuellement de traits empennés d'or, aiguisés sur la pierre, ils brillèrent comme deux nuages, cousus avec les rayons du soleil.
Au moyen de trente-six bhallas acérés à la splendeur brûlante, Bhîmaséna irrité mit en pièces la cuirasse du fils de cocher. 5,599.-5,600.
L'Adhirathide aux longs bras, éminent Bharatide, blessa le fils de Kountî de cinquante flèches aux nœuds inclinés. 5,601.
DRONA-PARVA. 21
Le corps oint de sandal rouge, arrosé de sang, portant de grandes blessures ouvertes par les traits, ils brillaient, comme le soleil et la lune, élevés sur l'horizon. 5,602.
Avec leurs membres humides de sang, avec leurs cui- rasses fendues par les flèches, Karna et Bhima resplen- dissaient, comme deux serpents déchaînés. 5,603.
Semblables à deux tigres, qui se déchirent mutuelle- ment de leurs dents aiguës, ces deux héros, les tigres des hommes, versaient leurs grêles de flèches, tels que deux nuages, qui répandent la pluie. 5,604t.
De même que deux éléphants, qui se blessent récipro- quement de leurs défenses , ces dompteurs des ennemis brillaient sous les flèches, dont ils se déchiraient les membres. 5,605.
Tirant des sons l'un de l'autre, versant les traits comme la pluie, se faisant mutuellement un jeu de leur adver- saire, les deux plus excellents des hommes à conduire un chariot de guerre, ils décrivaient des cercles avec leurs chars. 5,606.
Semblables à deux taureaux vigoureux, mugissants, au moment qu'ils ont senti leurs fumées, ou tels que deux lions courageux, ces lions des hommes à la vaste force, se jetant l'un à l'autre les regards de leurs yeux rouges de colère, combattaient avec une grande valeur, comme Indra et le Virotchanide. 5,607—5,608.
Ensuite Bhîma de rejeter l'arc, qu'il tenait à ses bras; et Ventre-de-loup resplendit, tel que le nuage, envi- ronné de l'éclair. 5,609.
Rugissant avec le bruit de son arc, versant pour eau le d luge de ses flèches, le grand nuage de Bhîma, puis- sant roi, couvrit la montagne de Karna. 5,610.
22 LE MAHA-BHARATA.
Le Pàndouide Vrikaudara à l'épouvantable courage ré- pandit sur l'Adhirathide un millier de traits, envoyés par son arc. 5,611.
Tes fils contemplèrent la valeur de Bhîma, car il ense- velit Karna sous ses flèches bien empennées, revêtues des plumes du héron. 5,612.
Inspirant la joie dans son combat au Prithide, à l'il- lustre Réçava, à Sâtyaki, aux deux gardes des roues, Bhîma fit la guerre à Karna. 5,613.
Le cœur manqua à tes fils, grand roi, quand ils virent la force des bras, la valeur et la fermeté de ce guerrier, qui avait la conscience de soi-même. 5,61/i.
Dès qu'il eut entendu le bruit de la corde attachée à l'arc de Bhîma, Râdhéya ne put l'endurer, comme un éléphant enivré le bruit d'un éléphant ennemi. 5,615.
S'étant éloigné un instant de la portée des traits, que lançait Bhîmaséna, il vit tes fils, que ce héros avait étendus morts. 5,616.
A ce spectacle, le cœur brisé, contristé, poussant de longs et brûlants soupirs, ô le plus vertueux des hommes, il s'avança de nouveau vers le fils de Pàndou.
Ses yeux rouges de colère, soupirant comme un grand serpent, Karna brillait, décochant ses flèches, comme le soleil, environné de ses rayons. 5,617 — 5,618.
Vrikaudara était couvert des dards, lancés par l'arc de Karna, ô le plus grand des Bharatides, comme de filets des rayons allongés du soleil. 5,619.
Les traits variés, revêtus des plumes du paon, sortis de l'arc de l'Adhirathide, entrèrent de tous les côtés dans le fils de Prithâ, comme des oiseaux dans un arbre, où ils veulent se nicher. 5,620.
DRO.NA-PARVA. 23
Volant çà et là, les flèches, empennées d'or, parties de l'arc de Râdhéya, resplendissaient, comme des cygnes rangés en lignes. 5,621.
Supérieures au drapeau, à l'ombrelle et autres signes de la puissance, on voyait les flèches de Karna prévaloir sur l'arc, le drapeau et tout l'appareil de guerre. 5,622. Remplissant les airs, l'Adhirathide lança des flèches, revêtues de la plume des vautours, dont l'or avait changé la matière et semblables à des oiseaux d'une grande vitesse. 5,623.
Aussitôt qu'il le vit accourir, ayant renoncé à la vie et furieux comme la mort, Ventre-de-Loup s'esquiva de lui et le blessa de neuf flèches. 5,624.
Quoiqu'il vit l'impétuosité insoutenable de Karna et les grandes multitudes de ses flèches, le vigoureux Prithide n'en fut pas même ébranlé. 5,625.
Le fils de Pândou brisa les rézeaux de traits de l'Adhira- thide; ensuite, il blessa Râdhéya avec vingt autres flèches acérées. 5,626.
Tel que le fils du cocher couvrait de ses dards le fils de Prithâ, tel le Pàndouide ensevelissait Karna sous ses traits dans le combat. 5,627.
Quand ils virent le courage de Bhîmaséna dans la guerre, Bharatide, les tiens (1) lui applaudirent et le< Tchâranas en conçurent de la joie. 5,628.
Bhoûriçravas, Kripa, Açwatthâman, le roi du Madra,
(i) Il n'est pas ordinaire de voir un ennemi applaudir au courage d'un ennemi, tandis qu'on voit souvent les Génies Sidd/ias marcher de pair avec les Tchâranas. Cependant nous n'osons de nous-mème proposer à nos lecteurs cette petite correction :
Abhi/anandan tu Sidddstcha sanprahrùhtdstcha Tchâranas.
n LE MAHA-BHARATA.
Djayadratha, Outtamaâudjas, Youdhâmanyou, Sâlyaki, Arjouna et Kéçava; 5,629.
Ces dix grands héros, sire, les meilleurs desKourouides et des Pàndouides, de s'écrier : « Bien ! bien ! » et de jeter soudain un rugissement de guerre. 5,630.
Tandis que ce bruit confus, inspirant l'effroi, roulait encore sous la voûte des deux, le roi Douryodhana dit d'une voix hâtée à tes fils, 5,631.
Aux rois, aux fils de rois et surtout à ses frères ger- mains : « Allez vers Karna; la félicité descende sur vous! et sauvez-le de Vrikaudara, 5,632.
» Avant que les flèches, envoyées par l'arc de Bhîma- séna, n'aient porté la mort à Râdhéya ! Faites donc vos efforts, héros aux grands arcs , pour le salut du fils de cocher. » 5,633.
Au commandement de Douryodhana, sept de ses frères germains, vénérable sire, coururent avec colère, et d'en- vironner Bhîmaséna. 5,634.
S' étant approchés de lui, ils ensevelirent le fils de Kountî sous les pluies de leurs flèches ; tels, dans la sai- son humide , les nuages couvrent une montagne des gouttes de leur eau. 5,635.
Les sept grands héros accablèrent irrités Bhîmaséna, comme sept planètes, sire, oppressent la lune dans la des- truction des choses créées. 5,636.
Soudain, le fils de Kountî et de Pândou serra dans son poiug ferme son arc aux riches ornements ; 5,637.
Et, connaissant l'égalité, dont ils jouissaient parmi les hommes, l'auguste encocha sept flèches et lança avec co- lère sur eux ces traits, semblables aux rayons du soleil.
Se rappelant son ancienne inimitié, grand roi, Bhîma-
DRONA-PARVA. 25
séna bannit, pour ainsi dire, du corps de tes fils les souf- fles de l'existence. 5,638—5,639.
Quand ces traits , empennés d'or, aiguisés sur la pierre, lancés par Bhîmaséna, eurent fendu les Bhara- tides, ils s'envolèrent, fils de Bharata, au milieu des airs. 5.6ZI0.
Dès qu'elles eurent ravi leurs âmes, ces flèches aux or- nements d'or, Mahârâdja , brillèrent, comme des Garou- das, qui se promènent dans les cieux. 5.6M.
Ointes de sang, ornées d'or, les sept flèches rapides (1), ayant bu le sang de tes fils, Indra des rois, volent dans ï atmosphère. 5,6/i2.
Les princes tombent de leur char sur la terre, les corps brisés par les flèches : tels , rompus par un éléphant croulent de grands arbres, crus sur le plateau d'une montagne. 5,6/13.
Çatroundjaya , Çatrousaha, Tchitra , Tchitrâyoudha, Dritha, Tchitraséna et Vikarna : ce sont les sept, qui fu- rent renversés. 5,6Z|Zl.
Le Pândouide Vrikaudara pleura amèrement le sort de tous ces fils de roi, couchés morts, et surtout celui de Vikarna, son ami : 5,6&5.
« J'ai donné en promesse la mort , qui fut apportée à ceux, que je devais immoler; et c'est pour cela que tu fus tué par moi, Vikarna, qui ai conservé ma promesse.
» Cette guerre est un crime ; mais toi, héros, qui trou- vais, avec juste raison, oui! avec juste raison, du plaisir dans notre bien et surtout dans celui du roi Youdlrishtlnra, tu t'es rappelé ton devoir de kshatrya. 5,6/16— 5,6'j7.
(1) Vâdjûgràs. texte de Bombay.
26 LE MAHA-BHARATA.
» Hélas! ce prince à la grande splendeur n'est point ici mon seul chagrin. » Après qu'il les eut immolés, puissant roi, sous les yeux mêmes de Râdhéya, 5,648.
Le fils de Pândou jeta un épouvantable cri de guerre. Cette clameur semblait annoncer par son volume à Dhar- marâdja le combat (J) de ce héros et sa victoire. Aussitôt qu'il eut entendu cette immense vocifération de l'archer Bhîmaséna, 5,6/19—5,650,
Dharmarâdja en ressentit la plus vive satisfaction dans la guerre. Le Pândouide joyeux accueillit avec les con- certs des instruments de musique, grand roi, l'explosion du cri de guerre, que fit éclater son frère. Après que Vri- kaudara eut proclamé son nom , le plus excellent de tous ceux, qui connaissent les armes, s'avança, comblé d'une grande joie, vers le bra lime -guerrier Drona. Il avait ren- versé morts trente-et-un de tes fils , puissante majesté.
5,651—5,652—5,653.
Quand il les vit privés de la vie , Douryodhana se sou- vint alors du langage de Kshattri : « Voici donc arrivé l'eflet de ces paroles bonnes conseillères de Vidoura ! »
S'écria-t-il. Et ce monarque eut beau y penser, il ne trouvait rien à répondre , ni sur le fait que Douççâsana, ton fils à l'esprit dépravé et de peu d'intelligence, associé avec Karna, fit amener la Pântchâlaine dans l'assemblée ; ni sur les paroles outrageantes, que Rarnadans la réunion adressait à Krishna, 5,654 — 5,655 — 5,656.
En face de toi, souverain des hommes , vis-à-vis des iils de Pândou, à tes oreilles, Indra des rois , à celles de tous les Kourouides : 5,657.
(1) Youddham, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 27
« Les fils de Pândou ont succombé, Krishna ; ils sont tombés dans le Naraka et rnel ; choisis un autre époux !» Voilà donc le fruit de ces paroles arrivé ! 5,658.
Il ne trouvait pas d'excuse aux mots : « Huile de sésame, » et autres paroles blessantes , adressées aux Pândouidespar tes fils, excitant leur colère. 5,659.
« Bhîmaséna, le fils de Pândou (1), vomissant (2) le feu de sa colère, qu'il a couvée treize années , marche à l'ex- termination de tes fils. » 5,660.
En jetant ces nombreuses lamentations, Kshattri ne retrouva pas en toi sa tranquillité d'esprit. Mange donc avec ton fils, ô le plus grand des Bharatides, ces prémices du fruit. 5,661.
Toi, vieillard prudent, de qui la vue embrasse le sens et la vraie nature des choses, tu n'as point accompli la parole de tes amis ; c'est le Destin, qui prédomine ici. N'en gémis donc pas , tigre des hommes ; grand est ton manque de politique. Je pense que la perte de tes fils a sa cause elle-même dans ta majesté. 5,662—5,663.
Vikarna est mort, Indra des rois ; il n'est plus, le vigou- reux Tchitraséna, et les plus excellents de ceux, qui sont nés de toi, et les autres grands héros, tes fils ! 5,66/i.
Bhîma d'immoler à la hâte, monarque aux longs bras, tes autres fils, qu'il voit arrivés à la portée de ses yeux. 5,665.
Moi-même, je vis l'armée consumée à cause de toi par les flèches, que le Pândouideet Vrisha décochaient à mil- liers. 5,666.
'1-2) Pândavas..., oudgiranstavan..., texte de Bombay.
28 LE MAHA-BHARATA.
« Mon défaut de politique est grand, surtout ici, cocher, observa le roi Dhritarâshtra. Il est arrivé maintenant , je pense, à l'instant du regret, Sandjaya. 5,667.
« Arrive ce qui doit arriver ! » Telle fut la résolution mise dans mon esprit. Maintenant que dois-je faire ici, Sandjaya? 5,668.
» Comme le carnage, qui se déploya, eut pour cause mon absence de politique , raconte-moi, Sandjaya, cette destruction des héros : je suis tout oreille. » 5,669.
Les vaillants Karna et Bhîma, puissant roi, lui répon- dit Sandjaya, déchargèrent dans ce grand combat des averses de flèches, comme deux nuages versent la pluie.
Des traits, empennés d'or, aiguisés sur la pierre, marqués du nom de Bhîmaséna , volent sur Karna et pé- nétrent dans son corps, brisant, pour ainsi dire, sa vie ;
5,670—5,671.
Et Bhîma fut rempli dans ce combat, par centaines et par milliers, des flèches, que décochait Karna, comme des serpents venimeux. 5,672.
Ces dards, qui volaient de tous les côtés , grand roi , causèrent parmi tes guerriers un ébranlement, semblable à l'agitation de la mer. 5,673.
Les flèches épouvantables, vomies par l'arc de Bhîma et pareilles à des serpents, dompteur des ennemis, frap- paient au milieu de ton armée. 5,67/i.
La terre s'offrait aux yeux, sire, couverte d'éléphants , de chevaux et de leurs cavaliers, étendus sans vie, comme on la voit remplie d'arbres, que le vent a rompus. 5,675.
Transpercés dans la bataille des traits, envoyés par l'arc de Bhîma , tes guerriers fuyaient : « Qu'est-ce que cela?» disaient-ils? 5,676.
DRONA-PARVA. 29
Cette armée, rompue (1) des Kaâuraviens, des Saâuvî- ras et du Sindhou, était chassée par les flèches très-impé- tueuses du Pândouide et de Karna. 5,677.
Blessés pour le plus grand nombre, leurs chevaux tués, leurs éléphants immolés, ces héros, laissant Karna et Bhîma, couraient par tous les points de l'espace. 5,678.
« Sans doute, ce sont les hôtes du ciel eux-mêmes, qui jettent le trouble parmi nous dans l'intérêt du fils de Pri- thâ ; car notre armée est mise à mort par les flèches , qu'elles viennent de Bhîma ou de Karna ! » 5,679.
En parlant ainsi, tes guerriers accablés de crainte , se mettant hors de la portée des flèches, s'y tinrent avec le désir de voir le combat. 5,680.
Un bruit de forme épouvantable, causant la joie des héros, accroissant la peur des gens timides, s'éleva sur le champ de bataille. 5,681.
La terre était couverte d'un fleuve, produit par des ruisseaux de sang, que versaient les chevaux, les élé- phants et les hommes ; elle était jonchée de coursiers, de proboscidiens et de guerriers, d'étendards et de caisses de chars, d'ornements des pachydermes, des chevaux et des chariots, de voitures brisées, de roues et de timons rom- pus, d'arcs b; en retentissants, ornementés d'or, de flèches, empennées de ce riche métal, et de nârâtchas, que lan- çaient par milliers, comme des serpents déchaînés, l'A- dhirathide et le fils de Pândou, de traits barbelés et de le- viers en fer par monceaux, de cimeterres et de haches, de massues, de pilons et de pattiças, dont l'or avait changé la matière, de foudres aux formes diverses, de tridents et
(1) Le commentaire explique le mot par âshiptan.
30 LE MAHA-BHARATA.
de parighas (1). La terre était resplendissante, Bhara- tide, de çataghnîs variés, de colliers et de bracelets d'or, de pendeloques et de tiares, (De la stance 5,682 à la stance 5,687 inclusivement.)
D'armilles brisées et d'anneaux à ceindre les doigts, au- guste roi, d'aigrettes en pierreries, de turbans, de parures en or, 5,688.
De cuirasses, de maniques, de colliers mêmes, de vête- ments, d'ombrelles, d'éventails et de chasse-mouches, disséminés dans leur chute. 0,689.
Le champ de bataille resplendissait d'éléphants, de che- vaux, d'hommes brisés et de flèches diverses, tombées, rompues, ointes de sang, éparses çà et là : ainsi le ciel est parsemé d'étoiles. Les actions de ces deux héros étaient plus qu'humaines, merveilleuses, inconcevables.
5,690—5,691.
Ce spectacle fit naître l'admiration des Siddhas et des Tchâranas ; on marchait en ce combat, comme le feu, ac- compagné du vent, au milieu d'une forêt de bois sec.
Épouvantable était la rencontre de l'Adhirathide et de Bhîma, son émule, avec des chars et des drapeaux renver- sés, des coursiers, des éléphants et des guerriers immo- lés. 5,692-5,693.
Ton armée, souverain des hommes, ressemblait à une masse de nuages ; elle était comme une forêt de roseaux , où sont entrés deux éléphants. 5,69/i.
Cette destruction, que Bhîma et Rarna exerçaient dans la bataille, touchait à son plus haut degré. 5,695.
Après qu'il eut percé Bhîma de trois flèches, grand roi,
(1) 1° Clava ; 2° Pessulus. Ropp.
DRONA-PARVA. 31
Karna fit tomber sur lui des pluies de traits admirables et nombreuses. 5,696.
Le Pândouide Bhîmaséna aux longs bras, frappé par le fils du cocher, n'en fut pas ému plus qu'une montagne rompue. 5,667.
Il blessa grièvement à l'oreille (1) Karna dans la bataille d'un trait barbelé, altéré de sang, acéré, frotté d'huile de sésame.
H abattit sur la terre la pendeloque de Karna, faite d'or, enflammée, d'une grande beauté , comme une étoile, qui se détache du ciel. 5,698—5,699.
Vivement irrité, Vrikaudara en riant frappa le fils du cocher entre les seins d'un autre bhalla. 5,700.
Ensuite Bhîma aux longs bras, d'une main hâtée, lui envoya dans le combat dix nârâtchas , semblables à des serpents déchaînés. 5,701.
Lancés par lui, ces dards entrèrent dans le front de l'Adhirathide, qu'ils avaient brisé, vénérable roi, comme des serpents dans une fourmillière. 5,702.
Le fils du cocher brillait de ces traits, implantés en son front, de même qu'il avait brillé jadis couronné d'un bouquet de fleurs, composé de lapis-lazuli. 5,703.
Profondément blessé par le rapide Pândouide, Karna de s'appuyer sur le timon de son char et de fermer les yeux. 5,70/j.
Mais, au bout d'un instant, revenu à la connaissance, le terrible Karna, tous ses membres humides de sang, fut enflammé d'une bouillante colère. 5,705.
Alors accablé dans le combat par son arc solide, Karna
(1) Jeu de mots, qui rpparatt ici pour la troisième ou la quatrième, foi..
32 LE MAHA-BHARATA.
à la grande impétuosité s'élança avec fureur sur le char de Bhîmaséna. 5,706.
Plein de ressentiment, le vigoureux héros irrité lui en- voya une centaine de flèches, revêtues des plumes du vautour. 5,707.
Sans faire cas de lui dans le combat, sans penser à sa vigueur, le Pândouide lança sur lui de violentes pluies de traits. 5,708.
Karna irrité, grand et terrible roi, frappa de neuf flèches dans la poitrine le Pândouide aux formes courrou- cées. 5,709.
Ces deux tigres des hommes, tels que des tigres aux longues dents, ou comme deux nuages, firent tomber leur averse l'un sur l'autre dans le combat. 5,710.
Ils s'effrayèrent mutuellement par le battement de leurs mains; désirant tirer vengeance des blessures faites, ils s'épouvantèrent dans le combat réciproquement par des multitudes de flèches. Ensuite Bhîma, le puissant homi- cide des héros ennemis, trancha avec un kshourapra l'arc du fils décocher et jeta un cri. Soudain, l'héroïque Adhira- thide, rejetant cette arme coupée, 5,711—5,712 — 5,713.
Saisit un nouvel arc plus impétueux , brisant la charge des cuirasses; * mais Vrikaudara le lui trancha dans la moitié d'un clin d'œil (1) *. Quand il vit détruits sa force et son courage, et rompus en même temps ceux du Sin- dhou, des Saâuvîras et de Kourou; 5,71Zi.
Quand il vit la terre de tous les côtés couverte d'armes, de drapeaux, de cuirasses tombées; quand il vit les chars,
(1) Nous empruntons le vers contenu entre ces deux étoiles à l'édition de Bombay, pour l'enchaînement des idées.
DRONA-PARVA. 33
les éléphants, les chevaux, les hommes privés de la vie,
Les formes de l'Adhirathide se montrèrent enflammées par la colère; et, brandissant un grand arc, ornementé d'or,
Râdhéya lançait à Bhîma, sire, les regards épouvan- tables de ses yeux. Puis, décochant des flèches dans son courroux, le fils du cocher brilla, 5,715—5,716 — 5,717.
Tel qu'en automne le radieux auteur de la lumière, parvenu au milieu du jour. Comme le disque du soleil, sire, épanoui dans ses rayons, 5,718.
Le corps de l'Adhirathide, couvert par des centaines de flèches, était effrayant à voir, soit qu'il prit de ses mains, soit qu'il encochàt ses traits. 5,719.
Entre tirer du carquois et lancer ses dards , on n'apercevait aucun intervalle; son arc toujours mis en cercle était épouvantable et pareil au tchakra du feu.
Karna décochait ses projectiles, souverain de la terre, soit de la main droite, soit de la gauche ; les flèches, sorties de son arc, étaient finement aiguisées, empennées d'or. 5,720—5,721.
11 couvrait les dix points de l'espace et la clarté du soleil. On vit nombre de fois au milieu du ciel et partie de son arc une multitude de flèches, empennées d'or, aux nœuds inclinés. Les traits, qu'envoyait l'arc de l'Adhi- rathide, resplendissaient. 5,722—5,723.
Ils brillaient, tels quedesardées, sire, disposées en files au sein du ciel. Le fils du cocher lança des flèches à la grande vitesse, à la pointe enflammée, ornementées d'or, fourbies sur la pierre et revêtues des plumes du vautour. Ces traits, parés d'or, mis en jeu par la force de l'arc,
Tombaient sans arrêt sur le char de Bhîmaséna. Les dards tout plaqués d'or, envoyés par Karna, comme des ix 3
34 LE MAHA-BHARATA.
nuées de sauterelles, illuminaient par milliers au milieu de l'atmosphère. Les traits, sortis de l'arc de l'Adhira- thide, éclairaient en tombant.
Une seule flèche laissait après elle dans l'atmo- sphère une traînée lumineuse, excessivement longue. Tel qu'un nuage couvre une montagne des gouttes de son eau ; 5,724 — 5,725— 5,72*3— 5,727— 5,72S.
Tel Karna irrité ensevelit Bhima sous la pluie de ses flèches. Là, tes fils purent voir avec tous les guerriers la force, l'énergie, le courage et la résolution de Bhîma. Karna était semblable à une mer soulevée ou pareil à un orage de flèches déchaîné. Mais Bhîma, sans y penser, fondit sur le héros avec colère. Le grand arc de Bhîma, souverain des hommes, au dos en or,
5,729—5,730—5,731.
Mis en cercle, quand il décochait le dard, paraissait être un second arc de Çakra. Les traits qui se mani- festaient en-dehors de cette arme, semblaient remplir le ciel. 5,732.
Les flèches aux nœuds inclinés, à l'empennure d'or, que lançait Bhîmaséna, formaient comme un bouquet Ce Heurs en or, qui brillait dans le ciel. 5,733.
Les multitudes de traits, que rencontraient dans les airs les dards envoyés par Bhîma, s'y brisaient aheurtés en plusieurs morceaux. 5,734.
Le ciel était couvert des foules de projectiles, empennés d'or, au vol rapide, à l'attouchement d'étincelles en- flammées, dont Karna et Bhîma se lançaient mutuelle- ment les rézeaux. Alors, ni le soleil ne pouvait luire, ni le vent souffler. 5,735—5,736.
11 n'était rien, qu'il fût possible de distinguer sons ce
DRONA-PARVA. 35
ciel enveloppé d'un rézeau de flèches. Le fils du cocher couvrit Bhîma de ses traits variés. 5,737.
Sans faire cas de sa valeur, il s'approcha de ce magna- nime. Alors que ces deux héros se lançaient des multi- tudes de flèches, vénérable monarque, 5,738.
On voyait ces dards s'attacher l'un à l'autre par la force du vent. Le feu naissait dans l'atmosphère, ô le plus ver- tueux des Bharathides, grâce au contact réciproque des flèches de ces deux hommes-lions. Et Karna irrité en- voya, par le désir de lui donner la mort, des traits aigus, fourbis par l'art de l'ouvrier et dont l'or avait changé la matière. Bhîma anéantit ces flèches au milieu des airs et fît de chacune d'elles trois morceaux.
5,739— 5,740— 5,741.
Bhîma, qui surpassait le fils du cocher, lui cria: « Arrête! » et le Pàndouide vigoureux, irrité, plein de ressentiment, semblable à un feu, qui veut incendier, lui décocha de nouveau les pluies terribles de ses flèches. Ensuite un bruit de cliquetis naquit du battement de leur manique, 5,742 — 5,743.
Auquel se joignirent le fracas immense de leurs paumes entrechoquées, le formidable rugissement de guerre, le grincement de la roue des chars et l'épouvan- table son de la corde des arcs. 5,744.
Brûlants de contempler la bravoure de Karna et du Pàndouide, sire, qui désiraient la mort l'un de l'autre, les guerriers cessèrent de combattre. 5,745.
Les Gandharvas, les Siddhas, les sept rishis et les Dieux applaudirent: « Bien! bien! » disaient-ils; et les chœurs des Vidyâdharas versèrent du ciel une pluie de fleurs. 5,74G.
3(5 LE MAHA-BHARATA.
Plein de colère, Bhîma aux longs bras, au courage inébranlable, ayant arrêté avec ses astras les astras de son rival, blessa de ses traits le fils du cocher. 5,7/i7.
Raina lui-même à la grande force, ayant mis une digue aux flèches de Bhîmaséna, lui expédia en ce combat neuf nârâtchas, semblables à des serpents venimeux. 5,7/iS.
Bhîma de trancher au milieu des airs ces nârâtchas avec un égal nombre de flèches : « Arrête ! arrête ! » cria-t-il au fils du cocher. 5,7&9.
L'héroïque Bhîma aux longs bras lança de colère à l'Adhirathide un trait semblable à la mort et tel qu'un autre bâton d'Yama. 5,7o0.
Mais l'auguste Râdhéya de couper en riant, sire, dans son vol avec trois Hèches le trait du Pândouide. 5,751.
De nouveau, le fils de Pândou jeta sur lui de violentes pluies de flèches, et Karna sans crainte reçut tous les as- tras de son ennemi. 5,752.
Tandis que Bhîma combattait avec la magie de ses as- tras, Karna irrité coupa dans le combat avec des traits aux nœuds inclinés ses deux carquois, la corde de son arc, ses rênes et les attaches de ses coursiers à leur joug. De nouveau, après qu'il eut tué ses chevaux, il blessa decinq dards son cocher. 5,753 — 5,75/i.
Celui-ci se retira en courant et monta sur le char d' You- dhâmaniou. Resplendissant comme le feu de la mort, Râdhéya irrité trancha en riant le drapeau de Bhîma et renversa ses guidons. Le héros aux longs bras, privé même de son arc, saisit une lance de fer; 5,755—5,756.
Et, la dardant avec colère, il l'envoya sur le char de Rarna. L'Adhirathide avec dix flèches trancha cette pique effilée, ornée d'or, qui accourait comme un grand nié-
DRONA-PARVA. 37
téore enflammé. Klle tomba, coupée en dix morceaux par les traits acérés de Karna, ce héros, le fils du cocher, qui lançait des projectiles dans l'intérêt d'un ami. Le fils de Kountî prit un bouclier, ornementé d'or,
5,577—5,578—5,579.
Et un cimeterre, désireux d'obtenir à l'instant même la victoire ou la mort. Soudain Karna souriant mit en piè- ces, fils de Bharata, avec des traits nombreux et plus que terribles son bouclier d'une grande splendeur. Alors, sans bouclier, sans char, le héros, plein de colère, envoya d'une main hâtée, grand roi, son glaive d'une violence extrême sur le char de Karna. La grande épée trancha l'arc et la corde du fils de cocher. 5,760 — 5,761 — 5,762.
Puis, l'arme irritée tomba sur la terre , Indra des rois, comme un serpent descend du ciel. L'Adhirathideen riant saisit avec colère un nouvel arc, impétueux, à la corde solide, destructeur des ennemis dans le combat. Karna, bouillant du désir de tuer le fils de Kountî, étendit avec lui ses flèches lancées par milliers, Mahârâdja, très-lui- santes, empennées d'or. Le vigoureux héros, blessé par les traits, que vomissait l'arc de l'Adhirathide ,
5,763—5,76/1—5,765.
Se mit à marcher dans l'air, portant le trouble au cœur de Karna. Aussitôt qu'il vit dans ce combat la con- duite du héros, qui désirait la victoire, 5,766.
Râdhéya de réduire le volume de ses membres (li et d'éluder Bhîmaséna. Dès que celui-ci le vit assis , les or- ganes des sens troublés, sur le banc de son char, 5,767.
(t) Layam, que le commentaire explique par ongasankautcham, texte de Bombav.
38 LE MAHA-BHARATA.
S' approchant de son drapeau, Bhîma se tint sur le sol de la terre : tous les Kourouides et les Tchâranas applau- dirent à ce fait du héros , qui désirait enlever Karna de son char, comme Garouda enlève un serpent. Le guerrier sans char, à l'arc coupé, gardant son devoir de kshatrya,
5,768—5,769.
Ayant secoué la pensée de son char, se tint de pied ferme pour le combat. Râdhéya lui fit obstacle et s'avança dans ce conflit avec colère vers le Pândouide, placé réso- lument pour la bataille. Les deux éminents hommes à la grande force, luttant à qui mieux mieux, en vinrent aux mains, puissant roi, de même que deux nuages rugissants au terme de l'été : ce fut un combat entre deux hommes- lions, remplis de fureur, 5,770 — 5,771—5,772.
Irrités dans la bataille, comme un Dieu et un Dànava. Mais le fils de Kountî, ses armes brisées, attaqué vive- ment par l'Adhirathide, 5,773.
Ayant vu, couchés morts et semblables a des mon- tagnes, les éléphants immolés par Arjouna, entra pour frapper, quoique sans armes, dans la route de son char.
S' étant approché de la foule des éléphants, entré dans la masse inexpugnable des chars, le Pândouide ne com- battit plus avec le fils de Râdhâ, dont il voulait épargner la vie. 5,774— 5,775.
Désirant se mettre à couvert des traits de son ennemi, le conquérant des cités ennemies, le fils de Prithâ se tint, levant dans ses bras un éléphant, tué par les flèches de Dhanandjaya;tel Hanoûmat portait une montagne, semée des simples les plus efficaces. Mais Karna de ses traits coupa le proboscidien en morceaux. 5,776 — 5,777.
Le fils de Pândou envoya sur Karna les membres de
DRONA-PARVA. 39
l'éléphant. Il ramasse les roues, les chevaux et toute autre chose, qu'il voit étendue sur le sol de la terre, et le Pàndouide les jette avec colère à son rival, qui tranche de ses dards acérés tout ce qui est lancé par lui. Levant son poing, enfant de la foudre et cause de grande épouvante, Bhhna voulait en écraser le fils du cocher ; mais il se sou- vint à l'instant d'Arjouna. 5,778 — 5,779 — 5.780.
Quoiqu'il le pût, le vigoureux fils de Pcândou ne tua point Karna, respectant ia promesse, qu'avait jurée Arjouna. 5,781.
Encore et de nouveau, avec ses traits acérés, le fils du cocher remplit Bhhna de trouble et enveloppa tous ses membres d'égarement. 5,782.
Se souvenant des paroles de Kounti, Karna ne le tua point, quoiqu'il fût sans armes, et, fondant (1) sur lui, il le loucha avec l'extrémité de son arc. 5,783.
Irrité de se voir frappé avec l'arc (2) et soufflant comme un serpent, il brisa son arc et de blesser Karna sur le front. 5,784.
A ce coup de Bhîmaséna, les yeux rouges de colère, Râdhéya de lui adresser en riant ces paroles : 5,785.
'«Encore! encore! Eunuque (3), insensé, homme ti- mide! Ne combats point, toi, qui ne possèdes pas les astras, enfant inhabile aux combats! 5,786.
» Où il s'agit de festoyer, où il faut manger et boire de diverses manières, là, tu es convenable, homme igno- rant; mais, dan.; les batailles, pas du tout! 5,787.
» Tu es accoutumé, par tes vœux et tes pénitences, à
(1) Sa ubhirlroutya, texte de Bombay.
(2) Dhanoushd, même édition.
(3) Toûvara, texte de Bombay.
40 LEMAHA-BHARATA.
faire dans les bois ta nourriture de fleurs, de fruits et de racines ; mais tu n'es pas instruit dans l'art des combats. 5,788.
» Il y a bien de la différence entre les batailles et la vie d'un ascète! Retourne dans les forêts, Viïkaudara! Tu n'as point l'habitude des combats, mon fils ; c'est dans le séjour des bois, qu'est le plaisir de ton altesse. 5,789.
» Fais se hâter en diligence dans ton palais tes servi- teurs, tes cuisiniers, les gens, que tu nourris; tu n'es bon, Vrikaudara, qu'à frapper dans ta colère, excité par l'envie de manger! 5,790.
>. Mais redeviens anachorète ; et va, insensé, recueillir des fruits! Retourne au bois, iils de Kountî; tu n'es pas instruit dans les combats ! 5,791.
» Tu es propre à manger des racines et des fruits, à rendre aux hôtes les honneurs dus; mais je ne crois pas, Ventre-de-Loup, que tu conviennes au maniement des armes. » 5,792.
Il lui lit entendre avec étendue les choses désagréables, qui s'étaient passées dans son enfance, monarque des hommes, et tout ce qu'il y avait de plus blessant. 5,793.
Tandis qu'il restait là, Vrisha le frappa une seconde fois de son arc et ajouta en riant ces nouvelles paroles à Bhîma: 5,79/i.
« 11 faut combattre d'une autre manière, homme res- pectable : ce n'est pas ainsi que l'on combat avec des guerriers tels que moi. Ces armes et d'autres semblables ne se voient pas aux mains des guerriers, qui combattent avec des héros pareils à moi. 5,795.
» Va où sont les deux Krishnas! Ils te défendront au milieu du combat; ou va dans ton palais, fils de
DRONA-PARVA. M
Kountt. Enfant, qu'as-tu besoin de combat? » 5,796. Dès qu'il eut ouï ces paroles plus qu'épouvantables, Bhîmaséna en riant tint ce langage à Karna, aux oreilles de tous les guerriers : 5,797.
« On t'a vaincu plus d'une fois, méchant : pourquoi te glorifier toi-même sans raison? Les hommes des antiques jours ont vu dans ce inonde la victoire et la défaite du grand Indra. 5,798.
» Livre-moi un combat au pugilat, ô toi, qui tires ta naissance d'une mauvaise famille. De même que Kîtchaka à la grande force, à la grande fortune, fut immolé par moi, ainsi je te tuerai sous les yeux de tous les rois! » A peine eut-il connu le sentiment de Bhîmaséna, Karna, le plus excellent des hommes judicieux,
5,799-5,800. Cessa le combat sous les regards de tous les archers. Quand il l'eut ainsi réduit sans char, Karna, sire, de s'en glorifier devant le lion de Vrishni et le magnanime Pri- thide. Alors ce prince, qui a pour son drapeau un singe, envoya, stimulé par Kéçava, ses flèches éclaircies sur la pierreau fils du cocher. Ces traits, ornementés d'or, sortis du Gândiva et lancés par le bras du Prithide, entrèrent dans Karna, comme des cygnes dans te mont Kva-duntchz. Dhanandjaya éc.irta de Bhîmaséna le fils du cocher avec ses flèches lancées par le Gàndîva, entrées dans l'ennemi comme des serpents. Blessé des traits de Dhanandjaya et son arc cassé par Bhima, (De la stance 5,800 à ta siance 5,806.)
Karna, hâtant sa course, s'éloigna sur son grand char de Vrikaudara. Celui-ci même, étant monté sur le char <!<■
42 LE MAHA-BHARATA.
Sâtyaki, suivit, ô le premier des hommes, son frère, l' Ambidextre Pândonirîe au milieu du coml)at. Alors Dhanandjaya d'une main hâtée, ayant visé Karna, lança sur lui, ses yeux rouges de colère, un nàrâtcha, comme Yatna envoie la mort. Tel que Garouda, quand, du haut des airs, il veut enlever le plus grand des serpents,
Le nàrâtcha, lancé par le Gândîva , tomba rapidement sur Karna. Mais, d'une flèche, le Dronide coupa ce nà- râtcha au milieu des airs. 5,806—5,807—5,808—5,809.
Le grand héros s'avança vers Dhanandjaya, désirant arracher Karna de ses mains ; et, brûlant de colère, Ar- jouna de b!esser Açwafthâman de soixante-quatre dards, et de lui crier, grand roi : « N'av;mce pas ! Arrête-toi ! » Le Dronide, en proie aux flèches cl'Arjouna, se réfugia précipitamment au milieu de l'armée , pleine d'éléphants enivrés et regorgeante de chars. Le vigoureux iiis de Kounti surmontait par le rugissement de son Gàndiva le bruit des arcs au dos en or et gazouillants dans la bataille. Dhanandjaya, jetant avec ses flèches la terreur dans l'ar- mée (1), s'approcha à une assez courte distance derrière les pas d'Açwatthâman, qui s'avançait. Quand il eut brisé les corps des hommes, des coursiers et des élé- phants (2), Dhanandjaya mit l'armée en pièces avec ses nârâtchas, revè;us des plumes du paon ou du héron. Re- doublant d'efforts, le fils d'Indra et de Kounti, ô le plus excellent des Bharatides, immola cette armée avec ses guerriers, ses éléphants et ses rapides coursiers. (De la stance 5,840 à la stance 5,817. )
(1-2) Balan.... vàrana..., édition de Bombay.
DRONA-PARVA. A3
« De jour en jour, la flamme de l'espérance s'éteint dans mon cœur, Sandjaya, interrompit Dhritaràshtra. Un grand nombre de mes combattants a succombé sous le fer : c'est l'ordre, je pense, interverti de la mort. 5,817.
» Malgré qu'elle fût défendue par le Dronide et Karna, Dhanandjaya, bouillant de colère, a pénétré dans mon armée, impénétrable aux Dieux eux-mêmes. 5,818.
» Sa valeur indomptable est secondée par Krishna et Bhima aux puissants courages, et par le lion (1) des (unides. 5,719.
» Désormais le chagrin me consume comme le feu brûle une habitation. Je vois dans l'avenir les maîtres de la terre dévorés, pour ainsi dire, avec les Sindhiens.
» Après qu'il a exécuté un immense exploit odieux à K.îriti, comment, tombé sous la portée de ses yeux, le roi du Sindhou obtiendrait-il de continuer la vie?
5,8-20—5,821.
» Je le vois par analogie, Sandjaya ; le Sindhien n'est déjà plus. Mais raconte- moi dans la vérité ce combat, suivant les circonstances. 5,822.
» Comment, après qu'il l'eut agitée et qu'il eut semé le trouble au milieu d'elle, est-il entré seul dans la grande armée, tel qu'un éléphant dans un champ de lotus?
» Dis-moi avec exactitude le combat, que soutint le héros de Vrishni dans la cause de Dhanandjaya; car tu es un habile conteur, Sandjaya. » 5,823 — 5,824.
Dès qu'il eut vu le plus vaillant des hommes, lui ré- pondit Sandjaya, ce fils du Soleil, accablé ainsi dans sa marche contre Bhîma, 1.' plus brave guerrier de; Çi-
(i) Littéralement : le taureau.
àh LE MAHA-BHARATA.
uides, sire, le suivit avec son char au milieu des héros.
Il rugissait comme le Dieu, qui tient la foudre, au terme de l'été ; il brûlait comme le soleil à la fin de la saison humide ; il immolait les ennemis avec son arc so- lide ; il jetait l'ébranlement dans l'armée de ton fils.
5,825—5,826.
Tous les tiens , fils de Bharata, furent incapables d'ar- rêter ce frère aîné de Màdhava, le plus brave sur un champ de bataille, qui s'avançait en criant, avec ses che- vaux, semblables à l'argent. 5,827.
Alambousha, le plus excellent des rois, guerrier, qui ne fuyait pas, accourant, plein de colère, armé d'un arc et revêtu d'une cuirasse d'or, mit obstacle à Sâtyaki, ce frère aîné de Màdhava. 5,828.
La bataille entre ces deux héros fut telh; qu'on n'en vit pas une autre de même nature. Tes guerriers et tous les ennemis contemplèrent ces deux braves, qui brillaient de la beauté même des combats. 5,829.
Alambousha, le meilleur des rois, lui décocha dix traits avec violence ; mais le petit-fils de Çini les trancha de ses dards avant qu'ils ne fussent arrivés. 5,830.
De nouveau, il blessa Sâtyaki d'un arc tiré jusqu'à l'o- reille avec trois flèches acérées, bien empennées et sem- blables au feu. Les traits fendirent sa cuirasse et se plon- gèrent dans son corps. 5,831.
Après qu'il eut déchiré ses membres, il immola ses quatre chevaux, pareils à l'argent , de quatre flèches acérées, flamboyantes, douées de la puissance du vent.
Blessé par lui, l'agile petit-fils de Çini, lui, de qui la puissance égalait celle de Krishna, abattit les chevaux d' Alambousha avec quatre dards supérieurs en vitesse,
DRONA-PARVA. W
II trancha d'un bhalla, semblable au feu de la mort, la tête de son cocher; et le resplendissant guerrier enleva des épaules ce chef, orné de pendeloques et non moins beau que l'astre des nuits en son plein.
Lorsqu'il eut immolé ce petit- fils du souverain de la terre, l'homicide héros, chef des Yadouides, suivit Ar- jouna, après qu'il eut arrêté, sire, les armées de ta ma- jesté. 5,S32—5,833—5,83/i—5,835.
Quand il vit le héros de Vrishni suivi, restant au mi- lieu des ennemis, immolant mainte et mainte fois de ses (lèches les armées des Rourouides , tel que le vent brise les nuages rassemblés, 5,836.
Ce lion des hommes fut conduit partout où il voulut aller par les chevaux du Sindhou, coursiers généreux , habile- ment domptés, couverts de filets d'or et semblables à la neige, à la lune, au jasmin multiflore, au lait, substance des vaches. 5,837.
Ensuite tes fils et les autres de tes guerriers se hâtent de se réunir ; et, après qu'ils eurent parlé, ils élurent, ô toi, de qui Adja est l'ami (1), Douççàsana, ton fils, pour chef des combattants. 5,838.
L'ayant cerné de tous côtés , les soutiens des armées frappèrent Çaînéya dans la bataille; et , de son côté,\e plus vaillant des Sâttwatides, ce héros de les arrêter par la multitude de ses flèches. 5,839.
Dès qu'il leur eut fait obstacle avec ses dards, sem- blables au feu, le petit-fils de Çîni, ayant élevé son arc, ô toi, qui est l'ami d'Adja, abattit les chevaux de ton fils Douççàsana. 5,840.
(\) Adjamitha, au vocatif, édition de Bombay.
46 LE MAHA-BHARATA.
Enfin, la vue de ce grand héros des hommes causa de la joie à Krishna et Arjouna. 5,841 .
Les héros Trigarttains aux drapeaux, dont l'or avait changé la matière, d'environner ce guerrier vaillant, qui avait pénétré dans la mer des armées, ce héros aux longs bras, qui s'avançait d'un pied hâté vers le char de ce Douççâsana, qui savait se hâter dans les choses exigeant de la promptitude, et qui désirait la victoire sur Dhanan- djaya. 5,842—5,843.
Pleins de colère, maniant leur arc avec supériorité, ils l'entourèrent de toutes parts avec la foule de leurs chars et l'inondèrent avec la multitude de leurs flèches. 5,844.
Seul dans ce grand combat, quand il fut arrivé au milieu de l'armée Bharatienne, où régnait un bruit confus de maniques frappées, remplie de massues, de tridents, d'épées, et telle qu'une onde sans nacelle, Sâtyaki au cou- rage de vérité triompha de cinquante ennemis, tous fils de rois, tous ayant la fierté des rois. 5,845 — 5,846.
Alors nous vîmes la conduite, admirable de Çaînéya dans la bataille ; car, après qu'il se fut montré à nous dans la plage occidentale, nous le vîmes paraître aussitôt par sa légèreté dans la plage orientale. 5,847.
Le héros se promenait à la fois comme en dansant et tel qu'une centaine de chars dans les parages du septen- trion et du midi, du levant et du couchant, et dans les plages intermédiaires. 5,848.
Ayant vu quelle manière d'agir avait ce guerrier à la marche hardie du lion, les Trigarttains en détresse s'ap- prochèrent des peuples, leurs parents et alliés. 5,849.
Les autres héros des Çoûrasén'ens l'arrêtèrent dans le combat, le retenant par des multitudes de flèches, comme
DRONA-PAUVA. 47
un éléphant en rut à coups de crocs acérés. 5,850. Sâtyaki à l'âme noble fit la guerre un instant avec eux; ensuite, ce héros à la force, à ia bravoure inconcev ble combattit avec les Kâlingains. 5,851.
Quand il eut dépassé l'armée de ces combattants, diffi- cile à surmonter, le guerrier aux longs bras fit sa jonction avec le Prithide Dhanandjaya. 5,852.
Tel qu'un navire, fatigué (1) au milieu des eaux, par- venu enfin à la terre sèche, Youyoudhâna commença ,;> respirer, dès qu'il aperçut ce tigre des hommes. 5,853.
Aussitôt qu'il le vit approcher, Kéçava dit au fils de Prithà : c Voici Çaînéya, qui s'avance à la recherche de tes pas, enfant de Kountî. 5,854.
» Ce guerrier au courage de vérité est ton ami et ton disciple; ce taureau des hommes a vaincu tous les com- battants, les estimant ce qu'est une poignée d'herbes.
» Scàtyaki s'avance, lui, qui a fait peser une effroyable calamité sur les guerriers Kourouides ; lui, Kirîti, qui t'est plus cher que les souffles de la vie. 5,855— -,5856.
» Sàtyaki s'approche , après que ses flèches , Phâl - gouna, ont jeté dans l'infortune Drona et Kritavarman- Bhodja. 5,857.
» Sâtyaki vient à nous, Phàlgouna, ce héros consommé dans les astras, qui, recherchant ce qui est agréable à Dharmarâdja, étendit mort tout ce qu'il y a de plus brave parmi les combattants. 5,858.
» Sàtyaki à la grande vigueur s'avance, fils de Pândou, lui, qui, aspirant à voir ta personne, vient d'accomplir au
(1) Crantas, texte de Bombay.
48 LE MAHA-BHARATA.
milieu des ennemis une œuvre d'une bien difficile exécu- tion. 5,859.
» Voici Sâtyaki, qui s'avance, fils de Prithâ; lui, qui, avec un seul char, fit tête sur le champ de bataille a de nombreux et grands héros, sous les ordres de l'A- tchârya. 5,860.
» Voici, enfant de Prithâ, Sâtyaki, qui s'approche, en- voyé par le fils d'Yama; lui, qui, appuyé seulement par la force de son bras, a déchiré l'armée. 5,861.
» Voici Sâtyaki, qui s'avance, ivre de la fureur des combats, fils de Rountî, lui, auquel d'aucune manière jes Rourouides ne peuvent opposer un guerrier son égal dans les batailles. 5,862.
» Voici Sâtyaki, qui vi< nt à nous, victorieux de nom- breuses armées, fils de Prithâ, et lâché au milieu des guerriers de Rourou , comme un lion parmi tes vaches. 5,863.
» Voici Sâtyaki, qui s'approche d'un pied hâté, fils de Prithâ, après qu'il a jonché la terre de visages, sem- blables à des lotus, enlevés à des milliers de rois ! 5,864.
» Voici Sâtyaki, qui s'avance à grands pas, ayant tué Djalasandha et vainqueur de Douryodhana, défendu par ses frères dans la bataille. 5,865.
» Voici Sâtyaki, qui vient ici, ayant abattu les Rou- rouides, comme on fauche des herbes, et répandu un fleuve, qui roule du sang à travers un limon de même nature. » 5,866.
Alors le fils de Rountî, à qui l'on arrachait sa victoire, fit une réponse en ces termes à Réçava : « Je ne vois poin avec plaisir, guerrier aux longs bras, Sâtyaki s'avancer vers moi. 5,867.
DRONA-PARYA. Û9
» Car je ne sais pas dans quelle condition Dharma- râdja se trouve, Kéçava, si, privé du Sâttwatide, il est encore vivant ou s'il est mort. 5,868.
» En effet, ce prince devait être gardé par lui : comment se fait-il, Krishna, que, l'ayant abandonné, il ait suivi mes pas? 5,869.
>) Le roi est abandonné à la fureur de Drona, et le Sin- dhien n'est pas abattu ! Voici Bhoûriçravas, qui s'avance dans le combat à la rencontre de Çaînéya. 5,870.
» Voilà une charge plus lourde, quelle n'était avant, imposée dans l'affaire du Sindhien : il faut que j'obéisse au roi et que je sauve Sâtyaki. 5,871.
-) Il faut que j'immole Djayadratha et Y astre, auteur du jour, incline à son couchant. Sâtyaki, ce héros aux longs bras, est fatigué; c'est à peine maintenant s'il respire (1). 5,872.
» Ses chevaux sont las ; son cocher, Mâdhava, partage leur fatigue; mais ni Bhoûriçravas, ni ses compagnons, Kéçava, ne sont eux-mêmes fatigués. 5,873.
» Puisse maintenant son bonheur se trouver dans cette rencontre! Est-ce que Sâtyaki au courage de vérité n'au- rait pas encore traversé cette mer? 5,87/i.
» Arrivé dans cet étroit espace, ce héros des Canidés à la grande splendeur y trouverait-il la mort? Puisse Sâ- tyaki être environné par la bonne fortune dans ce conflit avec le magnanime Bhoûriçravas, consommé clans les astras et le chef des Kourouides ! Il faut, à mon avis, Kéçava, rejeter cette faute sur Dharmarâdja.
5,875—5,376.
(1) Alpaprâna, texte de Bombay. IX
50 LE MAHA-BHARATA.
» C'est lui, qui, secouant la crainte, venue de l'A- tchârya, nous a envoyé Sâtyaki ! Drona espère toujours qu'il fera le fils d'Yama son prisonnier, comme un faucon, qui plane dans les airs, compte sur une proie facile. Pourra-t-on sauver ce roi des hommes? » 5,877 — 5,878.
Dès qu'il vit le Sâttwatide accourir, enivré, sire, de la furie des combats, soudain Bhoûriçravas fondit sur lui avec colère. 5,879.
Le Rourouide parla en ces termes, grand roi, au re- jeton de Çini : « Par bonheur, te voilà donc arrivé main- tenant à la portée de mes yeux ! 5,880.
» Je vais obtenir l'objet de mes vœux, long-temps désiré dans la guerre; car tu ne seras pas délivré vivant de mes mains, à moins que tu n'abandonnes le combat. 5,881.
» Aujourd'hui, après que je t'aurai tué dans la ba- taille, Dâçârhain, toi, qui n'abandonnes jamais l'arro- gance du héros, je réjouirai Souyodhana, le roi des Rou- rouides. 5,882.
>) Aujourd'hui, Réçava et Arjouna, ces» deux héros, te verront de compagnie consumé dans le combat par mes flèches, étendu sur la face de la terre. 5,883.
» Aujourd'hui, le monarque fils d'Yama, qui t'a fait entrer ici, sera à l'instant même couvert de honte, en apprenant que tu es mort sous mes coups! 5,884.
» Aujourd'hui, Dhanandjaya, le fils de Prithâ, con- naîtra mon courage, quand il te verra couché mort et baigné dans ton sang! 5,885.
» Certes! 11 y a long-temps que je désire cette ren- contre avec toi, comme jadis, en la guerre des Asouras et des Dieux, celle de Çakra avec Bali! 5,886.
DRONA-PARVA. 51
» Aujourd'hui, je te livrerai, Sâttwatide, ce combat d'une grande épouvante : par-là, tu connaîtras dans la vérité mon énergie, ma force et mon courage! 5,887.
» Aujourd'hui, tué par moi clans la bataille, tu descen- dras (1) dans Sanyamanî, comme le Ravanide immolé sur le champ de bataille par Lakshmana, le frère puîné deRâma. 5,888.
» Aujourd'hui, Krishna, et le Prithide, et Dharma- râdja, tués en ta personne, Mâdhava, abandonneront sans doute, privés de courage, le champ de bataille. 5,889.
» Aujourd'hui, quand j'aurai accompli ta mort, grâce à mes flèches acérées, je réjouirai les épouses des guer- riers, que tu as immolés dans le combat! 5,890.
» Arrivé à la portée demies yeux, tu ne seras point dé- livré, Mâdhava, de même qu'une vile gazelle, tombée sous les regards d'un lion. » 5,891.
Youyoudhâna lui répondit en riant, sire : « La crainte n'existe pas, Rourouide, pour moi clans la guerre.
» 11 est impossible de m' effrayer par le seul bruit des paroles : le guerrfer, qui m'aura privé de mes armes dans un combat, pourra m'ôter la vie. 5,892 — 5,893.
» Mais qui me tuerait dans la guerre, tuerait en moi des années éternelles ! A quoi bon tant de paroles inutiles? Prouve ton dire avec tes actions ! 5,89Zi.
» Tes clameurs ne portent aucun fruit, comme le bruit d'un nuage en automne. Quand j'ai entendu ces cris, héros, il m'a pris une envie de rire. 5,895.
» Que ce combat si long-temps désiré dans le monde, Kourouide, soit donc livré clans ce moment. Mon âme
(1) La 3e personne du futur où il faudrait grammaticalement la seconde!
52 LE MAHA-BHARATA.
s'élance vers cette bataille, qu'elle désire, mon ami, avec la même impatience que toi. 5,896.
» Je ne m'en irai pas, ô le dernier des mortels, que je ne t'aie arraché la vie à l'instant même. » C'est ainsi que ces deux éminents hommes se déchiraient l'un l'autre avec des paroles. 5,897.
Au comble de la colère et désirant se porter la mort, ils se frappèrent dans ce combat. Ces deux héros aux prises, robustes, se disputant la victoire en cette ba- taille, 5,898.
Irrités comme deux éléphants dans la furie du rut, en- vironnés des fumées du mada, ces dompteurs des enne- mis, Bhoûriçravas et Sàtyaki de s'adresser l'un à l'autre, comme deux nuages, leurs averses de flèches épouvan- tables. Le Somadattide couvrit' Çaînéya de ses traits au vol rapide. 5,899—5,900.
Désireux de le tuer, ô le plus grand des Bharatides, il le blessa de dix flèches acérées; et, quand il l'eut percé, le guerrier lui décocha d'autres dards aigus, aspirant à retrancher de la vie ce héros des ÇinideS. Mais Sàtyaki, par la magie de ses astras, auguste seigneur des hommes, dévora dans l' atmosphère, avant qu'elles ne fussent ar- rivées, ces flèches aiguës. Ils déversèrent l'un sur l'autre, chacun en son particulier, deux pluies de projectiles.
5,901—5,902—5,903.
Ces deux héros, nés en des familles supérieures, ac- croissant la renommée de Vrishni et de Kourou, déchi- rant leurs membres et stillants de sang, se fendirent l'un l'autre par leurs flèches et les lances de fer, attachées au chars, comme deux tigres avec leurs griffes, comme deux grands éléphants avec leurs défenses. 5,904— 5,905.
DRONA-PARVA. 53
Ces guerriers aux actions les plus hautes, accroissant la gloire de Kourou et de Vrishni, jouant ainsi au jeu des existences, se forcèrent l'un l'autre à l'immobilité. 5,906.
Ils se combattaient réciproquement, comme deux élé- phants, chefs de bande. Initiés depuis un court espace de temps au monde de Brahma, aspirant au siège le plus élevé, ils s'adressaient mutuellement des menaces. Sâ- tyaki et le Somadattide, sous les yeux des Dhritarâsh- trides joyeux, firent éclater l'un sur l'autre une pluie de flèches. Les peuples contemplaient ces deux maîtres dans l'art des combats, qui se livraient bataille, comme deux éléphants, chefs de troupeaux, que les senteurs du mada auraient mis aux prises. Quand ils se furent tué leurs chevaux et tranché leurs arcs mutuellement,
5,907—5,908—5,909—5,910.
Réduits sans char, ils croisèrent leurs mains pour un duel à l'épée. S'étant armés de boucliers admirables, larges, reluisants, faits en peau de bœuf, 5,911.
Et, mettant leurs épées hors du fourreau, ils se prome- nèrent dans la bataille, en traçant, suivant l'art, des pas en avant et des portions de cercles. 5,912.
Portant le cimeterre , revêtus de merveilleuses cui- rasses, parés de nishkas et de bracelets, ces deux exter- minateurs des ennemis se frappèrent mainte et mainte fois avec colère. 5,913.
Ces guerriers illustres firent voir la circonvolution , le saut, le percer, le plonger, l'émersion, la marche, le vol et la descente des airs (1). 5,91 h.
Ces deux héroïques dompteurs des ennemis se portè-
(1) Différent,» termes d'escrime.
54 LE MAHA-BHARATA.
rent de mutuels coups d'épée, et, désirant surprendre un défaut en leur ennemi, ils exécutaient des bonds agiles.
Les deux plus excellents des hommes exercés aux com- bats, ils montraient leur science , leur légèreté, leur ex- cellence, et s'entraînaient l'un l'autre à la ronde.
Après que ces deux braves se furent , Incira des rois, chargés de coups' mutuels pendant une heure environ, aux yeux de tous les guerriers, ils reprirent haleine ensuite.
Quand ces tigres des mortels se furent à coups d'épée, souverain des hommes, tranché leurs boucliers admira- bles, ornés de cent lunes, ils commencèrent une lutte à bras-le-corps. 5,915— 5,916— 5, 917--5, 918.
Tous deux à la vaste poitrine, aux longs bras, habiles dans les combats singuliers, ils s'étreignirent de leurs bras comme avec des barres de fer. 5,919.
La prise et l'étreinte de ces lutteurs, sire, étaient égales aux blessures, que faisaient les bras : leur science et leur force causaient la joie de tous les combattants. 5,920.
Épouvantable était le bruit immense, sorti de la ba- taille, sire, que se livraient ces deux plus vaillants des hom- mes, semblables à deux montagnes de diamant. 5,921.
Tels que deux éléphants avec la pointe de leurs dé- fenses ou deux taureaux avec leurs cornes, ces magna- nimes héros de Kourou et de Vrishni combattirent, s'en- laçant avec les câbles de leurs bras et se frappant avec les coups de leurs têtes, se tirant les pieds par un croc-en- jambe, se meurtrissant comme avec des leviers de fer, se déchirant (1) comme avec des aiguillons, se tenant le
(1) Ldsanah, que le commentaire explique par avaluntchunois, texte le Bombay.
DRONA-PARVA. 55
ventre et les pieds unis, embrassés ; et par des bondisse- ments en l'air, par quelques pas en rvant, des retours en arrière, et de soudaines poussées (1) , en se baissant, en se levant, en s' ébranlant (2), 5,922— 5,923— 5,92/j.
Ces héros à la grande vigueur montrèrent là, Bharatide, dans ce duel les combats, que l'on peut livrer avec les trente-deux moyens. 5,925.
Alors que le Sâttwatide combattait, ses armes brisées, le Vasoudévide parla en ces termes à Arjouna : « Vois ce héros, le plus brave de tous ceux, qui manient l'arc. Il combat, réduit sans char ! 5,926.
» Il est entré dans l'armée Bharatienne, qu'il a en- foncée derrière toi : ce guerrier à la grande vigueur, Bharatide, fut attaqué par tous les enfants de Bharata.
>; Bhoûridakshina s'est avancé, impatient de combattre, vers ce héros, le plus brave dans les combats, que la fatigue n'a pas empêché de s'avancer lui-même. Cela n'est pas convenable ainsi, Arjouna. 5,927 — 5,928.
» Irrité, ivre de la furie des batailles, Bhoûiïçravas se hâtant arrêta Sâtyaki, comme un éléphant en rut, sire, s'oppose à un éléphant en folie. » 5.929.
Tandis que se livrait le combat singulier en char de ces deux principaux des combattants, courroucés, montés dans leurs chariots, sire, aussi admirables à voir dans la bataille que le Vasoudévide et Arjouna, 5,930.
Krishna aux longs bras dit encore à celui-ci : « Voici le tigre d'Andhaka et de Vrishni tombé au pouvoir du Somadattide! 5,931.
fi) Le texle de Bombay porte : ôkshépuis. (2) Samploutais, même texte.
56 LE MAHA-BHARATA.
» Arrivé plein de fatigue, il a accompli sur la terre un exploit très-difficile ; Arjouna, sauve donc l'héroïque Sâ- tyaki, qui s'est jeté pour toi dans la mort ! 5,932.
» Que ce brave ne tombe point à cause de toi, Arjouna, sous la puissance cVYajnaçîla. Que cette action, noble tigre des hommes, soit promptement exécutée ! » 5,933.
Ensuite Dhanandjaya, rempli d'ardeur, répondit au Vasoudévide : « Voici le héros de Kourou, qui se joue avec le plus grand des guerriers de Vrishni ; 5,93Zi.
» Tel, dans la forêt, un lion enivré avec un gigantesque éléphant, chef de troupeaux (1). » A peine le Pândouide Dhanandjaya eut-il parlé ainsi, 5,935.
Un grand brouhaha de naître parmi tous les guer- riers, éminent Bharatide, car le Kourouide aux longs bras, élevant Sâtyaki, le renversa sur la terre, comme un éléphant abattu par un lion. Bhoûridakshina, traînant çà et là ce plus grand des Sâttwatides, le plus brave des Kourouides brillait dans le combat. 5,936 — 5,937.
Puis, Bhoûriçravas , mettant son cimeterre hors du fourreau, le saisit aux cheveux dans la bataille et le frappa du pied au milieu de la poitrine. 5,938.
Et, comme il s'apprêtait à lui trancher la tête, ornée de ses pendeloques, et à t enlever des épaules, le Sâttwa- tide en ce moment suprême fit tourner rapidement ^on cou, de même qu'un potier fait tourner sa roue, fils de Bharata, frappée d'un bâton. Aussitôt que le Vasoudévide eut vu Bhoûriçravas, qui, avec son bras tenant sa cheve-
(1) Je pense qu'il y a ici une altération dans le teite, je n'ose dire un hypallage; carde semblables tropes seraient le renversement de toute syn- taxe. Voici les changements, que j'ai osé faire : mattam hurin yoûthapéno.
DRONA-PARVA. 57
lure, traînait Sâtyaki autour du champ de bataille, il adressa de nouveau, sire, ces paroles à Arjouna :
5,939— 5,940— 5,941.
« Le voici, tombé au pouvoir du Somadattide en ce combat, où Bhoûiïçravas au courage, qui est un men- songe, l'emporte sur le Vrishnide Sâtyaki au courage, qui est une vérité, ce tigre d'Andhaka et de Vrishni, ton disciple, guerrier aux longs bras, non inférieur à toi- même dans l'art de tirer l'arc! » 5,94*2 — 5,943.
A ces mots du Vasoudévide, le Pândouide aux longs bras applaudit au fond de son cœur à Bhoûriçravas dans ce combat : 5,944.
« J'aime à le voir se jouer dans cette bataille, traîner çà et là le plus brave des Sàttwatides et ajouter encore à la gloire des Kourouides. 5,945.
» Prenons garde, certes ! qu'il n'immole Sâtyaki, le meilleur des héros de Vrishni ! Il le traîne, comme le roi des quadrupèdes traîne dans un bois un grand éléphant ! »
Quand le fils de Prithâ aux longs bras eut honoré ainsi le Kourouide en son cœur, Arjouna de parler en ces termes au Vasoudévide : 5,946 — 5,947.
« En vain, je tiens, Mâdhava, la vision de mes yeux, attachée du côté où est le Sindhien, je ne puis encore l'apercevoir : je ferai donc pour le rejeton d'Yadou cette œuvre conservatrice de la vie. » 5,948.
A ces mots, le fils de Pândou, qui avait adressé ce lan- gage au Vasoudévide, encocha sur le Gândîva un kshou- rapra acéré. 5,949.
Tel qu'un grand météore tombé du ciel, le trait, en- voyé par la main du Prithide, trancha le bras d'Yajnaçîla avec son cimeterre, avec son bracelet. 5,950.
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Le membre coupé tomba sur la terre, armé de son glaive, portant son resplendissant bracelet, et répandit sur le monde de la vie une douleur extrême et prodi- gieuse. 5,951.
Enlevé au moment qu'il allait frapper par l'invisible Kirîti, il tomba rapidement sur le sol, comme un serpent à cinq têtes. 5,952.
Dès que le Rourouide vit que le fils de Prithâ avait déjoué son dessein, il jura de colère et abandonna Sâ- tyaki. 5,953.
« Hélas 1 fils de Kountî, c'est toi, qui as fait cette action cruelle, qui as coupé mon bras sans que je te visse, alors que cette lutte absorbait mon attention ! 5,95Z|.
» Diras-tu au fils d'Yama, au monarque Youdhishthira de quelle chose j'étais occupé, moi Bhoûriçravas, quand tu m'as frappé dans le combat? 5,955.
» Est-ce ici l'astra, que t'enseigna le magnanime Indra même en personne, ou Çiva, et Drona ou Kripa? 5,956.
» Toi, qui, dans le monde, es supérieur aux ennemis, est-ce que tu ne connais pas le devoir des astras? Comment as-tu pu lancer ta flèche sur moi, occupé à soutenir le combat? 5,957.
» Les sages n'envoient pas de traits au lâche, au soldat réduit sans char, au suppliant, à l'homme tombé dans le malheur, à celui, qui n'est pas sur ses gardes!
» Comment , fils de Prithâ, as-tu fait cette action très -méchante , criminelle , exécutée par des âmes viles, en usage chez des hommes sans cœur?
5,958—5,959.
» Une âme noble trouve facile à faire une action noble; mais il n'est pour une âme honnête, dit-on, rien, qui soit
DRONA-PARVA. 59
plus difficile à accomplir sur la terre qu'un acte dés- honnête. 5,960.
» Quelles que soient les actions, au milieu desquelles vit un homme, le naturel, fils de Prithâ, a bien vite repris son empire : n'est-ce pas ce que l'on voit maintenant se manifester en toi? 5,961.
» Gomment toi, qui es vertueux, fidèle observateur de ton vœu, né dans la famille des rois et surtout prenant ton origine de Kourou, as-tu pu t' écarter ainsi du devoir des kshatryas? 5,962.
» Cette action estimée du Vasoudévide, que tu as faite dans l'intérêt du fils de Vrishni, est extrêmement vile, et peut-être ne te séyait-elle pas? 5,963.
» Qui donc, après avoir plongé dans une telle infortune un homme, qui n'était pas sur ses gardes et qui combat- tait un ennemi, ne serait pas maintenant l'ami de Krishna ?
» Des Vrâtyas (1) sont blâmés eux-mêmes des actions, qu'ils ont faites pour causer de la douleur (2) : comment peux-tu, fils de Prithâ, invoquer l'autorité des Andhakas et, des Vrishnides? » 5,964—5,965.
A ces mots, le Prithide répondit à Bhoûriçravas dans le combat : 5,966.
« Évidemment une vieillesse de l'intelligence s'ajoute encore chez l'homme à la vieillesse du corps; car tout ce qui fut dit par toi est dénué de sens. 5,967.
» En effet, quoique tu connaisses Hrishîkéça, que tu saches le devoir, que tu sois parvenu à la rive ultérieure
(1) Personne non initiée (pour qui les cérémonies prescrites n'ont pas été accomplies, qui n'a pas reçu l'investiture). Amarakocha, Loisehur ueslongchamps.
(2) Sankklishta, texte de Bombay.
60 LE MAHA-BHARATA.
des Castras, tu jettes ton blâme sur moi, qui suis un fils de Pândou. 5,968.
» Je ne ferais pas une chose opposée au devoir; tu le sais, et tu parles contre la raison. Les kshatryas com- battent l'ennemi, environnés chacun de leurs gens ;
» Soutenus par la force de leurs bras et secondés par leurs pères, leurs fils, leurs frères, leurs parents et alliés, leurs amis et connaissances. 5,969 — 5,970.
» Comment aurais je abandonné Sâtyaki, mon parent, mon ami, mon disciple, qui combattait dans notre cause, qui nous a fait le sacrifice de sa vie, si difficile à quitter, enivré de la furie des batailles et mon bras droit, sire, dans les combats? Et moi-même ne devais-je pas être, majesté, défendu par ce héros, s'il venait dans une ba- taille? 5,971—5,972.
» Quiconque fait la guerre dans les intérêts de qui que ce soit, monarque des hommes, doit être défendu par lui! Un souverain doit être protégé dans un grand combat par ceux-là mêmes, qu'il protège. 5,973.
» Si je vois mettre à mort Sâtyaki dans une bataille acharnée, ,/e dois C empêcher : ou ma séparation d'avec lui par la mort sera un crime, qui accusera ma lâcheté.
» Pourquoi t'irriter contre moi, si je l'ai sauvé? Blâmes-tu, sire, mon amitié avec un autre? 5,97/i — 5,975.
» Tu m'as persécuté, alors naquit l'agitation de mon esprit. Je secouai pour toi ma cuirasse, je montai sur mon char en personne, je tirai la corde de mon arc et je combattis avec les ennemis dans cette profonde mer des armées, qui était ainsi pleine d'éléphants et de chars, clouée de fantassins et de cavaliers, du milieu de qui les cris de guerre s'élevaient, comme le bruit de ses flots. Il
DRONA-PARVA. 61
vint cette pensée aux guerriers placés entre les deux armées (1) dans cet engagement avec le Sâttwatide :
5,076—5,977—5,978.
« De quelle manière va se dérouler ce combat singu- lier?» Le Sâttwatide, qui avait déjà combattu avec un grand nombre et vaincu de fameux héros, 5,979.
» Était fatigué, dans une situation perplexe, accablé de flèches, traîné par des chevaux, harassés de lassitude. Telle était sa position, quand tu as vaincu le très-héroïque Sâtyaki. 5,980.
» Tu n'ignores pas que sa valeur a courbé toute supé- riorité sous sa puissance. Et, puisque tu désirais couper de ton épée sa tête dans le combat, 5,981.
» Qui aurait pu souffrir que Sàtyaki fût tombé dans une telle infortune? Adresse tes reproches à toi-même, qui n'as pas su défendre ta personne. 5,982.
» Que feras-tu maintenant , héros, toi ou celui, qui s'appuie sur toi? » 5,983.
Après qu'Arjouna lui eut ainsi parlé, le guerrier aux longs bras, à la vaste renommée, abandonnant Youyou- dhâna dans le combat, s'en alla s'asseoir dans un jeûne jusqu'à la mort. 5,9SZi.
Le guerrier aux marques saintes étendit ses flèches de la main gauche et, désirant aller au monde de Brahma, il sacrifia les souffles de sa vie dans les souffles de son existence. 5,985.
11 déposa ses yeux dans le soleil, son cœur paisible dans l'eau, et, méditant un grand Oupanishad, il devint un solitaire uni à l'yoga. 5,986.
(1) Littéralement : près des leurs et des ennemis'.
62 LE MAHA-BHARATA.
Le peuple en toute l'armée blâma de cette action Krishna et Dhanandjaya, et rehaussa dans ses louanges cet homme éminent. 5,987.
Les deux Krishnas ne répondirent pas aux reproches un seul mot désagréable, et le guerrier au drapeau de la colonne victimaire garda le silence au milieu des éloges. 5,988.
Le cœur de Dhanandjaya ne put supporter que tes fils, majesté, parlassent ainsi; et, son esprit se rappelant quels discours eux et lui avaient prononcés, Phâlgouna, le fils de Pândou, leur dit avec l'accent du blâme, mais d'un cœur sans colère : 5,989 — 5,990.
« Tous les monarques connaissent le grand vœu, par lequel je me suis lié! Il est impossible de le rompre à quiconque sera venu à la portée de mes flèches. 5,991.
n Ayant considéré cette chose, ô toi, qui as pour dra- peau une colonne victimaire (1) , ne veuille pas me blâmer; car le blâme ne sied pas dans la bouche d'un ennemi, qui ne connaît pas le devoir. 5,992.
» Si j'ai coupé ton bras, lorsque tu avais pris tes armes et que tu voulais égorger dans ce combat le héros de Vrishni, ce n'est pas un devoir, qu'il faille me reprocher;
» Quel homme vertueux, mon fils, pourrait applaudir à la mort d'Abhimanyou, un enfant, sans char, sans cuirasse, qui avait déposé même ses traits ! a
A ces mots du Prithide, le mutilé toucha la terre avec sa tête, et, de sa main gauche, lui tendit son bras droit et sa main coupés. 5,993 — 5,994 — 5,995.
Quand il eut entendu ces paroles du fils de Prithâ,
(1) Yoùpakétau, vocatif, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 6S
Yoûpakétou à la grande splendeur, baissa la tête, grand roi, et garda le silence. 5,996.
«L'amitié, que je porte à Sahadéva, lui dit Arjouna, à Nakoula, à Bhîma, le plus fort des hommes forts, et à Dhamiarâdja même, je la ressens pour toi, frère aîné de Cala. 5,997.
» Avec mon congé, avec celui du magnanime Krishna, va dans les mondes des bonnes œuvres, comme Cini, le fils d'Ouçinara! » 5,998.
« Va promptement, je te l'accorde, ajouta le Vasoudé- vide, dans ces mondes purs, fondés par Brahma et les Dieux suprêmes (1), désirés même par les plus grands desSouras, habités par ceux, qui ont offert les sacrifices et pieusement conservé le feu perpétuel. Sois égal à moi et que le corps du sublime Garouda soit ton char éter- nel ! » 5,999—6,000.
Délivré du Somadattide, Çaînéya s'étant relevé, tira son cimeterre, désireux de couper la tête de ce magna- nime. 6001.
Sâtyaki voulait décapiter Bhoûriçravas, mutilé par le filsdePândou, quand il n'était pas sur ses gardes, ce frère aîné de Cala, assis, net de souillure, le bras coupé, comme un éléphant, privé de sa trompe. Le héros dans une bouillante colère excita les cris et le blâme de toute l'armée. 6,002—6,003.
Il fut arrêté par Krishna, le magnanime Prithide, Bhîma, Açwatthâman et Kripa, les deux gardes des roues, 6,004.
Karna, Vrishaséna et le roi du Sindhou Ini-même. Au
(i) Le texte dit simplement : âdy<Os, et les autres, et cœteris.
64 LE MAHA-BHARATA.
milieu des armées, qui s'écriaient : « Il a tué le guerrier aux vœux constants ! 6,005.
» Sâtyaki, de son cimeterre, enleva la tête au Kou- rouide, qui, le bras coupé dans la bataille par le fils de Prithâ, s'était assis dans le jeûne jusqu'à la mort. » 6,006.
Les armées n'approuvaient pas Sâtyaki en ce fait qu'il voulait tuer le rejeton de Rourou, qu'Arjouna avait déjà mis hors du combat. 6,007.
Quand les Siddhas, les Tchâranas et les enfants de Manou virent Bhoûriçravas, semblable au Dieu à mille regards, qui, blessé dans la bataille, était entré dans le jeûne, 6,008.
Les Dieux, que ses œuvres jetaient dans l'étonnement, applaudirent à sarésignation. Tes guerriers firent entendre de bien nombreux discours, suivant le sentiment de chacun d'eux. 6,009.
« Le Vrishnide ne commettra point d'offense! Cette chose doit être faite ainsi ! Vous ne devez pas en conce- voir de ressentiment : la colère est chez les hommes ce qu'il y a de plus douloureux. 6,010.
» 11 faut que ce héros le tue ! On ne doit pas hésiter. Brahma lui-même a placé dans le combat Sâtyaki pour être la mort de ce guerrier ! » 6,011.
« 11 ne faut pas le tuer ! Il ne faut pas le tuer ! me dites-vous, répondit Sâtyaki, hommes vicieux sous des paroles de vertu et qui vous êtes fourrés dans la peau du devoir? 6,012.
» Quand vous avez tué dans le combat le fils de Sou- bhadrâ, un enfant, réduit sans char, où donc alors s'en était allée votre vertu? 6,013.
1>R0M-PARVÀ 65
» J'ai fait cette promesse, il y a déjà un certain laps de temps : «L'ennemi, qui vivant, m' ayant renversé dans la bataille, me frappera du pied aveccolère, qu'il soit mis à mort par moi, fût-il engagé même dans les liens de l'anachorète! » Vous avez pensé sur le témoignage de vos yeux, héros de Kourou, me voyant m' efforcer avec la main de repousser le coup, que j'étais mort : telle fut la légèreté de votre esprit. La résistance, que je faisais contre lui, était convenable. 6,01/1—6,015—6,016.
» La promesse, que le Prithide m'avait faite par amour, fut observée : le bras fut enlevé avec son cimeterre et je déjouai son dessein. 6,017.
»■ Le présent et l'avenir sont remués, pour ainsi dire, par le Destin. Ce guerrier fut frappé dans le combat : y a-t-il là un effort de la vertu? 6,018.
» Jadis, Vâlmiki lui-même chanta ce çloka sur la terre : « Il ne faut pas tuer les femmes ! » Voilà ce que tu dis (1) , singe. 6,019.
» Mais un homme doué de résolution exécutera toujours dans tous les temps ce qui doit causer la torture des en- nemis. » 6,020.
Quand il eut ainsi parlé, tous les enfants de Kourou et de Pàndou ne répondirent pas un seul mot, grand roi, et l'approuvèrent au fond du cœur. 6,021.
Il n'y eut personne, qui n'applaudit point à la mort de ce guerrier illustre, consacré par les formules des prières, qui avait donné un millier de riches présents au milieu des grands sacrifices et qui déjà s'était confiné d intention dans les forêts, comme un anachorète. 6,022.
(1) Bravtshi, texte de Bombay. IX
66 LE MAHA-BHARATA.
La tète coupée de ce héros, donateur de choses dési- rées, aux yeux rouges comme ceux de la colombe, aux cheveux bien noirs, fut déposée sur la terre : telle, dans l'intérieur d'une maison (1), l'offrande de beurre clarifié d'un açva-médha. 6,023.
Purifié dans ce grand combat par le fer, qui avait tranché sa force, ayant abandonné le plus beau des corps, il s'éleva dans les régions suprêmes, après qu'il eut rempli le ciel et la terre du plus grand des devoirs.
« Non vaincu par Drona, Râdhéya, Vikarna et Krita- varman, s'enquit Dhritarâshtra, ayant traversé l'océan des armées, suivant la promesse, qu'il en avait faite à Youdhishthira ; 6,02Zi— 6,025.
» Comment ce héros, que n'avait pu arrêter le Kou- rouide, a-t-il été renversé violemment sur la terre dans les étreintes de Bhoûriçravas? » 6,026.
Écoute, roi, lui répondit Sandjaya, quelle fut dès l'an- tiquité l'origine de Çaînéya et quelle fut celle de Bhoûri- çravas : ces deux points, seigneur, qui font naître tes doutes. 6,027.
Sonia fut le fils d'Atri; le personnage, qu'on appelle Boudha, était le fils de Soma; et Boudha eut pour fils Pourouravas, égal au grand Indra. 6,028.
Il fut père d'Ayoush, et celui-ci de Nahousha, qui fut le père du Râdjarshi Yayâti, estimé comme un Dieu.
Yadou, conçu au sein de Dévayanî, était le fils aîné de Yayâti : le prince, nommé Divamîtha, était le fils dans la famille d'Yadou. 6,029—6,030.
Celui-ci avait pour fils l'Yadouide Çoûra, estimé dans
(1) Explication du commentaire.
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DRONA-PARVA. «7
les trois mondes. Çoûra eut pour son fils le courageux Vasoudéva à la vaste renommée, le plus vaillant des hommes, héros égal dans les combats à Kârttavîrya, non inférieur dans la science de l'arc. Le brave Çini, seigneur, naquit dans la famille de ce monarque. 6,031 — 6,032.
Or, dans ce temps, sire, le magnanime Dévaka avait rassemblé tous les kshatryas pour le Swayanvara (1) de sa fille. 6,033.
Dès qu'il eut, dans une rapide victoire, défait tous ces princes, Çini fit monter dans son char pour Vasoudéva la reine Dévakî. 6,03Zi.
A peine eut-il vu, seigneur, souverain des hommes, Dévakî, placée dans le char du vaillant Çini, Somadatta ne put supporter ce spectacle. 6,035.
De-là, un combat entre eux, qui fut varié, admirable et dura toute la moitié d'un jour; ensuite, ces deux bien vigoureux lutteurs, éminent roi, de s'étreindre avec la chaîne des bras. 6,036.
Somadatta fut renversé avec violence sur la terre par Çini, qui leva son épée, le saisit aux cheveux et le frappa du pied, au milieu de mille rois, de tous les côtés ré- pandus, spectateurs de cette lutte. Mais le vainqueur renvoya par pitié le vaincu avec la vie sauve.
Réduit par lui à cette condition, vénérable monarque, Somadatta, tombé sous la puissance du ressentiment, adressa des prières à Mahâ-Déva. 6,037—6,038—6,039.
Satisfait de sa dévotion, le Grand-Dieu, seigneur su- prême de ceux, qui font des grâces, lui accorda une faveur, et le roi arrêta son choix. 6,040.
(1) Sivayanvarai ', texte de Bombay.
68 LE MAHA-BHARATA.
« Je désire un'Jils, Bhagavad, qui puisse tuer le fils de Çini, des milliers de rois étant les spectateurs, et qui le frappe du pied dans la bataille. » 6, (Ml.
Aussitôt qu'il eut ouï, seigneur, la parole de Soma- datta : « Qu'il en soit ainsi ! » et, sur ce mot, le Dieu rentra dans l'invisibilité. 6,042.
C'est grâce à cette faveur qu'il avait obtenu la nais- sance de Bhoûridakshina, que le Somadattide avait ren- versé dans le combat, et qu'il avait frappé du pied le fils de Çini, sous les yeux de tous les rois. Je viens de te racon- ter là, sire, ce qui fut l'objet de ta question. 6,043 — 6,044.
11 est impossible aux plus vaillants hommes de vaincre le Sâttwatide dans un combat. De nombreux héros, qui ont obtenu dans le combat des marques de distinction,
Vainqueurs du Gandharva, du Dânava et du Dieu même, ne sont pas, assurément ! étonnés de sa victoire. Ces foules d'ennemis sont incapables de vaincre sa puissance. 6,045 — 6,046.
On ne voit rien ici en ce qui est, en ce qui fut, en ce qui doit être, seigneur, qui soit égal en force aux Vrish- nides. 6,047.
Ils n'ont pour leurs parents aucun mépris, ils se com- plaisent dans l'obéissance aux vieillards. Ni les Rakshasas, les Ouragas et les Yakshas, ni les Gandharvas, les Asou- ras et même les Dieux ne peuvent vaincre les héros des Vrishnides dans un combat, combien moins les hommes ! Les richesses des brahmes, les richesses des Gourous, les richesses des parents ne provoquent pas leurs offenses.
Sauveurs des hommes, qui seraient tombés dans un malheur quelconque: riches, mais non orgueilleux, pieux, Véridiques, 6,048—6,049—6,050.
DRONA-PARVA. 69
Ils honorent les gens, qui sont capables, ils relèvent les humbles : toujours dévoués aux Dieux, domptés, géné- reux, ils ne se glorifient jamais. 6,051.
C'est pour cela qu'on ne peut repousser le disque de guerre des fameux héros de Vrishni : un homme porterait plutôt la masse du Mérou et traverserait Y Océan, séjour des makaras. 6,052.
Mais il n'irait pas, auguste sire, jusqu'à l'extermination des illustres héros Vrishnides, s'ils en sont venus aux mains avec lui. Ici, j'ai fini de te narrer tout oe qui faisait naître ton incertitude. 6,053.
Roi des Kourouides, ô le plus vertueux des hommes, grande est ton absence de politique! 6,05/i.
« Quand ce Bhoûriçravas, le Kourouide, fut tombé dans cette condition, s'enquit Dhritarâshtra, quel fut le combat, qui s'éleva de nouveau? Raconte-moi cela, Sandjaya! » 6,055.
Lorsque Bhoûriçravas fut descendu dans l'autre inonde, répondit Sandjaya, Arjouna aux longs bras d'exciter le Vasoudévide en ces termes : 6,056.
« Pousse rapidement tes chevaux, Krishna, vers ce lieu où se tient Djayadratha : veuille faire, irréprochable guerrier, que ma promesse porte son fruit. 6,057.
» L'auteur du jour, héros aux longs bras, s'avance à pas hâtés vers le mont Asta. J'ai levé sur moi la charge de cette grande affaire, tigre des hommes, et ce guerrier est défendu par les vaillants héros de l'armée Kourouide. Que cette parole soit une vérité, avant que le soleil n'ar- rive à son couchant! 6,058—6,059.
» Pousse donc tes chevaux, Krishna, de manière que je puisse immoler Djayadratha! » Alors Krishna aux longs bras, qui possédait la science des chevaux, de lancer ses
70 LE MAHA-BHARATA.
coursiers, pareils à l'argent, sur le char du Sindhien. Les principaux de l'armée, Douryodhana, Karna, Vrishaséna, le souverain du Madra, Açvatthâman, Rripa et le roi du Sindhou lui-même, s'avancèrent d'un pied bâté, grand roi, au-devant de ce héros, qui s'approchait, assuré de ses coups, avec des flèches, qui semblaient voler. Or, Bîbhatsou de se porter sur le Sindhien, debout en face de lui. 6,060—6,061—6,062—6,063.
11 jeta sur lui ses regards, comme s'il voulait le consu- mer de ses yeux, enflammés par la colère. Ensuite, le roi Douryodhana, ton fils, sire, ayant vu Arjouna s'avancer pour la mort de Djayadratha, tint, précipitant ses mots, ce langage à Karna, le fils de Râdhâ : 6,064 — 6,065.
« Voici le moment du combat, fils du Soleil ! Considère la force de ta personne. Agis de telle sorte, Karna, qu' Arjouna ne puisse immoler dans la bataille Djayad- ratha! 6,066.
» Fais périr maintenant l'ennemi, héros des hommes, dans ce peu de jour, qui nous reste encore, sous les mul- titudes de tes flèches. Si nous pouvons arriver à la chute du jour, ce temps gagné sera pour nous, assurément! une victoire. 6,067.
» Et, si nous conservons le Sindhien jusqu'à l'instant, où le soleil se couche, le fils de Kountî, voyant qu'il a promis en vain, montera sur un bûcher. 6,068.
» Ses frères et leurs suivants, ô toi, qui donnes l'hon- neur, ne pourront pas vivre une heure seulement sur une terre, qui sera privée de son Arjouna. 6,069.
» Les Pàndouides une fois morts, nous jouirons de cette terre, Karna, débarrassée enfin de ses ennemis, avec ses forêts, ses eaux et ses montagnes! 6,070.
» Frappé par le Destin, honorable seigneur, le fils de
DRONA-PARVA. 71
Prithâ, qui a juré une promesse clans ce combat, ne sa- chant plus ce qui est ou n'est point à faire, 6,071.
» Ce serment, qui fut prononcé par Kirîti le Pândouide pour la mort de Djayadratha, il retombera sans doute sur la mort de lui-même. 6,072.
» Comment Phâlgouna pourrait-il vivre, si tu déploies ta vigueur invincible, Râdhéya? Comment pourrait-il immoler au coucher du soleil le roi de Sindhou, si on ne l'abandonne pas? 6,073.
» Comment Dhanandjaya tuerait-il au front de la bataille Djayadratha, qui sera défendu par le souverain du Madra et le magnanime Kripa ? 6,07/j.
» Comment, poussé par la mort, Bîbhatsou arriverait-il jusqu'au Sindhien, qui sera protégé par Drona, moi et Douççâsana? 6,075.
» De nombreux héros combattent ; et le soleil, ô toi, qui qui donnes l'honneur, descend au mont Asta; le Prithide, j'en doute beaucoup, n'arrivera pas jusqu'à Djayad- ratha. 6,676.
» Toi, Karna, secondé par moi et d'autres braves, tous grands héros, accompagné par Drona, le souverain du Madra et Kripa, 6,077.
» Déployant tes plus grands efforts, combats donc en cette guerre avec le fils de Prithâ! » A ces paroles de ton fils, Râdhéya, vénérable sire, 6,078.
» Le corps grièvement percé des maintes foules de traits, lancés par Bhîmaséna, l'héroïque archer, assuré dans son but, répondit en ces termes à Douryodhana, le plus grand des Kourouides : « Il faut rester de pied ferme! dis-tu. Ainsi je reste maintenant dans le combat, honorable monarque. 6,079 — 6,080.
72 LE MAHA-BHARATA.
» Dévoré même de ces grandes flèches, mon corps ne vacille pas le moins du monde ; je combattrai de toutes mes forces, ma vie t'est dévouée. 6,08d.
» J'empêcherai que ce chef des Pândouides ne tue le souverain du Sindhou. Tant que je combattrai et déco- cherai des traits aigus, le héros Ambidextre Dhanandjaya ne parviendra jamais à lui. J'exécuterai, Kourouide, ce qui peut être accompli par un mortel dévoué et qui a le désir de ton bien : mais la victoire dépend du Destin. Au reste, je déploierai aujourd'hui les plus grands efforts dans la guerre pour l'intérêt du Sindhien.
6,082—6,083—6,08/1.
» Appuyé sur ma valeur personnelle (1), afin de t'être agréable, je combattrai aujourd'hui, Arjouna; mais la victoire dépend du Destin. 6,085.
» Aujourd'hui sera livré pour toi, tigre des hommes, le plus vaillant des Rourouides, le combat singulier d' Ar- jouna et de moi, ce grand duel de tous les deux. 6,086.
»> Que toutes les armées voient cette bataille effrayante, épouvantable, de Karna et du rejeton de Kourou l » Tan- dis qu'ils parlaient de cette manière sur le champ de bataille, 6,087.
Arjouna de percer ton armée de ses flèches acérées, de trancher avec ses bhallas aigus les bras, semblables aux barreaux d'une porte, pareils aux trompes des élé- phants, ces bras de héros, qui ne savaient pas fuir dans le combat. Le vigoureux guerrier coupa leurs têtes de ses traits affilés, 6,088-6,089.
Et de tous côtés les trompes des éléphants, les cous
(1) Swan vyapàçritàs, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 73
des chevaux, les roues des chars, les cavaliers, oints de sang, les traits barbelés et les leviers de fer, qu'ils tenaient à la main. De toutes parts tombaient les chevaux et les premiers des éléphants. Bibhatsou, de ses dards en forme de rasoirs, coupa individuellement en deux et en trois 6,090—6,091.
Les drapeaux, les ombrelles, les arcs, les chasse- mouches et les têtes. Consumant ton armée, comme un incendie, qui s'est élevé dans une forêt de bois sec,
Le robuste Prithide couvrit en très-peu de temps la terre avec un lac de sang et tua dans ton armée le plus grand nombre de ses combattants. 6,09*2—6,093.
Défendu par Bhîinaséna et le Sâttwatide, l'intraitable Bibhatsou au courage, qui jamais ne se démentit, s'ap- procha du monarque de Sindhou. 6,09Zi.
Il brillait, ô le plus grand des Bharatides, tel qu'un feu allumé. Quand ils le virent, enveloppé de ce fortuné courage, les tiens, les plus éminents héros des hommes, ne purent supporter que Phâlgouna se tînt dans une telle condition. Douryodhana, et Karna, et Vrishaséna, le roi de Madra, 6,095—6,096.
Açwatthâman, Kripa et le Sindhien lui-même d'envi- ronner Kirîti avec colère, pour l'intérêt, qu'ils portaient à Djayadratha. 6,097.
Tous habiles dans les combats, ils entourèrent Dha- nandjaya, instruit dans les batailles et qui dansait dans les routes de son char, au son de la corde tirée de son arc.
Ayant mis le Sindhien sur leurs derrières, désirant tuer Arjouna et l'Impérissable, ils formèrent sans crainte un cercle autour de lui, tel que la Mort, sa bouche ou- verte. 6,098—6,099.
Ih LE MAHA-BHARATA.
Aspirant au coucher du soleil, à l'heure où l'astre du jour n'envoie que des rayons affaiblis, ils inclinèrent, de leurs mains, semblables à des chaperons de serpents, les flèches aiguës sur leurs arcs; 6,100.
Et lancèrent par centaines sur le char de Phâlgouna leurs dards, pareils aux rayons du soleil. Rirîti, ivre de la furie des batailles, trancha un par un ces traits décochés en deux, en trois, en huit, et blessa chacun des archers individuellement. Le Çaradvatide, au drapeau, qui portait une queue de lion, sire, étalant sa vigueur, d'ar- rêter Arjouna. Quand il eut blessé de dix flèches le Prithide, et de sept le fils de Vasoudéva,
6,101—6,102—6,103.
Il s'arrêta, couvrant le Sindhien clans les routes de son char; et les plus vaillants des Kourouides, tous grands héros, assurément! brandissant leurs arcs et décochant leurs flèches, le cernèrent de toutes parts avec une grande multitude de chars. 6,104 —6,105.
Dociles à l'ordre de ton fils, ils défendirent de tous côtés le monarque du Sindhou. Alors on vit la vigueur des bras de l'héroïque fils de Prithâ avec la durée impéris- sable de ses flèches et de l'arc Gandîva. Aussitôt qu'il eut arrêté avec ses astras les astras du fils de Drona et du Çaradvatide, 6,106—6,107.
Il darda sur eux tous individuellement neuf traits. Açwatthâman le blessa de vingt-cinq dards, Vrishaséna de sept, Douryodhana de vingt, Karna et Çalya de trois chacun. Lui adressant des reproches, le blessant mainte et mainte fois, agitant leurs arcs, ils l'environnèrent de tous les côtés. Ces grands héros, qui aspiraient au cou- cher du soleil, firent à la hâte, autour de lui, rapidement,
DRONA-PARVA. 75
un cercle fermé de toutes parts. Rugissant contre lui, agitant leurs arcs, ils l'inondèrent de leurs flèches acé- rées, comme des nuages couvrent une montagne de leurs eaux. Montrant alors, sire, des astras grands, célestes, {De la stance 6,108 à la stance 6,112 inclusivement.)
Ces vaillants guerriers aux bras, tels que des massues, implantèrent leurs flèches dans le corps de Dhanandjaya. Dès que le puissant héros eut tué à ton armée le plus grandnombre de ses combattants, 6,113.
Intraitable, au courage infaillible, il s'approcha du Sindhien; mais Karna, sire, de l'arrêter en ce combat avec ses flèches, en dépit de Bhîmaséna et du Sâttwatide. Le Prithide aux longs bras perça en échange avec dix traits le fils du cocher sur le champ de bataille, aux yeux de toute l'armée. Le Sâttwatide blessa Karna, vénérable monarque, avec trois flèches; Bhîmaséna avec trois et le Prithide une seconde fois avec sept. L'héroïque Karna leur envoya en échange à chacun d'eux soixante dards. 6,114—6,115—6,116—6,117.
Ce combat de Karna avec plusieurs fut admirable, sire. Nous vîmes alors, auguste roi, le fils du cocher accomplir un prodige; en effet, seul dans ce combat, il arrêta avec colère ces trois héros. Phâlgouna aux longs bras de blesser Karna, le fils du Soleil, avec cent traits en tous ses mem- bres. Tout le corps inondé de sang, le resplendissant héros, fils du cocher, rendit en échange cinquante flè- ches à Phâlgouna. Quand celui-ci vit dans le combat sa légèreté de main, il ne put la supporter.
L'héroïque fils de Prithâ, Dhanandjaya, d'une main hâtée, coupa son arc et le blessa lui-même entre, les seins avec neuf traits. 6,118—6,119—6,120 -6,121—6,122.
76 LE MAHA-BHARATA
* L'auguste fils du cocher saisit un nouvel arc et couvrit de huit mille flèches le fils de Pândou (1) *.
Plein de hâte en ce moment, où la promptitude était nécessaire, Dhanandjaya dans ce combat lui envoya pour la mort un dard, qui avait l'éclat du soleil. 0,123.
Le Dronide trancha la flèche, qui volait avec rapidité : et le trait, coupé par une demi-lune acérée, tomba sur la terre. 6,12A.
L'illustre fils du cocher saisit un nouvel arc, et ense- velit le Pândouide sous plusieurs milliers de flèches (2).
Le fils de Prithâ dissipa avec ses traits l'incomparable averse de flèches, élevée par l'arc de Karna : telle une nuée de sauterelles est dissipée par le vent.
Montrant sa légèreté de main, Arjouna, aux yeux de tous les combattants, le couvrit de ses flèches dans le combat.
Karna de son côté, le meurtrier des ennemis, ensevelit Phâlgouna sous les nombreux milliers des siennes, par le désir de faire les représailles des coups, qui lui étaient portés. 6,125—6,126—6,127—6,128.
Ces deux grands héros, lions des hommes, tels que deux taureaux mugissants, remplirent l'atmosphère de leurs flèches au vol droit. 6,129.
Se rendant l'un l'autre invisibles par leurs multitudes de traits et se frappant de coups mutuels : « Je suis le Pri- thide, disait celui-ci ; arrête ! » — «Je suis Karna, s'écriait celui-là; arrête, Phâlgouna! » 6,130.
(1) Nous empruntons cette stance, marquée par les deux étoiles, au texte de Bombay : il y a ici une petite, lacune ou plutôt une transposition, peu judicieuse, dans l'édition de Calcutta. 11 manque ici la réaction indis- pensable de Karna, sa riposte au coup d'Arjouna.
(2) Ici est transposée la stance, que nous avons donnée plus haut j mais elle n'est pas moins nécessaire ici.
DRONA-PARVA. 77
Se menaçant ainsi, les deux héros se blessaient avec les flèches de leurs voix : ils se livraient un combat avec va- riété, légèreté et d'une manière convenable. 6,131.
Ils étaient admirables dans ce rassemblement de tous les guerriers; ils étaient comblés d'éloges dans cette bataille par les Siddhas, les Tchâranas étales Vents.
Ils combattirent, grand roi, avec le désir de se donner la mort l'un à l'autre. Ensuite, Douryodhâna , sire, adressa aux tiens ces paroles : 6,132—6,133.
« Sauvez Râdhéya de tous vos efforts ; il ne sortira point du combat, qu'il n'ait tué Arjouna : c'est ce que Vrisha m'a dit. » 6,134.
Sur ces entrefaites, le guerrier aux blancs coursiers, ayant vu la valeur de Karna, fit descendre au inonde de la mort ses quatre chevaux avec quatre flèches tirées jusqu'à l'oreille; et, d'un bhalla, il enleva son cocher au siège du char. 6,135—6,136.
Il couvrit de traits l'Adhirathide^aux regards de ton fils. Enseveli sous les dards, ses chevaux tués, son cocher immolé, hors de lui-même par la multitude des flèches, Karna n'arrivait point à trouver quelle chose il avait à faire. Quand il le vit ainsi réduit à pied, Açvatthàman le fit alors, puissant roi, monter sur un char, et Râdhéya combattit de nouveau Arjouna. Le souverain du Madra blessa de trente dards le fils de Kountî.
6,137—6,138—6,139.
Le Çaradvatide en darda vingt sur le fils de Vasoudéva et frappa de douze flèches Dhanandjaya. 6,140.
Le roi du Sindhou lui envoya quatre projectiles et Vrishaséna sept traits. Karna et le Prithide de se blesser chacun individuellement. 6,1/il.
78 LE MAHA-BHAR\T\.
Le fils de Kountî, Dhanandjaya, les perça en retour, le iils de Drona avec cinquante-quatre flèches, le souverain du Madra avec dix, 6,162.
Le Sindhien avec dix bhallas , Vrishaséna de trois dards; et, quand il eut blessé le Çaradvatide avec une vingtaine de traits, le fils de Prithâ jeta dans l'air un cri élevé. 6.143.
Désirant détourner la promesse de l'Ambidextre, les tiens avec colère accoururent d'une course précipitée vers Dhanandjaya. 6,144.
Arjouna, inspirant la terreur aux Dhritarâshtrides, de manifester l'astra de Varouna. Les Kourouides se por- tèrent à la rencontre du fils de Pândou avec des chars de grand prix, et versèrent des pluies de flèches. 6,145.
Au milieu du combat, qui s'était élevé, bien épouvan- table et qui remplissait de stupéfaction, le guerrier, qui porte une guirlande sur sa tiare, versant la pluie de ses flèches, ne perdit pas l'esprit, quand il fut arrivé près de Douryodhana, le fils du roi. 6,146.
Voulant reconquérir son royaume, le magnanime Am- bidextre, hors de toute mesure, se rappelant les vexations des Kourouides, qui avaient duré douze années, remplit toutes les plages du ciel avec les traits décochés par l'arc Gândîva. 6,147. <%
L'atmosphère n'était qu'un météore de feu embrasé; les oiseaux s'abattaient sur les corps par milliers ; car le guerrier à la tiare ornée d'une guirlande semblait écraser les ennemis avec l'arc Adjagava, docile au Dieu Çiva. 6,148.
Kirîti, le vainqueur des armées, décochant ses traits avec son grand arc, fit mordre la poussière aux plus
DRONA-PARVA. 7&
grands héros des Kourouides, aux attelages, aux élé- phants, aux chefs, aux coursiers venus dans le combat.
S' étant armés de lourdes massues, de pilons en fer massif, d'épées, de lances, de puissants astras, les mo- narques de la terre, effrayants à voir, fondirent à l'ins- tant sur le fils de Prithâ dans la bataille. 6,lZi9 — 6,150.
Mais, poussant un vaste éclat de rire, tirant avec ses bras son immense Gândiva, pareil à l'arc de Mahéndra, au son, qui égalait le bruit des nuages à la fin d'un youga, il s'avança, consumant les tiens et accroissant l'empire d'Yama. 6,151.
Il envoya les archers d'un rang élevé, qui avaient toutes leurs armes et leur vie même brisées dans ce combat, augmenter les royaumes de la mort avec leurs chars, avec leurs éléphants, avec leurs troupes de fantas- sins. 6, 4 52.
Dès qu'elle eut ouï le bruit, éclatant, bien épouvan- table, retentissant de cet arc tiré par Dhanandjaya, bruit semblable au fracas du tonnerre de Çakra et tel que celui de la mort, à la fin d'un youga, 6,153.
Ton armée, sire, agitée, troublée par la terreur, était comme les eaux d'une mer aux makaras, aux poissons mou- rants, aux flots d'une onde vacillante, émue par le vent à la fin d'une destruction du monde. Le fils de Prithâ, Dha- nandjaya, admirable à voir, se promenait dans la ba- taille, 6,154— 6,155.
Montrant à la fois des astras admirables dans toutes les plages du ciel. Nous ne vîmes pas le fils de PÂndou, — telle était sa légèreté! — prendre ses flèches au carquois, les encocher, grand roi, tirer son arc et décocher les traits. Courroucé, le héros aux longs bras, inspirant la terreur
80 LEMAHA-BHARATA.
à tous les Bharathides, manifesta l'astra invincible d'In- dra. Ensuite apparurent, par centaines et par milliers, des flèches enflammées, à la pointe de feu, charmées par des astras célestes. Lancées d'un arc tiré jusqu'à l'oreille, pareilles au feu, semblables aux rayons du soleil, ces flèches remplissaient l'atmosphère, comme des météores enflammés, et rendaient la vue du ciel extrêmement dif- ficile à soutenir. Le Pândouide, étalant son courage, dis- sipa avec ses dards, enchantés par des astras divins, les ténèbres, soulevées par les traits des Kourouides, obscu- rité, pour ainsi dire, semée à la ronde, impossible à con- cevoir par d'autres avec l'imagination seulement. (De la stance 6,156 à la stance 6,162 exclusivement.)
Tel, au commencement du jour, le soleil a bientôt dé- truit par ses rayons les ténèbres de la nuit. L'auguste dispersa ton armée de ses flèches, comme le soleil d'été par ses rayons enflammés dissipe les brouillards des ma- rais (1). Les rayons des flèches, envoyées par ce guerrier, qui avait la science des astras célestes, inondèrent l'armée des ennemis, comme les rayons du soleil remplissent le inonde. Décochés par lui, ses traits ennemis, à la splen- deur brûlante, d'entrer rapidement dans les cœurs des héros, comme pour faire un plaisir à son frère. Tes guerriers à l'héroïque fierté se portèrent contre lui dans le combat : 6,162—6,163—6,164—6,165.
De même des sauterelles courent à leur perte, attirées par un feu embrasé. Ainsi, broyant les vies et les espé- rances des ennemis, 6,166.
Le fils de Prithâ circulait dans la bataille comme la
(1) Palvalânboûni, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 81
mort incarnée. Ses flèches enlevaient aux ennemis les têtes avec leurs tiares, les grands bras avec leurs bracelets, les oreilles ornées de leurs pendeloques. Le fils de Pândou tranchait les bras des cavaliers sur des éléphants avec leurs piques, des cavaliers sur des chevaux avec leurs traits barbelés, des fantassins avec leurs boucliers, des maîtres de chars avec leurs arcs, et des cochers avec leurs aiguillons. 6,167—6,168 -6,169.
Armé de ses flèches à la pointe embrasée, Dhanan- djaya brillait alors comme le soleil ou comme le feu flam- boyant, dont l'extrémité de la flamme jette des étin- celles. 6,170.
Les princes à la fois ne purent même, en dépit de leurs efforts, fixer un regard en tous les points de l'espace sur Dhanandjaya admirable à voir, monté sur son char, le meil- leur de tous ceux, qui manient les flèches, le plus vaillant des mortels, disséminant de puissants astras, dansant dans les routes de sa voiture de guerre, faisant résonner à la surface le nerf de son arc, et semblable au monarque des Dieux : tel, au milieu du ciel, le soleil, qui échauffe, parvenu à la moitié du jour. 6,171—6,172—6,173.
Rirîti, qui porte des flèches à la pointe enflammée, brillait, comme un nuage, où se peint l'arc d'Indra et qui a tari dans les pluies la masse de ses eaux. 6,17Z|.
Les plus nobles combattants furent engloutis dans cette inondation de puissants astras, qu'avait répandus Djishnou, déluge, d'une grande épouvante et difficile à traverser. 6,175.
Au milieu de ces corps aux bras coupés, de ces guer- riers aux visages mutilés, de ces bras séparés de leurs mains, de ces mains veuves de leurs doigts, 6,176. ix 6
82 LE MAHA-BHARATA.
De ces éléphants, furieux d'ivresse, le bout de leurs trompes abattu, l'extrémité de leurs défenses cassée, de ces chars mis en pièces, de ces chevaux privés de leur encolure, 6,177.
Les uns avec les entrailles répandues, ceux-là avec les jambes coupées, ceux-ci avec les articulations tranchées, palpitants, se convulsant, par centaines et par mil- liers, 6,178.
Nous vîmes, souverain de la terre, cette grande arme du fils de Prithâ, qui accroissait la terreur des gens timides et qui se jouait à porter les coups de la mort :
Tel ce divertissement de Roudra, quand jadis il tuait les bestiaux. La terre semblait couverte de serpents à cause des trompes de proboscidiens, tranchées par la flèche en rasoir. 6,179 — 6,180.
Çà et là, elle brillait, comme sous des bouquets de (leurs, jonchée du lotus des visages, des diadèmes et des turbans variés, des colliers, des bracelets et des pende- loques. 6,181.
Elle était semée çà et là de cuirasses d'or, admirable- ment travaillées, et de bhândas (1) pour orner la poi- trine des coursiers et des éléphants; elle était couverte par des centaines de tiares. 6,18*2.
Telle qu'une nouvelle épouse, la terre resplendissait d'une éclatante richesse. Baignée d'un fleuve, qui roulait des flots de sang, sur un limon de graisse et de moelles, 6,183.
Profond d'os et de membres, ayant pour jeune gazon les vallisnéries des chevelures, pour rochers de ses rivages
(1) Ornement autour du cou et du poitrail d'un cheval ou d'un éléphant.
DRONA-PARVA. 83
des bras et des têtes, encombré d'ossements et de plas- trons d'or ; 6,18/i.
Riche de drapeaux et d'étendards variés, enguir- landé, comme de flots, par des arcs et des ombrelles, rempli de grands corps, privés de la vie, et de cadavres des éléphants; 6,185.
Ayant des chars pour ses nacelles, des multitudes de chevaux pour ses rivages, offrant aux pas une marche dif- ficile par les timons, les débris de chars, les brancards, les attelages, les roues et les voitures brisées; 6,186.
Inaccessible par des flèches, des haches, des lances, des épées, des traits barbelés, comme par des serpents, furieux par des chacals en guise de makaras, des corneilles et des ardées au lieu de grands crocodiles; 6,187.
Infiniment terrible par ses chacals et ses féroces vau- tours pour énormes requins, hantée par des centaines de Bhoûtas, des Piçâtchas, des Mânes et d'autres, qui trépi- gnaient de joie; 6,188.
Il fit couler ce fleuve horrible, effrayant, accroissant la terreur des hommes timides, semblable à la Vaitaranî, que versait une armée aux centaines de corps, privés de la vie, ou de guerriers se convulsant au milieu de l'agonie. Quand ils virent la valeur de ce héros, qui avait comme les formes de la mort, 6,189—6,190.
Un effroi, qu'on n'avait pas eu avant, courut au milieu des Kourouides sur le champ de bataille. Le Pândouide reçut avec ses astras les astras des héros ennemis, et, placé dans une œuvre terrible, il apparut terrible lui- même. Arjouna, sire, de s'avancer alors vers les plus vaillants des héros. 6,191—6,192.
Tous les êtres ne pouvaient fixer un regard sur le Pân-
84 LE MAHA-BHARATA.
douide, comme sur le soleil ardent, parvenu dans le ciel au milieu du jour. 6,193.
Nous vîmes les multitudes des flèches de ce magna- nime, lancées dans le combat par son Gândîva, telles que, dans l'atmosphère, des rangées de cygnes. 6,19/j.
Placé dans une œuvre terrible et se montrant terrible lui-même, il arrêta par ses astras les astras des héros en- nemis (1). 6,195.
Arjouna, par le désir de parvenir à la mort de Djayad- ratha, les fascinant de ses nârâtchas, arrêta alors, sire, les plus vaillants des héros. 6,196.
Dhanandjaya avec son cocher de couleur azurée se pro- menait, admirable à voir, au milieu du combat, décochant des traits dans tous les points de l'espace. 6,197.
On voyait, se tenant dans l'atmosphère, par centaines et par milliers, comme le disque du soleil, les multitudes des flèches du magnanime. 6,198.
Nous ne vîmes pas alors cet héroïque Pân douide prendre ses dards au carquois, ni les coucher sur l'arc, ni les dé- cocher. 6,199.
Après que le fils de Kountî eut jeté en ce combat le trouble dans tous les points de l'espace et parmi tous les maîtres de chars, il courut sur Djayadratha, 6,200.
Et le frappa de soixante-quatre flèches aux nœuds in-' clinés. Aussitôt que les guerriers l'eurent vu s'avancer en face du Sindhien, 6,201.
Ces héros cessèrent le combat, ayant perdu toute espé- rance pour sa vie. De tout homme, qui, dans cette bataille sanglante, courut sur le Pândouide, sa flèche, destructive
(1) Cette stance et une partie de la suivante ont déjà été vues plus haut.
DRONA-PARVA. 85
de la vie, se plongea dans le corps. Le grand héros Ar- jouna, le plus grand des victorieux, couvrit ton armée de troncs mutilés par ses flèches, semblables au feu. Ainsi, quand alors ton armée en quatre corps, Indra des rois,
6,202— 6,203— 6,204.
Eut été mise dans la confusion par Arjouna, il fondit sur Djayadratha. Il perça le Dronide avec cinquante dards, Vrishaséna avec trois flèches. 6,205.
Touché de compassion (1), il fatigua Kripa (2) de neuf traits, Çalya de seize et Karna de trente-deux projec- tiles. 6,206.
Dès qu'il eut frappé le'Sindhien de soixante-quatre flèches, il rugit comme un lion. Or, le roi du Sindhou alors, blessé des traits, lancés par l'arc Gândîva, ne put dans sa colère supporter ce traitement, comme un élé- phant, battu par le croc acéré. Le héros, qui porte un sanglier dans le champ de son drapeau, envoya rapide- ment sur le char de Phâlgouna des flèches au vol droit, fourbies par l'art de l'ouvrier, parties d'un arc tiré jusqu'à l'oreille et semblables à des serpents irrités (3).
6,207—0,208—6 209.
Quand il eut blessé Govinda de trois, Arjouna de six, il frappa ses chevaux de huit traits et son drapeau d'une seule flèche. 6,210.
Mais, ayant lancé des traits aigus adressés au Sindhien, Arjouna avec deux flèches trancha à la fois la tête du corps de son cocher et son drapeau richement orné. Atteint par le trait, brisé, son immense hampe coupée,
(1-2) Kripâyamâ?iakripam, encore un jeu de mots! (3) Krouddhàçivishasankâsdm, teite de Bombay.
86 LE MAHA-BHARATA.
Le sanglier du roi de Sindhou tomba, semblable à la flamme du feu. Dans cet instant même, où le soleil des- cendait rapidement, 6,211—6,212—6,213.
Djanârddana, précipitant ses mots, adressa alors ces paroles au fils de Pândou : « Voilà le Sindhien, que six vaillants guerriers, tous fameux héros, ont placé au milieu d'eux. 6,214.
» Il s'y tient, guerrier aux longs bras, tremblant et désirant sauver sa vie. Si tu ne commençais, taureau des hommes, par vaincre ces six héros, 6,215.
» Il serait impossible que tu triomphasses du Sindhien. Ainsi donc, Arjouna, je vais s^ns fraude (5) disposer mon yoga de telle sorte que le soleil en soit couvert. 6,216.
«Il est descendu à son couchant! » dira-t-il. Alors, transporté de joie, ce prince aux mauvaises mœurs, qui désire la vie, ne veillera plus d'aucune manière sur lui- même pour te donner la mort. Là, il te faut saisir, ô le plus vaillant des Rourouides, un défaut dans sa garde. 6,217—6,218.
» Tu dois surtout éviter toute négligence, car le soleil marche à son couchant, » Il dit. u Qu'il en soit donc ainsi ! » répondit Bibhatsou à Kéçava. 6,219.
Ensuite, l'ascète Hari-Rrishna, le seigneur des Yogîs, absorbé dans l'yoga, répandit l'obscurité sur le disque du soleil. 6,220.
A ces ténèbres, qu'il avait créées : « L'auteur de la lu- mière est descendu au mont Asta! » s'écrièrent les tiens, souverain des hommes, enchantés de la mort espérée du Prithide. 6,221.
(i) Yatoumrvyâdjam , texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 87
Les guerriers joyeux ne voyaient plus le soleil dans le combat : le roi Djayadratha, levant alors son visage et tourné vers la cause du jour, ce monarque du Sindhou ne put apercevoir le soleil. Krishna, adressant de nouveau la parole à Dhanandjaya, dit ces mots : 6,222 — (5,223.
«Vois l'héroïque souverain du Sindhou, qui regarde l'astre, auteur de la lumière ! Il a secoué la crainte, que tu lui inspires, ô le plus vaillant des Bharatides. 6,22û.
» Voici le moment pour la mort de ce prince vicieux ! Tranche-lui promptementlatête, guerrier aux longs bras, fais rendre son fruit à ta promesse. » 6,225.
A ces mots de Réçava, l'auguste fils de Pândou immola ton armée de ses flèches, pareilles au feu ou semblables au soleil. 6,226.
Il blessa Kripa de vingt traits et Karna de cinquante : il frappa Çalya et Douryodhana de six dards individuel- lement, Vrishaséna de huit et le Sindhien lui-même de soixante. Quand le Pândouide aux longs bras, sire, eut, de ses flèches, bless'; grièvement les tiens, il courut sur Djayadratha. Dès qu'ils le virent près d'eux, tel qu'un feu, armé de ses langues flamboyantes (1),
6,227—6,228—6,229.
Les défenseurs de Djayadratha tombèrent dans la plus grande incertitude. Alors, tous les guerriers de ta puis- sante majesté, désirant la victoire, inondèrent dans ce combat le Pâkaçâsanide des averses de leurs flèches. En- seveli sous plusieurs multitudes de traits, le filsdeKountî
6,230—6,231.
Aux longs bras, le rejeton invaincu de Kourou s'en
(i) Littéralement : comme un feu, qui lèche.
88 LE MAHA-BHARATA.
irrita. Ce tigre des hommes, aspirant à tuer ton armée, déploya sur elle un épouvantable filet aux mailles de flèches. Frappés par ce héros dans la bataille, tes com- battants, sire, 6,232—6,233.
Abandonnèrent, pleins d'effroi, le monarque du Sin- dhou. Deux ne fuyaient pas ensemble. Nous vîmes alors le prodigieux courage du fils de Kountî. 6,23Zi.
Il n'y a et il n'y eut jamais rien d'égal à ce que fit ce prince à la haute renommée. Tel que Roudra jadis exter- mina les bestiaux, tel il tua les éléphants à côté des élé- phants, les chevaux près des chevaux et les cochers eux- mêmes. Je ne vis personne dans le combat, souverain des hommes, qui ne fût blessé des flèches du Prithide, ni un homme, ni un coursier, ni un éléphant. Les yeux enve- loppés de poussière et d'obscurité, les combattants
6,235—6,236—6,237.
Tombèrent dans un abattement d'esprit effroyable; ils ne se distinguaient pas les uns les autres. Les guerriers, poussés par la mort et les membres percés des traits,
Tournaient sur eux-mêmes, Bharatide, vacillaient, tombaient, s'évanouissaient, expiraient. Tandis que s'agi- tait cette bataille grande, bien épouvantable, semée d'une froide terreur, à laquelle il était difficile d'échapper, et telle que la destruction des créatures, la poussière de la terre se calma sur la surface du sol, arrosé de sang, grâce à ses flots répandus et à la rapidité du vent. Les roues des chars étaient plongées dans le sang jusqu'aux moyeux. 6,238— 6,239— 6,2ZiO-6,2/jl.
Ivres (1), rapides, leurs cavaliers tués, leurs membres
(1) Mattâs, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 89
déchirés par milliers, les éléphants des tiens, sire, écra- saient leurs armées sur le champ de bataille et fuyaient, poussant des cris de détresse. Les chevaux, leurs hommes de selle immolés, et les fantassins, monarque des hommes,
6,242— 6,243.
Couraient, talonnés par la peur, sire, blessés des flè- ches de Dhanandjaya. Les cheveux épars, sans cuirasse, versant leur sang par des blessures, 6,244.
Les hommes fuyaient, épouvantés, ayant abandonné la tête de la bataille. Quelques-uns étaient là, se tenant sur la terre par les enlacements des cuisses : 6,245.
D'autres tombaient au milieu des éléphants tués. C'est ainsi que Dhanandjaya, sire, avait mis en déroute ton armée. 6,246.
11 immola de ses flèches effroyables les gardes du roi de Sindhou ; il couvrit d'un rézeau de traits acérés Karna, le Dronicle, Kripa, Çalya, Vrishaséna et Souyodhana. On ne voyait Arjouna, à cause de la rapidité de ses mouve- ments (1), ni prendre ses flèches au carquois, ni les jeter, ni les tirer, ni les encocher dans le combat. Sans cesse lançant des flèches, son arc paraissait toujours arrondi en cercle. 6,247— 6,248— 6,249.
Ses dards se montraient disséminés de tous les côtés. Dès qu'il eut tranché l'arc de Karna et celui même de Vrishaséna, 6,250.
Arjouna, le plus vaillant des victorieux, enleva d'un bhalla le cocher de Çalya au siège de son char. Après qu'il eut grièvement blessé de ses traits dans ce combat l'oncle et le neveu, Açvatthâman et le Çaradvatide ;
(i) Littéralement : de ses traits.
90 LE MAHA-BHARATA.
quand il eut ainsi jeté le trouble parmi les grands héros des tiens, 6,251—6,252.
Le fils de Pândou leva une flèche épouvantable, pareille au feu, d'une ressemblance égale à la foudre d'Indra et charmée par un astra céleste, 6,253.
Capable de supporter toute charge, éternelle, grande, honorée de bouquets et de parfums. Le rejeton de Kourou joignit avec elle l' astra de la foudre, récité suivant la règle donnée. 6,25/i.
Arjouna aux longs bras de l'encocher sur le Gândîva. A peine ce trait à la splendeur flamboyante fut-il appliqué sur l'arc, 6,255.
Il naquit dans l'atmosphère, seigneur, un immense tu- multe, élevé par les Bhoûtas; et Djanârddana d'une voix hâtée dit ces nouvelles paroles : 6,256.
« Dhanandjaya, tranche la tête de ce Sindhien vicieux : voici le soleil, qui veut se cacher derrière l'Asta, la plus haute des montagnes. 6,257.
» Écoute de ma bouche cette parole sur Djayad- ratha. Son père Vriddhakshattra fut célèbre dans le monde. 6,258.
» Après un long espace de temps, il obtint ici pour 'son fils le Sindhien Djayadratha, l'homicide des ennemis. Une voix, de qui la cause était invisible, non formée d'un corps, et qui avait le son du tambour des nuages, parla en ces termes au souverain des hommes : « Ce fils, qui t'est donné, seigneur, sera toujours égal à deux familles entre les mortels par sa naissance, le caractère, la placi- cidité de l'âme et les autres qualités. Le plus excellent des kshi tryas dans le monde, il sera toujours honoré des héros. 6,259—6,260—6,261.
DRONA-PARVA. 91
» Mais un ennemi, considéré sur la terre comme le plus éminent des guerriers, lui tranchera, dans sa colère, la tête dans un combat avec lui. » 6,262.
» Quand la voix eut parlé ainsi, vaincu par l'amour de son fils, le dompteur des ennemis, le roi de Sindhou, ayant rêvé long-temps, dit à tous ses parents : 6,263.
« La tête du guerrier, qui fera tomber sur la terre dans une bataille la tête de mon fils, combattant et soutenant une immense charge dans sa lutte, sera brisée en cent morceaux (1). 11 n'y a nul doute. » Après ces mots, il fit asseoir Djayadratha sur le trône. 6,26/j — 6,265.
» Embrassant les mortifications et les sacrifices, Vriddhakshattra se confina dans les forêts ; cet homme énergique y pratiqua une pénitence effrayante, incompa- rable. 6,266.
» Sorti de ce champ de bataille, qui s'étend de tous les côtés, ô toi, de qui le drapeau est un singe, lorsque tu auras coupé dans un grand combat la tête de Djayad- ratha, 6,267.
» Et défait les ennemis par une œuvre merveilleuse et un astra céleste, épouvantable, fais tomber promptement, frère mineur du fils de Maroute, la tête du roi de Sindhou, ornée de ses pendeloques, sur le sein de Vriddhakshattra; et, quand tu auras abattu son chef sur le sol de la terre,
(1) Ceci n'est pas conforme au dénouement; là, ce n'est point la tète d'Arjouna, mais celle du père lui-même, qui éclate en cent morceaux. Il y a donc erreur évidemment ou corruption dans l'un et l'autre texte. N'aurait-il pas fallu dire ici : «Quand uirguerrier fera tomber sur mon sein la tête de mon fils abattu sur la t rre, la mienne volera en cent éclats? » Il nous appartient ici, quoiqu'il en soit, de recommander ce passage à ceux, qui, dans l'Inde, s'occuperont dans un jour prochain de rechercher des manuscrits moins imparfaits.
92 LE MAHA-BHARATA.
» Alors ta tête éclatera en cent morceaux ; il n'y a nul doute. Appuyé sur un astra céleste, fais en sorte, ô le plus vertueux des Kourouides, que ce mystère échappe à la connaissance du roi, souverain de la terre; car il n'existe rien d'aucune manière qu'il te soit impossible d'exécuter, fils d'Indra, dans les trois mondes entiers. » A peine eut-il ouï ces paroles, léchant les angles de sa bouche, 6,278—6/279—6,270—6,271 —6,272.
Arjouna saisit pour la mort du Sindhien et lança une flèche éternelle, honorée de bouquets et de parfums, ca- pable de supporter tous les fardeaux, céleste, charmée par les formules des prières, et dont l'attouchement était semblable à la foudre d'Indra. Égal au vol rapide du faucon, ce trait, envoyé par le Gàndiva, 6,273 — 6,27Zi.
Ayant coupé la tête du monarque de Sindhou, s'en- vola dans les airs, emportant au milieu du ciel cette royale tête (1), que son fer avait tranchée, au désespoir de ses ennemis, à la joie de ses amis. Dans le temps que le Pândouide faisait du Sindhien un tronc (2) décapité par ses flèches, 6,27/1—6,275.
Et qu'il transportait (3) cette tête hors de tout l'espace du champ de bataille, dans ce même temps, le souverain de la terre, Vriddhakshattra, 6,276.
Ton énergique parent, vénérable souverain, adressait
(1) Texte de Bombay.
(2) Les deux éditions portent kadambakikritija ; ce doit être une faute de copiste, qui a transposé une syllabe, en altérant une lettre. Le sens de- mande : kabandhakîkritya. Nous faisons de nous-mème ce changement, en signalant cette mauvaise leçon à l'attention des futurs éditeurs du Mahâ- Bhârata.
(3) Édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 9S
alors sa prière au soleil couchant. Arjouna fit tomber dans le sein de ce monarque assis la tête du roi de Sindhou avec ses pendeloques et sa noire chevelure. Sa majesté Vriddhakshattra ne vit pas d'abord cette tête, dompteur des ennemis, qui tombait dans son giron avec ses étince- lantes girandoles. Ensuite, quand le sage vieillard eut récité sa prière à voix basse, il se leva, et la tête soudain tomba sur le sol de la terre : à peine la tête du fils de cet Indra des hommes eut-elle touché la terre, dompteur des ennemis, celle du vieux monarque au même instant éclata en cent morceaux (1). Tous les Bhoûtas furent alors saisis du plus profond étonnement : {De la stance 6,277 à ta stance 6,283.)
Ils exaltèrent le Vasoudévide et Bîbhatsou à la grande vigueur. Après que Kirîti eut immolé, sire, le monarque du Sindhou, 6,283.
L'obscurité du ciel fut enlevée par Krishna. Tes fils alors, souverain de la terre, et leurs suivants reconnurent que c'était une illusion, enfantée par le Vasoudévide. C'est ainsi que le prince du Sindhou, ton gendre, sire, le vainqueur de huit armées, fut à son tour abattu par le Prithide a la splendeur infinie. Une fois qu'ils eurent vu couché mort Djayadratha, le monarque du Sindhou, la douleur fit couler l'eau des yeux de tes fils. A la suite de cette victoire du fils de Prithâ, sire, Kéçava aux longs bras et Arjouna, le fléau des ennemis, remplirent de vent leurs conques; et Bhîmaséna lui-même, portant, pour ainsi dire, l'annonce de cet exploit au fils de Pândou, cou- vrit le ciel et la terre avec un vaste cri de guerre. A
(1) Relisez, page 91, l'observation mise en la note.
9h LE MAHA-BHARATA.
cette immense clameur entendue, "Youdhishthira, le fils d' Varna, (De la stance 6,28ù à la stance 6,290.)
Pensa que le magnanime Phâlgouna avait terrassé le monarque du Sindhou. Alors, il fit porter la joie (1) à ses guerriers par les accords de ses instruments de mu- sique; 6,290.
Et ils revinrent au combat, impatients de tuer le Bha- radwâdjide. Une bataille épouvantable de Drona avec les Somakas de s'élever au moment, où le soleil descendait au mont Asta. Les grands héros, après la mort du roi de Sindhou, combattirent de tous leurs efforts, désirant im- moler le fils de Bharadwâdja. Quand ils eurent obtenu la victoire et tué le prince du Sindhou, les Pândouides
6,291—6,292—6,293.
Combattirent, dans l'ivresse de leur triomphe, Drona çà et là. Arjouna lui-même, victorieux du roi Djayad- ratha, livra bataille, sire, aux grands héros, tes com- battants. 6,29£— 6,295.
Le guerrier, qui porte sur sa tiare une guirlande, les dispersa tous, comme le roi des Immortels sut exterminer les ennemis des Dieux ; et le héros accomplit sa promesse antécédente, tel que le soleil, élevé sur l'horizon, dissipe les ténèbres. 6,296.
« Après que l'Ambidextre, s'enquit Dhritarâshtra, eut décollé cet héroïque Sindhien, dis-moi, Sandjaya, ce que firent les miens. » 6,297.
Aussitôt qu'il vit, auguste roi, le Prithide immoler dans ce combat le monarque du Sindhou , Kripa , le Çaradvatide, tomba sous le pouvoir de la colère.
(t) Abhiharsayat, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 95
Il répandit (1) sur le Pândouide une grande averse de flèches. Le Dronide fondit sur Phâlgouna, le fils de Prithâ, monté sur son char de guerre. 6,298-6,299.
Ces deux plus vaillants héros, les meilleurs des maîtres de chars, firent tomber de leurs deux chars des pluies de flèches acérées. 6,300.
Ce héros aux longs bras, le plus excellent des maîtres de chars, accablé de ces deux immenses orages de flèches, fut plongé dans la plus amère détresse. 6,301.
Désirant tuer son gourou et le fils de son gourou, Dhanandjaya, le fils de Prithâ, accomplit une noble prouesse; 6,302.
Ayant arrêté avec ses astras les astras d'Açwatthâman et du Çaradvatide, impatient de tuer ces héros, il décocha des traits d'une certaine vitesse. 6,303.
Lancées par Djaya, ses flèches blessaient profondément; et la multitude des projectiles, jetait ces deux guerriers dans la plus profonde détresse. 6,304.
Ensuite, le Çaradvatide, accablé par les flèches du fils de Kounti, s'affaissa sur le banc de son char, majesté, et tomba dans la défaillance. 6,305.
Le cocher, voyant son frère jeté dans le trouble, accablé par les traits : « Il est frappé à mort! » se dit-il, et de le dérober aux coups de l'ennemi. 6,306.
Quand ce Kripa, le Çaradvatide, eut été brisé clans la guerre, Açwatthâman lui-même s'enfuit loin du Pân- douide, au milieu des chars. 6,307.
Dès que le Prithide, héros au grand arc, eut vu le Çaradvatide, accablé de ses flèches, tombé dans l'éva-
(1) Samavakirat.
96 LE MAHA-BHARATA.
nouissement, il donna des plaintes au sort de Kripa.
Consterné, la face remplie de larmes, il exhala ces mots : « Le voici donc, ce guerrier à la grande science, qui a dit au roi ces paroles, au moment où venait de naître ce criminel Souyodhana, qui entraîne sa famille à la mort: « Allons! jetez dans l'autre monde cet opprobre de sa race! 6,308—6,309—6,310—6,311.
» Car il fera naître un immense péril pour les princi- paux des Kourouides ! « La voilà donc accomplie la parole de cet homme, organe de la vérité. 6,B12.
» A cause de lui, je vois déjà mon vieux gourou étendu sur un lit de flèches ! Malheur au métier du guerrier ! malheur à la force et au courage ! 6,313.
» Quel homme tel que moi pourrait nuire à un brahme, instituteur spirituel? Ce fils de saint anachorète est mon âtchârya et l'ami chéri de Drona. 6,31/i.
» Le voilà, qui gît sur le banc de son char, accablé de mes flèches! Il souffre cruellement de mes traits, lancés contre ma volonté ! 6,315.
» Sur le banc de ce chariot de guerre, où il rend le dernier soupir, il ferme, pour ainsi dire, la voix aux souffles de mon existence. Atteint par mes flèches nom- breuses, ce brahme à la grande lumière, admirable à voir, il est percé de traits, envoyés par moi, homme, qui ai re- noncé aux dix vertus! Son Destin m'accable continuelle- ment de douleur plus encore que la mort de mon fils !
6,316—6,317.
» Vois, Krishna, vois Kripa affaissé sur le banc de son char, comme un corps privé de la vie. Les hommes émi- nents, qui donnent les présents désirés aux âtchâryas, de qui ils ont reçu la science, passent au rang des Dieux;
DRONA-PAHVA. 97
mais les abjects mortels, qui apportent à leurs gourous la mort en échange de la science, qu'ils ont aspirée d'eux, ces méchants descendent aux enfers. C'est l'œuvre, assu- rément digne du Naraka, que j'ai accomplie, moi, qui ai .tué horriblement un Atchârya dans son char sous la pluie de mes flèches! Voilà ce que m'a dit Kripa, quand jadis il me donnait un astra : 6,317— 6,318— 6,319— 6,320.
« Il ne faut, rejeton de Kourou, en aucune manière le diriger contre ton gourou. » Mais je n'ai pas obéi à cette parole de mon vertueux et magnanime instituteur, moi, qui ai fait tomber sur lui une averse de flèches sur le champ de bataille. Hommage lui soit rendu à ce Gota- mide, bien honorable, à qui la fuite est inconnue !
» Honte à moi, Vrishnide, qui ai lancé mon trait sur lui! » Tandis que l'Ambidextre se lamentait ainsi, Râdhéya, à la vue du Sindhien immolé, de fondre sur lui. Les deux Pântchâlains et Sâtyaki s'élancèrent à l'ins- tant sur l'Adhirathide, qui accourait contre le char d'Ar- jouna. Quand le fils de Prithà au grand char vit Râdhéya s'approcher, 6,321-6,322—6,323—6,324-6,325.
Il dit en riant ces paroles au fils de Dévaki : « Voici l'Adhirathide, qui s'avance contre le char de Sâtyaki.
« Sans doute, il ne peut supporter la mort de Bhoûri- çravas dans le combat! Pousse tes chevaux, Djanârddana, du côté par où il vient ! 6,326 — 6,327.
» Prenons garde que Vrisha ne conduise le Sâttwa- tide dans la route du fils de Somadatta ! » A ces paroles de l'Ambidextre, Kéçava aux longs bras, à la grande splendeur, lui répondit en ces mots opportuns : « Ce guerrier aux bras vainqueurs suffit seul, Pândouide, pour le combat de Rarna ; 6,328 — 6,329.
jx 7
98 LE MAHA-BHARATA.
» A plus forte raison, quand ce taureau des Sâttwatides est secondé par deux Pântchâlains. Cette bataille avec Karna ne te convient pas, fils de Priihâ. 6,330,
» La force (1) de ce guerrier est semblable au météore enflammé : c'est pour toi, vaillant meurtrier des héros ennemis, qu'elle est honorée et conservée. 6,331.
» Ainsi, laisse Karna s'avancer, de quelque manière qu'il voudra, du côté où est le Sâttwatide. Je te ferai con- naître l'instant fixé pour ce méchant, afin que tu abattes sur le sol de la terre cet homme sous tes flèches acé- rées. » 6,332—6,333.
« Voyons donc la rencontre du Vrishnide avec l'hé- roïque Karna! demanda Dhritarâshtra. Après que Bhoû- riçravas fut immolé et le roi du Sindhou tué, 6,33A.
» Sur quel char est monté Sâtyaki, réduit alors sans char? Conte-moi cela, Sandjaya, avec ce qui a trait aux deux Pântchâlains, gardes des roues. » 6,335.
Eh bien ! je vais te raconter, suivant les circonstances, cette grande bataille, répondit Sandjaya. Disposé à écouter, sois immobile d'attention, et maudis ta mauvaise conduite. 6,336.
Cette pensée vint jadis, seigneur, à l'esprit du Vasou- dévide, que le guerrier au drapeau de la colonne victi- maire doit vaincre le héros Sâtyaki ; 6,337.
Car Djanârddana connaît le passé et l'avenir. * Ni les hommes, quels qu'ils soient, ni les Rakshasas, les Ou- ragas et les Yakshas, ni les Gandharvas, ni les Dieux mêmes ne sont capables de vaincre les deux Krishnas. Les Sindhiens et les Immortels, sous la conduite du Pita-
(1) Explication du commentaire.
DRONA-PARVA. 99
mâha, connaissent la puissance incomparable de ces deux héros. Youyoudhâna, ayant donc fait venir son cocher Dârouka, lui avait prescrit cet ordre : « Que mon char soit préparé et attelé! » Ainsi avait parlé, sire, ce guerrier à la grande force. Dès qu'il eut vu Sâtyaki sans char et Karna exalté dans le combat, Mâdhava remplit avec le souffle du taureau (1) sa conque au grand son (2)*. Ayant connu l'ordre et entendu le son de la conque, Dârouka [De ta stance 6,338 à la s lance 6,343.)
Lui amena son char, sur lequel s'élevait le drapeau de Garouda ; et le petit-fils de Çini, avec le consentement de Kéçava, monta dans son chariot de guerre, semblable au feu ou au soleil et conduit par Dârouka. Quand il fut monté dans sa voiture, pareil au char des Immortels, attelée de Çaîvya, Sougrîva, Méghapoushpa et Valahâka, chevaux pleins d'ardeur, à la grande vitesse, ornés de médaillons en or, et qui allaient partout où ils voulaient,
6,343— 6, 344— 6,3/15.
Il courut sur Râdhéya, dispersant des flèches nom- breuses. Alors Outtamaâudjas et Youdhâmanyou, les deux gardes des roues, 6,346.
Abandonnant le char de Dharmarâdja, s'élancèrent au- devant de Râdhéya. Celui-ci même, grand roi, déchaîna une averse de flèches ; 6,347.
Et fondit, bouillant de colère, Impérissable, sur Çaî- néya dans la bataille. Jamais on n'entendit parler sur la terre ou dans le ciel d'un combat semblable, ni parmi les Rakshasas, les Ouragas et les Yakshas, ni parmi les
(1) Arsliabhéna, texte de Bombay.
(2) Nous avons transposé les vers contenus entre ces deux étoiles, suivant l'ordre, où la raison nous a paru les demander.
100 LEMAHA-BHARATA.
Gandharvas, ni même entre les Dieux. Cette armée, com- posée d'éléphants, de chevaux et de chars, cessa de com- battre, 6,358— 6,349.
Et contempla d'une âme pleine de stupéfaction, Mahâ- râdja, les prouesses de ces deux guerriers. Tous, ils virent le combat plus qu'humain de ces deux éminents hommes, sire, et l'habileté à conduire un char de Dâ- rouka. Ils admiraient, saisis d'étonnement, les allées, les retours, les cercles enveloppés dans les cercles, et les cir- convolutions du cocher Râçyapide (1), monté sur le char. Les Dânavas, les Gandharvas et les Dieux, attirés sur la voûte du ciel, 6,350—6,351—6,352.
Y vinrent contempler, d'une âme pleine d'attention, le combat de Karna et de Çaînéya. Ces deux braves, Karna, semblable à un Immortel, et Sâtyaki-Youyoudhâna, plein de vigueur dans la bataille, rivalisant d'audace pour la cause de leurs amis, firent éclater l'un sur l'autre, grand roi, des averses de flèches. 6,353 — 6,354.
Ne pouvant supporter la mort du prince Kourouide et de Djalasandha, Karna d'écraser le petit -fils de Çini sous les pluies de ses traits. 6,355.
Pénétré de chagrin, soupirant comme un grand ser- pent, l'Adhirathide, irrité dans le combat, brûlait, pour ainsi dire, Çaînéya de son regard dans le combat. 6,356.
Il courut mainte fois sur lui avec rapidité, domp- teur des ennemis ; mais Sâtyaki, le regardant avec des yeux irrités, lui rendit des blessures en échange des siennes; 6,357.
Et l'inonda avec une vaste grêle de traits, comme un
(1) Dâfouka.
DRONA-PARVA. 101
éléphant, qui attaque un pachyderme ennemi. Ces deux tigres des hommes, impétueux comme deux tigres des forêts, et d'une valeur sans égale dans le combat, en étant venus aux mains, se déchirèrent mutuellement. Ensuite, le petit fils de Çini blessa mainte fois en tous ses membres Rarna, le vainqueur ' des ennemis, avec des flèches, toutes de fer massif, et il enleva son cocher au siège du char avec un bhalla. (5,358—6,359—6,360.
Il tua de ses dards acérés les quatre chevaux blancs ; et, quand ce plus éminent des guerriers eut tranché avec cent traits son drapeau en cent morceaux, 6,361.
Il réduisit Karna sans char aux yeux mêmes de ton fils. Alors, les tiens découragés, sire, éminent Bhara- tide, 6,362.
Vrishaséna, le fils de Karna, Çalya, le roi de Madra et le fils de Drona arrêtèrent de tous les côtés Çaînéya. 6,363.
Partout régnait le trouble; on ne distinguait plus rien : au milieu de toutes les armées s'éleva un vaste brouhaha, quand Sàtyaki eut mis à pied l'héroïque fils du cocher. Karna lui-même agité, sire, et couvert des flèches du Sâttwatide, 6,364—6,365.
Monta, gémissant, dans le char de Douryodhana. Il avait été, dès sa plus tendre jeunesse, honoré au rang de ses amis, 6,366.
Et il avait gardé la promesse, qu'il fit au temps où un royaume lui fut donné. Quand il eut réduit Karna sans char, Sâtyaki prédominant de frapper, sire, les héros, tes fils, cà la tète de qui marchait Douççâsana. Observant la promesse, que Bhîmaséna et le Prithide avaient faite jadis, 6,367—6,368.
11 jeta le trouble parmi ces guerriers, réduits sans char; mais il ne les priva pas de l'existence. Vrikaudara avait
102 LE MAHA-BHARATA.
promis la mort à tes fils ; mais le Prithide, dans le mo- ment du jeu, avait juré la mort de Rarna. Les héros, qui recevaient les ordres de celui-ci, déployèrent leurs efforts pour lui donner la mort; 6,369 —6,370.
Mais les premiers des braves ne purent immoler Sâ- tyaki. Le Dronide, Kritavarman et les autres fameux héros, les plus grands des kshatryas, furent vaincus cent fois par son arc seul, qui désirait l'autre monde et le plaisir de Dharmarâdja. 6,371 —6,372.
Sâtyaki, égal en bravoure aux deux Krishnas, ce héron, qui traîne les cadavres des ennemis, vainquit en riant toutes tes armées. 6,373.
Ce monde aura pour son vainqueur, ou Krishna, ou le Prithide, qui porte l'arc, ou Sâtyaki ; mais on n'en voit pas un quatrième, ô le plus grand des hommes. 6,37Zi.
« Monté sur le char invincible du Vasoudévide, Sâ- tyaki a réduit Karna sans char, observa le roi Dhrita- râshtra. Associé à Dârouka et fier de la force de ses bras, il est égal au Vasoudévide dans la guerre. Est-ce que Sâtyaki est remonté sur un autre char? 6,375 — 6,376.
» Je désire entendre cette chose : car tu es un habile narrateur. Ce héros est, je pense, impossible à soutenir! Raconte-moi cela, Sandjaya, » 6,377.
Écoute, sire, lui répondit l'interrogé, que ce cocher à la haute sagesse, le frère mineur de Dârouka, lui amena précipitamment un autre char, construit suivant les règles de l'art, 6,378.
Possédant un timon, armé de fer et revêtu d'or jusqu'à la valeur d'un padma(1), constellé par un millier d'étoiles,
(1) Dix milliards.
DRONA-PARVA. 105
abrité sous des guidons et un drapeau à l'enseigne du lion. 6,379.
Il lui avait préparé, dis-je, un char, ayant le bruit profond des nuages, attelé de chevaux rapides comme le vent, et parés sur le poitrail de médaillons en or. 6,380.
Çaînéya, monté sur ce char, fondit sur ton armée, et Dârouka lui-même du pas, qu'il voulut, s'avança vers le Vasoudêvide Kéçava. 6,381.
On fit même pour Karna un chariot sublime, grand roi, attelé de chevaux de noble race, à la rare vitesse, revêtus d'armures en or varié, et blancs comme le lait de la vache ou la conque, ombragé d'un drapeau, muni d'une galerie en or, doué d'un vexillaire et d'un cocher, avec un conducteur habile, un appareil de guerre et toutes sortes de flèches. Étant monté sur ce char, Karna fondit sur les ennemis. Ici, j'ai fini de te raconter entièrement les choses, sur lesquelles tu m'interroges.
6,382—6,383—6,384.
Écoute encore la haine, qui est enfantée par ton ab- sence de politique! Trente-et-un de tes fils, ayant mis Dourmoukha à leur tête, sont tombés sous les coups de Bhîmaséna, que son héroïsme n'abandonne jamais; des héros par centaines, sous la conduite de Bhîshma et de Bhagadatta, ont mordu la poussière sous le fer d'Arjouna et du Sâttwatide; et cette catastrophe, auguste monarque, est arrivée à la suite de tes mauvais conseils.
6,385—6,386—6,387.
« Les héros tombés en cette condition dans la guerre, qu'eux et moi nous faisons, s'enquit Dhritarâshtra, que fit alors Bhîmaséna? Dis-moi cela, Sandjaya. » 6,388.
Réduit sans char, accablé par Çalya, en proie aux
10Û LE MAHA-BHARATA.
flèches de Karna, lui répondit le narrateur, Bhîmaséna, plongé sous la puissance de la colère, dit ces mots à Phâlgouna : 6,389.
« Eunuque, insensé, glouton! Homme, qui n'as pas étudié les armes, contre qui as-tu fait cette guerre (1), enfant, privé de force dans les combats? » Voilà ce que m'a dit mainte et mainte fois Karna, sous tes yeux, Dha- nandjaya; et je me suis écrié, Bharatide : « Il faudra que je donne la mort à l'homme, qui parle ainsi ! »
6,390—6,391.
» J'ai fait ce serment avec toi, guerrier aux longs bras; et, de même qu'il est obligatoire pour moi, il n'y a nul doute, fils de Rountî, que tu ne sois obligé par lui.
» Rappelle-toi cette parole, ô le plus vertueux des hommes, et observe-la. Agis de telle sorte, Dhanandjaya, que ce soit une vérité! » 6,392 — 6,393.
A ces mots de Bhîmaséna, Arjouna, au courage sans mesure, s'approcha un peu de Karna sur le champ de bataille et lui parla en ces termes : 6,394.
« Karna! Karna! Homme à la vue fausse, fils de co- cher, qui te donnes à toi-même des éloges, esprit dépravé, écoute maintenant ce que je vais te dire ! 6,395.
» Les faits des héros sont de deux sortes dans le com- bat : la victoire et la défaite! Ces deux choses, Râdhéya, sont transitoires dans les combats, que livre Indra lui- même. 6,396.
Réduit sans char, les organes des sens troublés, sur le
(i) Réunissez dans un seul mot la dernière syllabe de akritàstruka avec la première lettre du mot suivant màyotsis : cette mauvaise lecture vous trompe et vous arrête un moment.
DRONA-PARVA. 105
point de mourir sous les coups d'Youyoudhâna, il se rappela que j'avais dit : « Tu seras mis à mort par moi ! » et il te laissa vivant te retirer après sa victoire. 6,397.
» Tu as eu le plaisir de mettre à pied Rhîmaséna; mais, quant à ces paroles, Râdhéya, que tu lui as jetées en homme vicieux, apprends ceci-. 6,398.
» Quand ils ont vaincu un ennemi, les hommes émi- nents, qui sont des héros, ne parlent pas avec jactance; ils ne disent rien de blessant, ils n'adressent aucun re- proche. 6,399.
» Mais toi, qui as la science d'un homme abject, tu as vomi des paroles choquantes contre Bhîma, un héros, qui combat, qui marche avec audace, qui fait sa joie d'un noble vœu : aucune de ces choses n'est vraie! Aux yeux de tous les guerriers, de Kéçava et de moi-même,
6,400— 6,401.
» Nombre de fois , Bhîmaséna t'a réduit sans char dans le combat; et ce fils de Pândou ne t'a dit rien, qui fût une injure! 6,40*2.
» Parce que tu as fait entendre à Vrikaudara tant de paroles dures, et parce que vous avez tué loin de mes yeux le Soubhadride, mon fils, 6,403.
» Reçois maintenant le fruit de cette insolence ! C'est pour ta mort à toi-même, guerrier stupide, que tu as tranché mon arc! 6,404.
» A cause de cela, insensé, il faut que tu périsses de ma main, toi, tes coursiers, tes serviteurs et ton armée! Déploie tes efforts entièrement; tu es tombé dans un grand danger! 6,405.
» J'ai tué Viïshaséna, ton fils, dans !e combat, sous tes yeux mêmes ; et je tuerai tous les autres souverains
106 LE MAHA-BHARATA.
de la terre, que leur démence fera s'approcher de moi : c'est aussi vrai que je touche mes armes ! Quand le stu- pide Douryodhana t'aura vu couché sur le champ de bataille, toi, orgueilleux, insensé, qui n'as point acquis la science, il sentira les pointes d'un amer repentir! » Après qu'Arjouna eut fait cette promesse de la mort au fils du cocher (1), 7,406— 6,407— 6,408.
Les maîtres de chars élevèrent alors un bruit vaste et bien tumultueux. Tandis que se livrait la bataille con- fuse, inspirant l'épouvante, 6,409.
L'astre aux mille rayons rendait au mont Asta sa lu- mière émoussée. Hrishlkéça, embrassant Bîbhatsou, qui se tenait à la tête du combat et qui avait rempli sa promesse de lui parler en ces termes : « Tu as heureu- semement, Djishnou, accompli ta grande promesse! »>
6,410-6,411.
Ce criminel Vriddaksthattra fut heureusement immolé avec son fils ! A peine arrivé dans l'armée du Dhritarâsh- tride, Dévaséna lui-même, s'est affaissé dans le combat : il n'y a, Djishnou, nul doute à faire ici. J'ai beau y pen- ser, je ne vois nulle part dans les mondes aucun homme, si ce n'est toi, tigre des hommes, qui puisse combattre avec cette armée ! Les souverains de la terre nombreux, à la grande puissance, égaux ou même supérieurs à toi, rassemblés ici par les ordres du fils de Dhritarâshtra , une fois arrivés en présence de ta colère, au milieu du combat, n'ont pu s'en retourner en dépit de leurs cuirasses, 6,412-6,413—6,414—6,415.
(1) Les deux éditions portent au fils de Karna ; mais c'est à Karua qu'il s'adresse et c'est à lui-même, qu'il vient de promettre la mort.
DRONA-PARVA. 107
« Ta valeur et ta force sont égales à celles de Çiva, d'In- dra ou de la mort ! Personne ne pourrait accomplir dans la bataille un exploit semblable à ce que ton bras seul a fait aujourd'hui, fléau des ennemis! Quand tu auras tué ainsi l'odieux Karna avec sa famille, je t'exalterai encore plus, victorieux de tes rivaux et foulant aux pieds tes ennemis. » Arjouna lui répondit : a C'est grâce à toi, Mâdbava, 6,416— 6,417— 6,418.
s Que j'ai rempli cette promesse, qui serait difficile à tenir aux Immortels eux-mêmes. La victoire n'a rien, qui étonne en ceux, de qui tu es le protecteur, Kéçava.
» Youdhishthira, grâce à toi, obtiendra la surface entière de la terre! La puissance est à toi, Vrishnide! La victoire t'appartient, seigneur. 6,419 — 6,420.
k Nous te devrons notre élévation, meurtrier de Ma- dhou, et nous sommes tes serviteurs! » Krishna, à qui ces mots, étaient adressés, conduisant les chevaux avec lenteur, lit contempler en souriant au fils de Prithâ cette vaste scène du combat à l'aspect épouvantable.
« Des princes, qui ambitionnaient la victoire dans la bataille, répondit Karna, et une grande renommée, ré- pandue au loin, héros, que tes flèches ont privés de la vie, gisent maintenant sur la terre. 6, 421 — 6,422 — 6,423.
» Ou, les parures et les flèches éparses çà et là, leurs cuirasses déchirées, fendues en morceaux, les éléphants, les chars, les coursiers plongés dans l'infortune, ils sont tombés dans le plus profond abattement; 6,424,
» Les uns vivants, les autres morts, et tous doués de la plus haute splendeur. On voit les souverains des hommes, ceux-là presque animés encore des souffles vi- taux, ceux-ci déjà l'àuie exhalée. 6,425.
108 LE MAHA-BHARATA.
» Vois la terre toute remplie de leurs flèches, empen- nées d'or, et de leurs javelots divers, et de leurs che- vaux, et de leurs armes, 6,426.
» De cuirasses et de colliers de perles, de têtes ornées de pendeloques, de turbans, de tiares, de bouquets et même d'aigrettes en pierreries. 6,427.
» La terre resplendit, Bharatide, de fils d'or à cein- dre le cou, de bracelets, de nishkas bien étincelants, et d'autres parures admirables, 6,428.
» De caisses de chars, de carquois, de drapeaux et d'étendards, d'appareils de guerre, de rênes, de timons et d'attaches au joug, 6,429.
» De disques acérés, de roues diverses, brisées en plu- sieurs morceaux dans le combat, d'attelages, de cochers, de décorations, d'arcs et de traits, 6,430.
» De housses coloriées, de couvertures, de massues, de crocs, de lances en fer, de bhindipâlas, d'étuis à flèches, de tridents et de haches, 6,431.
» De traits barbelés, de javelots harponnés, de bâtons mêmes, de çataghnîs, de bhouçoundîs, de cimeterres et de couperets, 6,432.
» De moushalas, de maillets d'armes, de pilons et de cadavres, de fouets au travail d'or, fils de Bharata, 6,433.
)> De clochettes et de différents médaillons pour les In- dras des éléphants, de guirlandes, de parures diverses et de vêtements de grands prix ; 6,434.
» La terre brille de ces objets épars, comme le ciel automnal des étoiles, dont il est émaillé. Étendus sans vie sur la terre, parce que la jouissance de cette terre, fut la cause de leurs combats, les maîtres de la terre dans l'éternel sommeil tiennent la terre, embrassée de leurs
DRONA-PARVA. 109
membres, comme une amante chérie! Ces éléphants, pa- reils à des cîmes de montagnes semblables à Aîrâvata,
6,435— 6,436. » Vois-les, héros, verser un fleuve de sang par les ou- vertures de leurs blessures, telles que des cavernes, et ressembler à des montagnes, que les bouches de leurs an- tres arrosent de tous les côtés avec des ondes aux pépites d'or ! Renversés sous tes flèches, ils gisent sans mouve- ment sur la terre! Vois ces chevaux abattus, parés de médaillons d'or, 6,437—6,438.
» Leurs maîtres immolés, les chars semblables à la ville des Gandharvas, les drapeaux et les étendards ren- versés, leurs galeries détruites, sans roues, leurs cochers tués. 6,439.
» Vois égorgés sur la terre, auguste Prithidc, ces cou- ples de chevaux, qui offrent un aspect tel que les chars des Dieux, avec les timons coupés, les attaches des jougs brisées; 6,440.
» Ces fantassins privés de la vie, héros, par centaines et par milliers, qui endossent la cuirasse et portent l'arc, endormis à jamais, baignés de sang ! 6,441.
» Vois, guerrier aux longs bras, ces combattants, le corps rompu de tes flèches, les cheveux épars dans la poussière, qui ont embrassé la terre de tous leurs mem- bres! 6,442.
» Vois, ô le plus grand des hommes, la surface de la terre à l'aspect hideux, pleine de coursiers, d'éléphants et de chars abattus, couverte d'un limon de chair, de graisse et de sang, cause de réjouissances pour les Piçâtchas, les loups, les chiens et les Rakshasas! 6,443. » Ce carnage, vaste, et qui ajoute à la renommée de
110 LE MAHA-BHARATA.
tes œuvres sur un champ de bataille, est digne de toi, seigneur, comme d'un Çatakratou, le plus élevé des Dieux, qui veut exterminer les Daîtyas et les Dânavas dans un grand combat (1). 6,!ihli.
Le meurtrier de ses rivaux, Djanârddana, montrant à Kirîti la terre des ennemis, s'approcha du Pândouide Adjâtaçatrou, et lui annonça que Djayadratha était mort.
» Vois, comme si elle était couverte d'étoffes admira- bles de soie, la terre jonchée d'éléphants, de chars, de chevaux, de drapeaux, d'ombrelles, de chasse-mouches et d'éventails, de housses peintes, variées à l'usage des coursiers, de caisses de chars, de différentes couvertures et des guerriers à la grande opulence réduits sans char.
6,ZiZi5— 6,û46— 6,û/j7.
» En voici d'autres, qui sont tombés du haut de leurs éléphants caparaçonnés, et les proboscidiens eux-mêmes avec eux, tels que des lions renversés des sommets d'une montagne, que la foudre a brisée. 6,ZU8.
» Ces autres sont cloués, pour ainsi dire, à leurs che- vaux, les arcs aux poings ; voici des hommes de pied, voici des troupes de cavaliers, arrosés de tous les côtés par des fleuves de sang (2). » 6,Zi/|9.
Montrant ainsi à Kirîti le champ de bataille, Krishna, réuni avec les siens, remplis de joie, fit résonner le Pan- tchadjanya. 6,Zj50.
(1) Ce discours parasite, qui interrompt la suite de la narration, qui est lui-même interrompu à l'arrivée inopportune du vers suivant (6,445), et qui ne semble nullement convenir au caractère de Karna, respire une intrusion maladroite de l'un à l'autre bout, ou plutôt une inadvertance : c'est Kéçava et non Karna qu'on a voulu dire à la page 107, ligne 21. 11 fau- drait ici, pour éviter l'interruption, supprimer cette stance 6,445.
(2) Ces quatre stances manquent avec raison dans l'édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 111
Il s'approcha du monarque Youdhishthira, le fils d'Yama, et, s'inclinant en sa présence, lui annonça d'une âme joyeuse la victoire du Prithide sur le roi du Sin- dhou : 6,451.
« Par bonheur, tes affaires s'accroissent, Indra des rois ; ton ennemi est tué, ô le plus grand des hommes ! Avec bonheur, ton frère puîné vient d'accomplir sa pro- messe ! s 6,452.
A ces mots de Krishna, le conquérant des cités enne- mies, le roi Youdhishthira joyeux s'élança, Bharaùde, hors de son char. 6,453.
Les yeux enveloppés des larmes de la joie, il embrassa alors les deux Krishnas ; puis, essuyant son beau visage d'un éclat semblable à la fleur du lotus, il dit au Vasou- dévide et au Pândouide Dhanandjaya : c Je vous revois avec bonheur, grands héros, qui avez supporté voire charge dans le combat! 6,454 — 6,455.
» Grâce au Destin, le plus vil des hommes, le criminel Sindhien fut immolé ! Grâce au Destin, vous deux, Krishnas, vous m'avez fait obtenir une grande joie !
» Grâce au Destin, les armées des ennemis ont été plongées dans une mer de chagrins ! Ceux, de qui tu es le protecteur, meurtrier de Madhou, ne commettent pas dans les trois mondes la moindre action criminelle, docte précepteur de tous les mondes. Grâce à toi, Govinda, la victoire sur les ennemis nous est assurée,
6,456—6,457—6,458.
» Comme jadis sous ta protection, Pâkaçâsana vainquit les Dânavas. De même que leur victoire est certaine sur la terre, de même, honorable Vrishni, ceux, de qui tu es satisfait, sont-ils assurés de vaincre les trois mondes eux-
112 LE MAHA-BHARATA.
mêmes ! 11 n'existe pour eux ni une faute à commettre, ni une défaite à subir dans la guerre. 6,459 — 6,460.
» Tu es le protecteur, souverain des Tridaças, ô toi, qui donnes l'honneur, de ceux, qui te procurent le con- tentement. C'est par ta grâce, Hrishîkéça, que Çakra est le monarque du chœur des Immortels. 6,Zi61.
» Favori de la fortune, tu as obtenu au front du combat la victoire sur les trois mondes : seigneur des Tridaças, les Dieux mêmes sont un présent de ta grâce. 6,Zj62.
» Entrés dans l'immortalité, Krishna, ils jouissent des mondes éternels. Grâce à toi, Çakra, aux mains de qui est tombé le sceptre des Dieux, a vaincu par son courage élevé les Daîtyas par milliers. Grâce à toi, Hrishîkéça, ce monde des êtres immobiles et mobiles, 6,A63 — 6,464.
» Constitué dans ses routes, décrit sa révolution au milieu des prières à voix basse et des oblations de beurre clarifié. Au commencement des choses, tout n'était qu'une mer, enveloppée d'obscurité ; 6,465.
» Grâce à toi, Dieu aux bras puissants, le monde est arrivé à l'être, ô le plus grand des hommes. Quiconque sait que Hrishîkéça est le créateur de tous les mondes, l'Éternel, l'âme première, n'est jamais le jouet du délire. Ceux, qui sont parvenus à la science que tu es le Dieu premier, l'antique, l'éternel Dévadéva, le gourou des Souras, ne sont jamais le jouet du délire. Ceux, qui sont dévots en toi, sans commencement, sans fin, le Dieu sempiternel, l'architecte du monde, l'homme primitif, antique, qui précède même les premières choses créées, traversent heureusement, Hrishîkéça, des renaissances infranchissables. 6,466— 6,467—6,468— 6,469.
DROM-PARVA. 113
» La plus haute félicité est préparée à quiconque s'in- cline devant ce premier, par qui tout commence. On chante quatre Védas, et je me prosterne devant le magna- nime, qui est chanté dans les Yédas : je goûte la plus haute félicité, seigneur des origines, souverain des sou- verains des premiers êtres, maître des animaux, seigneur des enfants de Manou. 6,470 — 6,471.
» Adoration à toi, le plus grand des hommes, su- zerain des empereurs de toutes les dominations. Tu es le maître, le seigneur, le souverain ; prospère, auguste Màdhava ! 6,472.
» Sois la bonne fortune elle-même de l'univers, Dieu aux grands yeux, âme de l'univers ! Quiconque s'est approché du protecteur de Dhanandjaya, quiconque est l'ami de Dhanandjaya, quiconque est zélé pour son bien, il s'accroît en bonheur ! » A ces paroles du magnanime, Kéçava et le Pândouide 6,473 — 6,474.
Dirent joyeux au monarque , maître de la terre : « Le criminel roi Djayadratha fut consumé par le feu de ta colère. 6,475.
» Nous avons traversé (1) dans le combat (2) l'armée immense du Dhritarâshtride. Les Kourouides, que nos coups ont atteints, sont morts, et les autres périront, meurtrier de tes ennemis, frappés de ta colère. Le stu- pide Souyodhana, qui a soulevé ton ressentiment, héros, qui consume de tes regards, abandonnera les souffles de la vie dans le combat, avec ses amis, avec ses parents. Le bisaïeul des Kourouides , Bhîshma , inaccessible aux Dieux mêmes, une des premières victimes de ta colère,
(1-2) Uttlrnam.... ranai, texte de Bombay.
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114 LE MAHA-BHARATA.
gît, couché sur un lit de flèches. Certes ! homicide des ennemis, la victoire est pour eux difficile à obtenir dans un combat. 6,470 — 6,477— 6,478— 6,479.
» Ceux, que tu hais, fils de Pândou, sont tombés sous le pouvoir de la mort : ceux, contre qui tu es irrité, fléau des ennemis, ont vu périr depuis long-temps leurs joies diverses, leurs amis, leurs fils, leur trône et les souffles mêmes de la vie. Les Kourouides sont déjà morts, je pense, avec leurs fils, leurs parents, leurs troupeaux, sous le poids de ta colère, fléau des ennemis, qui occupes toujours le plus haut rang dans le devoir d'un roi. » En- suite Bhîmaséna aux longs bras (1) et le grand héros Sâtyaki, 6,480—6,481—6,482.
Couverts des blessures dues aux flèches, s'inclinèrent devant le plus vertueux des hommes, qui méritaient le respect. Ces deux puissants héros blessés étaient envi- ronnés des Pântchâlains. 6,483.
Dès qu'il vit s'approcher ces deux braves (2) joyeux et les mains jointes, le fils de Kountî les salua : 6,484.
« Grâce à la fortune, je vous revois, héros, échappés à la mer des armées, à Drona, l' in affron table requin, à l'océan de Hârddikya, séjour des monstres marins!
» Grâce à la fortune, nous avons triomphé dans le combat (3) de tous les princes de la terre !
« Grâce à la fortune, je vous revois tous deux triomphants au milieu de la guerre! Grâce à la fortune, Drona et le grand Hârddikya ont été vaincus dans le combat! 6,485.
(1) Mahàbdhous, texte de Bombay.
(2) Le texte en répète ici les noms.
(3) Sankhyai, texte de Bombay.
DRONA-PARVA 115
» Grâce à la fortune, les Vikarnins (1) ont conduit dans la bataille Karna à la défaite; et Çalya fut réduit par vous deux, hommes éminents, à tourner le dos.
6,486—6,487—6,488.
» Grâce à la fortune, je vous revois, instruits dans les combats et les deux plus excellents maîtres de chars, re- venus, la vie sauve, du combat! 6,489.
» Grâce à la fortune, je vous revois, soumis à mon au- torité, ayant exécuté ma parole et traversé la mer des armées! 6,490.
» Grâce à la fortune, je vous revois, héros, qui vous glorifiez de vos combats, qui ne fuyez pas dans les ba- tailles et qui êtes égaux l'un et l'autre aux souffles de ma vie! » 6,491.
A ces mots, sire, le Pàndouide embrassa les deux tigres des hommes, Youyoudhâna et Vrikaudara, et versa des larmes de joie. 6,492.
Toute l'armée fut ravie de satisfaction, souverain des mortels, et, joyeuse du combat des Pândouides, elle mit son esprit à la bataille. 6,493.
Après la mort du Sindhien, ton fils Souyodhana, sire, le visage baigné de larmes, contristé, sans énergie pour la victoire des ennemis, 6,494.
Le cœur affligé, poussant de brûlants soupirs, comme un serpent, les dents brisées, ton fils, le plus grand pécheur du monde entier, tomba dans la plus profonde anxiété. 6,495.
(1) Ce composé veut dire : gui est dépourvu d'oreilles. Mais il manque chez "Wilson, dans Bopp et l'Amara-Kosha ; Bohtlingk et Roth ne sont pas arrivés encore à ce mot. Faute de renseignements, nous évitons de le traduire.
116 LE MAHA-BHARATA.
Quand il vit cette grande, cette épouvantable confusion, qu'avaient jetée dans ton armée au milieu de la guerre Djishnou, Bhîmaséna et le Sâttwatide, 6,496.
Pâle, maigri, affligé, les yeux baignés de larmes: « Il n'existe pas sur la terre, pensa-t-il, un guerrier s m- blable à Arjouna, 6,497.
» Ni Drona, ou Râdhéya, ni Açwatthâman ou Rripa n'est capable de rester, le pied ferme, devant sa colère! » Telles étaient, auguste roi, ses pensées. 6,498.
» Quand le Prithide eut vaincu tous mes grands héros dans le combat, il immola le Sindhien, et il n'y eut per- sonne, qui pût l'empêcher. 6,499.
» Les Pàndouides ont battu même de toute manière cette mienne grande armée et il n'y eut personne, qui pût nous sauver de lui, fût-ce même Pourandara en personne. 6,500.
» Arrivé près de ce héros, et déployant les efforts de ses armes dans la bataille, Karna fut vaincu et Djayad- ratha immolé dans le combat! 6,501.
» Karna, à l'énergie duquel me confiant, j'ai regardé et traité comme une poignée d'herbes Atchyouta, qui sollicitait la paix, a été vaincu dans la bataille! » 6,502.
Le cœur ainsi consterné, sire, il s'en alla voir Drona. Ton fils, éminent Bharatide, le plus grand pécheur de tout l'univers, 6,503.
Lui exposa entièrement le carnage effrayant des Kou- rouides, et les prouesses a" Arjouna, qui triomphait des ennemis et plongeait dans l'infortune les fils de Dhrita- ràshtra. 6,504.
« Vois, Atchârya, lui dit-il, vois la grande confusion des hommes au front consacré! Quand nous eûmes mis à
DRONA-PARVA. 117
notre tête l'héroïque Bhishma, mon bisaïeul, 6,505.
» Le cupide Çikhandî , l'arrogance en sa plénitude, l'abattit, et, accompagné de tous les Pântchâlains, il s'approcha du front de mon armée. 6,506.
» Un autre, Dourdharsha, ton disciple, fut encore tué par l'Ambidextre; et, quand il eut défait sept armées complètes, il immola même le roi Djayadratha. 6,507.
» Ces amis, mes auxiliaires, ces maîtres de la terre, qui désiraient ma victoire, qui voulaient pour moi conquérir la terre, comment ai-je pu acquitter ma dette envers eux, qui sont descendus au séjour d'Yama?ils ont abandonné la souveraineté de la terre, et gisent, étendus sur le sein de la terre! 6,508 6,509.
» Après que j'ai fait, moi, homme méprisable, une telle perte de mes amis, mille sacrifices ne suffiraient point à purifier mon âme. 6,510.
» Désirant la victoire pour moi, cupide, criminel et qui me suis écarté du devoir, le combat les a conduits au monde de la mort. 6,511.
» Comment la terre n'a-t-elle pu, dans l'assemblée des princes (1), me donner une fosse, à moi, de qui la con- duite est déchue et qui nuis à mes amis! 6,512.
» Que dirai-je (2), au milieu des rois, à mon bisaïeul, de qui les membres sont humides de sang (3)? Que dira-t-il, quand je m'approcherai de lui, cet inafîrontable vainqueur du monde des ennemis? 6,515.
» Vois, puissant guerrier, ce héros, qui avait aban- donné sa vie, tandis qu'il déployait ses efforts à cause
(1) Pârthivasansadi, texte de Bombay.
(2-3) Yau'hanradhirasiktângan,... pitâmahan, teite de Bombay.
118 LE MAHA-BHARATA
de moi, Djalasandha au grand arc, tombé sous les coups deSâtyaki! 6,51/i.
» Qu'ai-je affaire encore de la vie, quand je vois, cou- chés sur la terre, et le Rambodjain, et Alambousha, et tant d'autres, mes nombreux amis? 6,515.
» Des braves, qui ne savaient pas tourner le dos, qui se consumaient en efforts dans l'intérêt de ma cause et luttaient par-delà leurs forces pour vaincre mes ennemis, ont mordu la poussière. 6,516.
» Aujourd'hui, j'irai acquitter ma dette envers eux, autant qu'il dépendra de moi, et je rassasierai d'eau leurs mânes, le long des rives de l'Yamounâ (1). 6,517.
» Je le promets avec vérité, ô le meilleur de tous ceux, qui manient l'arc; je le jure sur mes sacrifices, mes œuvres méritoires, mon courage et les Dieux mêmes: 6,518.
» Je les immolerai tous, les Pândouides et les Pân- tchâlains, ou je recevrai (2) d'eux la mort dans le combat et j'irai m' unir aux éléments. 6,519.
» Je m'en irai là, où sont tes éminents guerriers, que Kirîti immola dans le combat, où ils employaient leurs armes pour ma cause. 6,520.
» Mes compagnons, qui ne sont pas secourus, n'atta- quent plus maintenant : ce sont les Pândouides , héros aux longs bras, et non pas nous, qu'ils regardent comme la voie de salut. 6,521.
» Placé véritablement toi-même comme la mort dans le combat, ta sainteté usa de ménagements à l'é-
(1) Yamanâmanu, texte de Bombay.
(2) Édition de Bombay.
DRONA-PARVA. 110
gard d'Arjouna, parce qu'il est ton disciple. 6,522.
<> De-là furent immolés tous ceux, qui voulaient as- surer ma victoire. Mais je vois Rarna, qui désire main- tenant encore mon triomphe. 6,523.
» Quiconque ne sait pas de quelque manière distin- guer un ami et le sacrifie à la victoire, si un jour il a besoin de trouver en lui un ami, est victime de la mort.
» On m'a prêté un tel caractère, dont je dois être af- fublé par mes plus grands amis : je suis cupide jusqu'au délire, vicieux, hypocrite, et je soupire pour la richesse !
6,524— 6,525.
» Le roi Djayadratha fut immolé, et le courageux So- madattide, et les Abhîshahas, les Souraçénains, les Çi- vayens et les Vaçâtayens. 6,526.
» Je m'en irai maintenant là, où sont tes éminents guerriers, que Rirîti immola dans le combat, où ils em- ployaient leurs armes pour ma cause. 6,527.
» Qu'ai-je à faire de la vie, sans ces hommes éminents ? Que ta sainteté, institutrice des fils de Pândou, nous accorde sa permission. »> 6,528.
« Après que l' Imbidextre eut tué le roi Djayadratha et Bhoûriçravas lui-même, quels furent alors, mon fils, s'enquit Dhritarâshtra, quels furent vos sentiments?
» Quand Douryodhana eut parlé ainsi à Drona dans l'assemblée des Kourouides, quelle réponse lui a faite celui-ci : raconte-moi cela, Sandjaya. » 6,530.
Dès qu'ils virent l'armée et Bhoûriçravas lui-même couchés sur la terre, lui répondit Sandjaya, un vaste mur- mure s'éleva parmi tes guerriers. 6,531.
Tous, ils méprisèrent les conseils donnés à ton fils, qui avaient coûté la vie à des centaines des plus éminents guerriers. 5,532.
120 LE MAHA-BHARATA.
Aussitôt que Drona, la tristesse dans le cœur, eut ouï ces paroles de ton fils, il réfléchit un instant, Indra des rois, et lui dit, profondément affligé : 6,533.
« Douryodhana , pourquoi me blesses- tu avec les flèches de tes paroles, alors que je dis l'Ambidextre invin- cible dans un combat ! 6,534.
» Ce fait suffit seul à faire connaître ce qu'est Arjouna dans une bataille, que, défendu par Djishnou, Çikhandî a renversé Bhîshma sur le champ du combat? 6,535.
» Quand je vis abattre celui, à qui ni les Dânavas, ni les Dieux mêmes ne pouvaient ôter la vie, j'en vins à re- connaître cette vérité : « C'en est fait de l'armée Bhara- tienne! » 6,536.
» Une fois tombé ce héros, que nous estimions dans les trois mondes le plus brave de tous les hommes, quel cas ferons-nous du reste? 6,537.
» Les dés, que faisait rouler Çakouni dans l'assemblée des Kourouides, ce n'était pas des dés, mon fils, mais des flèches acérées, qui détruisent les ennemis! 6,538.
» Ces traits, décochés par la Victoire (1) , nous arra- cheront la vie dans le combat ! Tu n'as pas compris ces paroles, qui te furent adressées par Vidoura. 6,539.
» Tu as entendu le langage de cet homme sage et ma- gnanime, de qui les plaintes laissaient échapper de belles choses pour la paix ! 6,540.
» Ce grand, cet épouvantable carnage, qui est arrivé, se déroule par ton mépris de ses paroles dans une affaire, qui est la tienne, Douryodhana. 6,541.
» L'insensé, qui, méprisant la parole utile de ses amis et des hommes, qui jouissent de sa confiance intime,
(1) Un des surnoms d'Arjouna.
DRONA-PARVA. 121
n'obéit qu'à sa propre volonté dans ses actions, ne mé- rite pas de bien longs regrets. 6, 542.
» Comme il fit amener sous nos yeux, en pleine as- semblée, Krishna, issue d'une famille royale, indigne de ce traitement et qui pratiquait toutes les vertus, le ter- rible châtiment de cette offense, retombera sur le Gân- dâral Si la faute est à nous, tu iras dans l'autre monde ; mais nous avons à expier une faute plus grande que cela :
6,543— 6,544.
» C'est qu'après avoir vaincu au jeu les Pândouides dans une partie inégale, tu les as relégués dans les bois, revêtus de la dépouille d'un rourou (1). 6,545.
» Mais quel homme récitateur des Védas, autre que moi, pourrait nuire à des guerriers, qui sont comme ses fils et toujours occupés des vertus? 6,546.
» Ce ressentiment à l'égard des Pândouides, que, réuni avec Douççâsana et secondé par Karna, tu as soulevé dans l'assemblée des Kourouides avec l'approbation de Dhri- tarâshtra, tu l'as mainte et mainte fois mis en pratique, au mépris des paroles de Kshattri. 6,547—6,548.
» Tous ceux, qui déployaient leurs efforts avec les tiens pour arrêter Arjouna, ont péri. Comment a-t-il trouvé la mort au milieu de vous, ce roi de Sindhou, votre appui? 6,549.
» Quand Karna, Kripa, Çalya et toi, Kourouide, vous respiriez encore, comment le Sindhien a-t-il pu descendre au tombeau? 6,550.
» Tous les rois aidaient la force dévorante du guerrier, qui combattait pour sauver Djayadratha, comment fut-il immolé au milieu de nous? 6,551.
(1) Espèce de daim.
122 LE MAHA-BHARATA.
» Dans le temps que toi, Douryodhana, et moi surtout, nous vivions, il espérait, ce monarque de la terre, qu'il serait sauvé d'Arjouna. 6,552.
» Ce prince n'ayant pas obtenu d'échapper à Phâl- gouna, je ne vois plus dans la vie aucun lieu pour ton âme. 6,553.
» Je me vois moi-même, sans avoir tué les Pântchâ- lains et Çikhandî, tombé déjà dans le malheur, dont je suis menacé par ce vicieux Dhrishtadyoumna. 6,55/i.
» Pourquoi donc me déchires-tu, moi, qui suis con- sumé de chagrins, avec les flèches de tes paroles, toi, Bharatide, qui n'as pu sauver Djayadratha? 6,555.
» Quand tu ne vois plus dans le combat ce drapeau d'or de Bhîshma aux œuvres infatigables, qui avait donné sa foi à la vérité, comment peux-tu encore espérer la vic- toire? 6,556.
» Entre ces grands héros, au milieu desquels Djayad- ratha fut immolé et Bhoûriçravas abattu, à quoi bon es- timer les survivants? 6,557.
» Si l'indomptable Kripa lui-même vit encore, je le félicite, prince, de ce qu'il n'est pas entré dans la route de Djayadratha, où j'ai vu Bhîshma tomber, sous les yeux de Douççâsana, ton frère mineur, au moment, fils de Kourou, qu'il accomplissait un difficile exploit.
» A la chiite de ce vieillard, semblable à un être, que les Dieux mêmes, Indra à leur tête, ne sauraient frapper de mort, je pensai aussitôt, prince, que ce globe cessait de t' appartenir! 6,558 — 6,559 — ,560.
» Ces armées des Pandouides et des Srindjayas, véné- rable Bharatide, courent maintenant (1) réunies contre moi!
(i) Sahitânyadya, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 123
» Sans que j'aie fait mordre la poussière à tous les Pântchâlains, je déposerai ma cuirasse dans le combat, où je vais trouver la mort, fils de Dhritarâsthra : c'est une chose, qui sera utile pour toi-même. 6,562.
» Tu diras, sire, à mon fils Açwatthâman dans la ba- taille : « Un homme, qui veut sauver sa vie, ne doit pas épargner les Somakas! » 6,563.
» Observe la parole, qui te fut enseignée par ton bi - saïeul (1) : sois inébranlable dans la douceur, la placi- dité, la vérité, la droiture. 6,56/j.
« Instruit dans l'amour, l'intérêt et le devoir, te disait- il mainte et mainte fois, sans étouffer l'utile et le juste, exécute les choses, comme faisant du devoir ta plus im- portante affaire. » 6,565.
» Rassasie les brahmes de présents ; on doit les hono- rer de toute manière. Il ne faut rien faire, qui leur dé- plaise ; car ils ressemblent à la flamme du feu. 6,566.
» Quant à moi, blessé des flèches de tes paroles, j'en- trerai, joint avec toi, immolateur des ennemis, au milieu des armées, pour y livrer un grand combat. 6,567.
» Toi, Douryodhana, conserve ton armée, si tu peux: car tu verras, aujourd'hui même, les Srindjayas et les Rourouides combattre avec colère.» 6,568.
A ces mots, Drona, ravissant la splendeur aux ksha- tryas, comme le soleil dérobe la clarté aux étoiles, s'a- vança vers les Pândouides et les Srindjayas. 6,569.
Excité par le. fils de Bharadwâdja et tombé sous le pou- voir de la colère, le monarque Douryodhana de tourner son esprit au combat. 6,570.
(i) Littéralement : par (on père.
J24 LE MAHA-BHARATA.
(i Vois, dit ton fils à Karna, vois le Pândouide Kirlti, qui a Krishna pour son compagnon, et qui a rompu notre ordre de bataille, difficile à enfoncer par les Dieux, et que Drona avait disposé lui-même. Le Sindhien fut abattu, malgré les principaux combattants, en dépit des efforts du magnanime Drona et des tiens. Vois, Râdhéya, les plus excellents des rois, qui soient dans les batailles sur la terre, 6,571 — 6,572.
» Immolés par le Prithide seul, tels que d'autres ga- zelles, leurs semblables en destin, égorgées par un lion. En dépit de mes efforts, malgré ceux du magnanime Drona, ce fils d'Indra a réduit mon armée à un faible nombre de combattants. Comment Arjouna-Phâlgouna, après qu'il eut tué Djayadratha est-il passé à la rive ultérieure de sa promesse, malgré les efforts de Drona? Comment le Pân- douide a-t-il pu, héros, contre la volonté de Drona, qui s'y opposait même dans la guerre, enfoncer notre ordre de bataille bien difficile à rompre ? Arjouna est infiniment cher au magnanime Atchârya.
6,573- -6,574—6,575—6,567.
» De-là, s' abstenant de combattre , il a laissé Phâl- gouna s'emparer d'une porte dans la guerre. Après que Drona, le fléau des ennemis, eut dans le commencement donné au Sindhien l'assurance contre les dangers, 6,577.
» Il a permis cette porte à Kirîti ! Vois donc comme je suis dépourvu de ressources. Si jadis il a promis qu'il re- viendrait dans son palais, ce roi de Sindhou ne devait pas voir une destruction de ses gens dans le combat! Djayadratha désirait la vie et voulait revenir dans son habitation; 6,578—6,579.
» Il en fut empêché par moi, homme abject, sur la se-
DRONA-PARVA. 125
curité, que m'avait inspirée Drona ! Aujourd'hui mes frè- res, Tchitraséna et les autres, ont péri dans la bataille, à nos regards affligés, sous les coups de Bhîmashéna! » « Ne blâme pas l'Atchârya, lui répondit Rarna. Ce brahme se conduit au combat de tout son pouvoir, suivant ses forces, selon son énergie : il a fait le sacrifice de sa vie. 6,580—6,581—6,582.
» Si, lui passant sur le corps, le guerrier aux blancs coursiers est entré dans notre armée, il n'y a point la moindre faute, qu'on puisse rejeter d'aucune manière sur l'Atchârya. 6,583.
» Héros jeune, habile, adroit, à la valeur légère, con- sommé dans les armes et revêtu d'une cuirasse imbri- sable, Arjouna était monté sur un char à l'enseigne du singe, muni de tous les astras, dont Krishna lui-même gouvernait les chevaux vigoureux ;
» Armé du Gândîva, arc divin, inaltérable, et fier de la richesse de ses bras, il fit pleuvoir des flèches acérées. Si Arjouna a fondu sur Drona attaqué, c'est lui seul que ce fait regarde. 6,58/1—6,585—6,587.
» L'Atchârya est vieux, sire, incapable de se tenir sur un char à la course rapide ; il est sans pouvoir, souverain des hommes, dans les efforts et l'exercice des bras. 6,588.
» C'est pour cela qu'il fut vaincu par le guerrier aux chevaux blancs, quia Krishna p ur son cocher. Je ne vois donc aucune faute, qu'il faille pour cette raison imputer à Drona. 6,589.
» Les Pândouides sont, à mon avis, invincibles dans un combat à Drona lui-même, malgré sa connaissance des astras. Ainsi, le guerrier aux blancs coursiers, l'ayant dépassé, est entré dans notre armée! 6,590.
126 LE MAHA-BHARATA.
» Je ne crois pas qu'il existe nulle part une nature constituée d'une autre manière qu'il n'a plu au Destin. Voilà pourquoi, Souyodhana, nous avons eu beau com- battre par de-là nos forces, 6,591.
» Le Sindhien fut tué dans le combat. La puissance du Destin est dite suprême 1 l\ous avons déployé avec toi les plus grands efforts sur le champ de bataille, 6,592.
» Mais le Destin a paralysé notre courage et nous a donné l'infériorité ! Dans ces luttes incessantes, soit avec lâcheté , soit avec courage , quelque chose que fasse l'homme, se'gneur, il est toujours soumis au Destin. Tout, oui tout, dans la chute de Djayadratha est l'ou- vrage du Destin. 6,593— 6, 59/i.
» Ce que peut faire un homme, qu'on a toujours vu accompagné de résolution, je le ferai, sans doute, mais le succès dépend du Destin. 6,595.
» Les Prithides furent livrés en jouet à la méchanceté ; ils ont subi les atteintes du poison : on les a brûlés dans la maison de laque ; on les a vaincus au jeu. 6,596.
» Après qu'ils eurent ceint le diadème des rois, ils fu- rent exilés dans la forêt. Dans toutes les choses faites avec des efforts, c'est le Destin, qui les fait arriver.
» Combats, déployant ton ardeur, sans penser à la puissance du Destin. Le sort entrera (1) toujours dans la route d'eux et de toi, en dépit de tes efforts.
» Nulle part, il n'existe sans le Destin, ou d'eux, un acte de vertu, précédé par l'intelligence, ou de toi, hé- roïque fils de Rourou, une action vicieuse, dépourvue de raisonnement. 6,597—6,598—6,599.
(i) Yâsyati, texte de Bombay.
DRONA-PARVA. 127
» Le Destin est l'arbitre de tout (1) , du bien et du mal : une chose occupe seulement sa vigilance : c'est la ma- nière, dont il arrivera. 6,600.
» Nombreuses sont tes armées et nombreux sont tes combattants ; mais ce n'est point ainsi que s'est déroulé ce combat pour les fils de Pândou. 6,601.
» Vous, guerriers innombrables, vous fûtes conduits à la mort par une poignée d'hommes : ce fut, je pense, l'œuvre du Destin, qui nous ravit le courage. » 6,602.
Tandis qu'ils s'entretenaient longuement de cette ma- nière sur tel et tel sujet, on vit apparaître les armées des Pândouides sur le champ de bataille. 6,603.
Il s'éleva aussitôt, entre les tiens et les ennemis, résul- tat de tes mauvais conseils, un combat, sire, où les chars et les éléphants étaient mutuellement serrés. 6,504.
{i)Sarvasya, édition de Bombay.
LA MORT DE GHATOTKATCM.
Quand elle eut dépassé les troupes des Pândouides, ton armée, à laquelle était jointe une excellente division d'é- léphants combattit de tous les côtés. 6,605.
Initiés pour l'autre monde au vaste royaume d'Yama, les Pântchâlains et les Rourouides se combattirent, les uns les autres. 6,606.
Les héros, en venant aux mains avec les héros, se bles- saient dans le combat avec des flèches, des lances et des leviers en fer, et s'envoyaient lestement au monde d'Ya- ma. 6,607.
Il y avait, des maîtres de chars avec les maîtres de chars, qui s' entr' égorgeaient les uns les autres, une ba- taille grande, épouvantable par ses ruissellements de sang. 6,608.
Les éléphants irrités, enivrés par le mada, s'atta- quaient mutuellement, grand roi, et se frappaient à coups de trompes. 6,609.
DRONA-PARVA. 129
Désirant une vaste renommée dans cette bataille con- fuse, les cavaliers fendaient les cavaliers avec des haches, des lances de fer et des traits barbelés. 6,608.
Sans cesse rivalisant d'ardeur, les fantassins par cen- taines, tenant des javelots à leur main, terrible guerrier aux longs bras, couraient les uns sur les autres. 6,609.
Nous distinguions seulement les Pântchâlains d'avec les Kourouides, vénérable roi, en entendant proclamer les races et les noms de leurs familles. 6,610.
Dans le combat, où ils se promenaient sans crainte, les combattants de s'envoyer réciproquement dans l'autre monde avec des haches, des flèches et des lances de fer.
Ces dards, qu'ils lançaient à milliers par les dix points de l'espace, ne brillaient pas de leur éclat naturel, sire ; car le soleil était descendu au mont Asta.
0,611—6,612.
Tandis que les Pândouides combattaient de cette ma- nière, puissant fils de Bharata, Douryodhana se plongea dans cette armée. 6,613.
Pénétré d'une profonde douleur par la mort du Sin- dhien, il pensait ainsi : « 11 faut mourir ! » Et il entra dans les bataillons des ennemis, ébranlant, faisant ré- sonner la terre au bruit de son char. Ton fils s'avança vers l'armée des Pândouides. 6,614—6,615.
La mêlée confuse de lui et d'eux, Bharatide, faisait mourir au loin tous les guerriers d'épouvante. 6,616.
Tel que, parvenu au milieu du jour, le soleil brûle de ses rayons, tel, à mon avis, ton fils les consumait par la splendeur de ses flèches. 6,617.
Les Pândouides ne pouvaient fixer les yeux dans ce jx 9
130 LE MAHA-BHARATA.
combat sur leur héroïque cousin (1). Sans énergie dans la victoire sur les ennemis, n'ayant de force que pour la fuite, les Pântchâlains couraient çà et là, frappés à mort par le magnanime. Les combattants des Pàndouides tom- baient, frappés des flèches acérées, à la pointe luisante, empennées d'or, lancées par l'archer, ton fils. Les Pàn- douides n'accomplirent pas dans ce combat un exploit semblable à celui, qui fut exécuté par le roi, ton fils, monarque des hommes. Immolés par son bras dans cette bataille, les Pàndouides
6,618—6,619—6,620—6,621. Ressemblaient à un bassin de lotus, agité de tous les côtés par un éléphant. Grâce à la splendeur des flèches de ton fils, l'armée Pàndouide était comme un étang de nymphées à la splendeur évanouie et dont l'eau fut tarie par le vent et le soleil. Quand ils virent l'armée de Pàndou détruite par ton fils, Bharatide, les Pântchâlains de s'enfuir, malgré quils fussent commandés par Bhi- maséna. Le héros Kourouide de blesser Viïkaudara avec dix traits, les deux fils de Madrî avec trois individuelle- ment, 6,622—6,623—6,624.
Virâta et Droupada de six, Çikhandi de cent, Dhrishta- dyoumna de soixante-dix et le fils d'Yama de sept.
Dès qu'il eut frappé les Kaîkayains