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TOME VIII

RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES

TROISIÈME SÉRIE

CHARTRES. IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.

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MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS

Fvb.r^ce. DÉLÉGATION EN PERSE

MÉMOIRES

PUBLIES SOUS LA DIRECTION

DE M. J. DE MORGAN, délégué général

TOME VIII

RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES

TROISIÈME SÉRIE

PAR

G. JÉQUIER, J. DE MORGAN, J. E. GAUTIER, G. LAMPRE, A. JOUANNIN ALLOTTE DE LA FUYE, H. DE MORGAN

PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

28, RUE BONAPARTE, 28 1905

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PRÉFACE

Si la troisième série des Recherches Archéologiques de la Délégation en Perse (Tome VIII des Mémoires) parait quelques mois seulement après la publication de la seconde, c'est que tous les mémoires imprimés en 1905 ne devaient, dans mon esprit, composer qu'un seul livre et que devant l'abondance des matières l'éditeur a pensé préférable de donner deux volumes afin d'en faciliter la lecture.

Ces mémoires sans lien commun entre eux, œuvres des attachés et des collaborateurs de la Délégation, doivent être considérés comme détachés et étudiés séparément. Il serait impossible, en effet, de relier entre eux des sujets fort divers et dont le seul lien est de porter sur des documents provenant tous de la Perse ou des pays limitrophes. Ce mode de publication présente de grands avantages, car il nous permet de livrer immédiatement au public les observations et les documents peu de temps après qu'ils ont été recueillis.

Le mémoire inséré en tête du volume est à la plume de M. G. Jéquier, attaché à la Délé- gation. Il porte sur les nombreux cachets et cylindres archaïques découverts à Suseau cours des travaux de ces huit dernières années. C'est pour la première fois qu'il est traité de ce sujet en s'appuyant sur des documents nombreux d'une authenticité absolue et provenant tous de la même localité. Quelques-uns de ces cachets ou cylindres sont d'une prodigieuse antiquité. Ils ont vu les débuts de l'Élam, peut-être même ses primitifs habitants peignant sur les vases et taillant le silex.

Dans le mémoire qui suit, j'ai décrit en grands détails la sépulture achéménide de Susc dont j'avais moi-même opéré la fouille. Cette tombe, unique jusqu'à présent en son genre, mérite une attention toute spéciale par suite de son époque et des nombreux bijoux qu'elle renfermait.

De toutes nos découvertes dans l'Iran, la plus intéressante au point de vue archaïque est sans

PRÉFACE

contredit celle dont MM. J.-E. Gautier et G. Lampre rendent compte dans leur travail sur les Fouilles de Moussian. Ces recherches ont révélé un art primitif des plus curieux, contemporain de la pierre taillée et des premiers instruments de cuivre. Déjà nous avions à Suse rencontré bien des témoins de cette civilisation très ancienne, mais les couches qui les contiennent étant très profondément enfouies jusqu'ici, nous n'avions été à même de les atteindre que sur fort peu de points.

Ces découvertes jettent un jour très nouveau sur les origines Chaldéo-Élamites. Elles ne font, il est vrai, qu'entr'ouvrir le voile, mais fournissent déjà de précieuses indications pour les recherches avenir. Il semblerait que nous nous trouvons dans l'Élam, en présence d'une civilisation ana- logue à celle que je découvrais en Egypte (1896-97) lors de mes fouilles de Negadah, Toukh, Abydos, etc..

Si nous en jugeons par Tepé Moussian et par ce que nous connaissons des couches pro- fondes de Suse, cette civilisation aurait précédé et peut-être connu les débuts des métaux et de l'écriture figurative. Elle serait le terme le plus reculé auquel atteindra jamais l'histoire du monde. Supposition fertile en enseignements sur la direction qu'à l'avenir doivent prendre les recherches.

Les tumuli de l'Ile de Bahreïn, par M. A. Jouannin, offrent d'utiles renseignements sur cette île très peuplée dans la haute antiquité qui, sans preuves et improprement, a été assimilée à Dilmoun des textes. M. A. Jouannin, bien que ne faisant pas partie de la Délégation, fait béné- ficier nos lecteurs de ses intéressantes études dans le Golfe Persique.

Le mémoire qui suit, par M. G. Lampre, secrétaire de la Délégation, traite de la représen- tation du lion à Suse. Le lion vit encore dans les pays situés entre le Tigre et le Kâroun. Autrefois il était beaucoup plus abondant qu'aujourd'hui et sa figuration joue un grand rôle dans les arts aussi bien en Chaldée proprement dite qu'en Elam.

Les fouilles de Suse ont mis au jour un assez grand nombre de monnaies antiques, que nous rencontrons soit à l'état de cachettes dans des vases de terre, soit disséminées dans le sol. Les plus anciennes sont des tétradrachmes d'Alexandre le Grand et des Séleucides ses successeurs, les plus récentes appartiennent aux souverains sassanides, plus spécialement à Chosroès II, et aux gouverneurs arabes du moyen âge. Mais, entre ces deux termes extrêmes, est une série très nombreuse de monnaies de cuivre frappées par les princes d'Elymaïde, contemporains des rois arsacides. Cette série, j'en ai confié l'étude au colonel Allotte de la Fuye, dont la compé- tence est si connue en pareille matière.

Le sixième mémoire est entièrement consacré à l'étude de ces curieux coins gravés en deux langues, le grec et l'aramôen. M. Allotte de la Fuye a dit sur cette question très ardue tout ce qui pouvait être dit, relevant les travaux antérieurs à son mémoire, corrigeant leurs erreurs,

PREFACE vil

proposant et discutant à fond de nouvelles lectures. Cette étude peut faire faire un grand pas à l'histoire de la Principauté d'Élymaïde, des Kamnaskirès, des Orodes et de leurs successeurs.

La statue de Napir-Asou, dont M. G. Lampre donne ensuite une description très précise, est l'un des monuments susiens les plus importants, par sa facture artistique comme par sa technique.

Le VHP volume se termine par un mémoire de M. Henri de Morgan sur les nécropoles du Nord-Ouest de la Perse (Talyche et Ghilan). Il fait suite non seulement aux travaux qu'en 1890 je faisais dans le Lenkorân (Talyche russe), mais aussi aux fouilles que M. Henri de Morgan et moi-même nous faisions en 1887 dans l'Arménie russe.

Ces régions sont fort peu connues au point de vue archéologique ; je puis dire même qu'elles ne le sont que par nos travaux. Le mémoire de M. Henri de Morgan est l'un des plus importants sur ces questions, il montre ce qu'étaient les peuples des nvcs de la mer Caspienne antérieure- ment aux Achéménides et peut-être aussi sous ces souverains; il donne la preuve d'une grande invasion dévastatrice au moment les armes de fer firent leur apparition dans la plaine d'Ar- débil et les montagnes bordiôres du Nord de l'Iran.

Tels sont les mémoires rédigés depuis 1900. Certainement nos recherches en Perse ont fourni les documents pour bien d'autres écrits ; mais le temps a manqué à mes collaborateurs et à moi-même pour traiter d'autres questions. Nous avons nous borner à donner au public celles présentant le plus grand intérêt.

Croissy-sur-Seine, le 20 septembre 1905.

J. DE Morgan

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

Par g. Jéquier.

Les rares monuments des premiers royaumes chaldéens qui soient parvenus jusqu'à nous, et parmi eux, en toute première ligne, la grande stèle de Naram-Sin trouvée à Suse, nous met- tent en présence d'un art parvenu à son apogée et qui, à partir de ce moment, ne fera plus que décliner. Les cylindres de la même époque, ceux sur lesquels se déroulent les épisodes de la légende de Gilgamôs, sont les plus soignés et les plus beaux que nous connaissions, et montrent que les graveurs n'étaient point inférieurs aux sculpteurs des bas-reliefs. Par quelles étapes les artistes de l'école d'Agadé arrivèrent-ils à cette maîtrise? Il ne nous est pas possible de suivre, en remontant le cours des siècles, les progrès de l'art, car les monuments nous manquent jusqu'à présent. Dans les monuments trouvés à Tello, il est vrai, la sculpture présente un caractère beau- coup plus archaïque, mais les plus anciens ne remontent pas plus haut que le règne de Manich- tou-Sou, et il n'a pas s'écouler entre ce roi et les souverains d'Agadé un laps de temps bien considérable, étant donné le caractère paléographique de leurs inscriptions. Nous devons donc, semble-t-il, considérer les bas-reliefs de Tello comme contemporains, ou à peu près, de ceux de l'école d'Agadé, et comme les œuvres de sculpteurs de province, sans grande éducation artistique, qui se contentent de traduire naïvement avec leur ciseau les sujets qu'ils ont à représenter, sans chercher à en faire des œuvres d'art.

En somme, c'est d'après les cylindres, dont nous possédons une fort belle série, que nous pouvons juger de ce qu'était l'art chaldéen entre } ooo et 3000 av. J.-C. ( i ). Ces petits monu- ments ont été étudiés et classes avec beaucoup de clairvoyance par M. J. Menant (2) ; je n'aurai donc pas à y revenir ici.

(i) J'adopte ici, avec la plus grande partie des assyriologues, et jusqu'à preuve absolue du contraire, la donnée du cylindre de Nabonide. qui fait remonter Naram-Sin jusque vers 3750. (2) Recherches sur la glyptique orienlale. Paris, 1883.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

C'est par les cylindres aussi que nous pouvons connaître l'art de ces pays à une époque bien antérieure. Les fouilles de Suse ont, en effet, mis au jour des séries de tablettes portant des signes cunéiformes d'un caractère tout particulier, que le P. Scheil n'hésite pas à faire remonter au delà du quatrième millénaire. Ces tablettes, ainsi que des morceaux d'argile trouvés en même temps, portent souvent l'empreinte de cylindres qui diffèrent absolument, par leur sujet et leur facture, de ce que nous connaissions jusqu'ici, précieux documents qui nous fournissent une étape de plus dans l'histoire de l'art oriental. Quelques-uns même des cylindres originaux de cette époque sont parvenus jusqu'à nous dans les mêmes conditions.

Au-dessous de la couche furent trouvées les tablettes, dans une zone qui me parait, ainsi que j'ai cherché à le démontrer ailleurs, contenir les vestiges d'une population entièrement diffé- rente, nous avons trouvé toute une série de cachets en pierre tendre, non plus cylindriques, mais plats, grossièrement ciselés, qui sont certainement les monuments artistiques les plus anciens que nous possédions, et nous reportent à une époque bien plus reculée, indéterminable jusqu'ici, et qu'on peut considérer déjà comme préhistorique, car nous n'avons, pour cette période, aucune trace d'écriture.

J'ai relevé avec le plus grand soin tous les plus petits fragments provenant de ces deux séries de monuments, et c'est le résultat de cette étude et de ces relevés qui fera le sujet du présent travail, travail qui sera certainement complété par les découvertes futures.

CACHETS

Dans le tell de Suse, la zone de ruines qui commence à une profondeur de 20 mètres au- dessous du niveau primitif et dont nous ne pouvons encore évaluer l'épaisseur, ne renferme que des vases et des fragments de vases peints, en poterie fine, et des silex taillés, le tout appartenant à la même époque. Quelques-uns de ces objets sont remontés, ce qui n'a rien d'extraordinaire, jusqu'aux niveaux supérieurs; mais aucun monument postérieur n'a été trouvé jusqu ici dans cette couche, nettement séparée des autres par des lits de cendres et de détritus, indices dune destruction de la ville, à une époque très ancienne.

Au milieu de cette poterie, on trouve parfois de petits monuments en pierre, le plus souvent en calcaire blanc ou gris, à grain très fin, en forme de section de sphère, avec une surface plane sur laquelle sont gravées en creux, très grossièrement, des représentations d'animaux (fig. 1-5). L'n trou rond , percé dans toute la longueur, parallèlement à la surface plane, montre que ces objets

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

devaient être suspendus, soit parmi les perles d'un collier, soit peut-être isolément, comme amulettes.

Nous sommes en présence ici des plus anciennes intailles asiatiques ; je les ai rangées ici sous la rubrique « cachets », sans cependant pouvoir affirmer qu'elles ont servi à cet usage, car nous n'en avons pas retrouvé d'empreintes authentiques de l'époque. Il est cependant permis de sup- poser que les hommes qui les ont fait graver, ne pouvant s'en servir pour cacheter leurs contrats, puisque très probablement ils ne connaissaient pas l'écriture, les employaient à sceller d'un signe distinctif les objets leur appartenant, et tout spécialement l'orifice des vases contenant leurs pro- visions, comme cela se faisait un peu partout, en Egypte par exemple, et même à Suse à une époque un peu postérieure.

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FiG. I.

FiG. 4.

FlG 2. FiG. 5.

FiG. I-;. Cachets en calcaire, eu forme de section de sphère.

FiG. 5.

Les gravures qui ornent la surface plate de ces cachets sont des plus primitives et contrastent par leur facture avec la poterie peinte, dans laquelle les Susiens de l'époque avaient atteint une véritable perfection. Quant aux instruments dont se servaient les graveurs, ils semblent n'avoir été qu'au nombre de deux, la bouterolle et le burin. Le premier de ces outils, dont on remarque aisément la trace dans les figures 3 et 5, servait à indiquer les parties les plus saillantes du corps de l'animal qu'ils voulaient représenter ; puis, à l'aide d'un instrument pointu, ils joignaient l'un à l'autre les deux trous, les égalisaient, puis traçaient gauchement les membres, en général au moyen de traits droits. Parfois même, le burin paraît avoir été le seul outil employé, et les figures sont alors plus schématiques encore.

Les sujets représentés sont empruntés au règne animal, mais leur exécution sommaire ne nous permet guère de les définir. Ce sont, en général, soit des antilopes à longues cornes recour- bées, soit des quadrupèdes bas sur pattes, au corps lourd, la queue relevée, qui peut-être figurent des renards ou des animaux de ce genre. Parfois un petit ornement, une branche garnie de ses feuilles, par exemple, vient remplir la partie du cachet que le corps de l'animal ne couvre pas entièrement.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

Tous les cachets de cette époque n'ont pas la forme circulaire : nous en possédons deux qui témoignent d'une recherche et d'un savoir-faire beaucoup plus avancés. Le premier (fig. 6) repré- sente un lion couché, dont les contours sont simplement découpés dans une plaque de calcaire rose, puis arrondis à la partie supérieure ; malheureusement ce petit objet a été très roulé et nous ne pouvons plus guère juger du travail dans le corps du lion, les muscles paraissent avoir été indiqués d'une manière assez naturelle par un artiste consciencieux, sinon très habile.

(i . . - y

FiG. 6. Lion couché, en calcaire rose, gr. nat.

FiG. 7. Tête de lion, gr. nat.

Le second, admirablement conservé dans tous ses détails, est beaucoup plus intéressant au point de vue artistique (fig. 7). Le sculpteur, qui voulait représenter une tète de lion, a su, par des formes habilement dessinées, par son modelé et par quelques lignes bien posées, rendre son sujet avec une hardiesse et une vérité tout à fait inattendues. L'œil, qui n'est plus qu'un trou rond, était autrefois incrusté. La tête elle-même, qui occupe à peine un tiers du cachet, est séparée par un bourrelet légèrement saillant qui représente le commencement de la crinière, d'une zone simplement polie, de forme semi-circulaire, qui fait ressortir le caractère schématique de cette œuvre d'art.

Ces deux cachets sont, comme les autres, percés longitudinalement de part en part. Quant

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

à la face plane, elle porte toujours, gravées en creux, à la bouteroUe et au burin, les mêmes représentations d'animaux, à peine plus soignées que sur les autres intailles.

Je crois devoir rapprocher de cette catégorie d'intailles une petite série d'empreintes sur des morceaux d'argile, trouvées toutes ensemble au niveau des tablettes et des cylindres, mais essentiel- lement différentes de ces derniers. Nous n'en avons que quatre modèles, dont un seul représente des animaux (fig. ii), un semis de quadrupèdes au long cou, la tête retournée en arrière, qui rappelle un peu, par son sujet et sa facture, les cachets dont je viens de parler ; les empreintes en sont si indistinctes qu'il n'est guère possible d'insister sur ce rapprochement.

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Fig. 8.

Fig. 9. F:g. 10.

Fig. 8-1 1. Fmpreimes sur Virgile, gr.indeur naturelle.

Fig. 1 1.

Les trois autres sont de simples ornements composés de lignes droites, soit des carrés opposés par leurs angles, traversés d'une diagonale et décorés de petits traits perpendiculaires ou obliques, soit un ornement régulier que nous ne possédons qu'en partie, soit encore un entrela- cement bizarre de lignes inscrites dans un cercle (fig. 8, 9, 10).

Toutes ces empreintes sont fortement concaves, et sauf pour une, la dernière que j'ai citée, les contours ne sont pas définis. L'objet qui servit de matrice semble avoir été, non plus un cachet plat, mais une boule d'assez grande dimension couverte d'ornements en creux.

II

CYLINDRES

Les tablettes archaïques trouvées à Suse, soit amoncelées dans i'anglc d'une chambre, soit éparses dans les ruines, sont toutes des contrats ; le fait seul que beaucoup d'entre elles portent sur leur revers l'empreinte de cylindres, suffirait à le prouver. Faites d'argile très fine, non cuite, elles nous sont parvenues le plus souvent brisées, mais, après un nettoyage soigneux, nous

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

avons pu en reconstituer le plus grand nombre : à part cela, elles n'ont guère souffert et ne sont ni usines ni frottées, mais telles que si elles sortaient des mains du scribe.

Les cachets sont, de même, aussi bien conservés que possible ; ils ont été roulés sur la terre molle avec beaucoup de dextérité, mais très légèrement, aussi ne voyons-nous la plupart du temps que des silhouettes ; les détails ornant le creux de la matrice, pour lesquels il aurait fallu une pression beaucoup plus forte, ne sont, en général, pas venus. Il en est de même pour les empreintes qui se trouvent sur des mottes d'argile beaucoup plus grossière, fragments informes qui avaient servir autrefois à boucher des vases ou à sceller des envois de provisions, et qui ont été recueillis dans les mêmes conditions que les tablettes, souvent en même temps.

Quelques cylindres, trouvés çà et dans les fouilles, viennent dans une certaine mesure combler cette lacune, car ils sont en général admirablement conservés et nous pouvons y distin- guer chaque détail d'exécution. Ils sont en tous points semblables à ceux dont les tablettes portent les empreintes et appartiennent certainement à la même époque. Ces petits objets sont, non en pierre, mais en une sorte de pâte blanche, très fine, qui devait être travaillée, étant encore molle, à l'aide d'instruments très simples et ne présentait pas de grandes difficultés au graveur ; une fois l'objet terminé, on l'enduisait d'une couche d'émail, très mince, d'une couleur légèrement verdâtre.

Nous possédons encore d'autres cylindres, de plus petites dimensions, en pierre dure, tra- vaillés comme ceux de Babylonie, mais dont les sujets sont analogues à ceux dont nous nous occupons; je les décrirai au fur et à mesure, sans toutefois pouvoir affirmer qu'ils sont de la même époque que les autres.

Les dimensions sont très variables : quelques-uns des cachets n'avaient guère que deux cen- timètres de hauteur, d'autres arrivent à en avoir plus de six ; il en est de même pour le diamètre des cvlindres, car nous en avons de tout petits à côté d'autres qui atteignent jusqu'à 3 centi- mètres.

Parmi les cylindres de Chaldée, beaucoup portent des inscriptions qui nous donnent le nom et le titre du propriétaire, parfois une courte prière. Ici, ce n'est jamais le cas, et tous ceux que nous avons trouvés jusqu'ici, au nombre de plus de cinquante, n'ont que des représentations figurées. Il n'y a d'exception que pour un cylindre très curieux, déjà publié par le P. Scheil(i) qui porte une inscription en hiéroglyphes et représente des bœufs au corps démesurément allongé, la tête penchée sur une mangeoire. Je ne saurais dire, devant cet objet isolé, s'il faut y voir un monument beaucoup plus ancien, datant de l'époque de l'origine de l'écriture, ou une recherche voulue d'archaïsme. Étant donnée la matière du cylindre, une pâte blanche fine et friable, et le style des représentations animales, il semble presque que la dernière hypothèse soit la plus vraisemblable.

Le seul mode de classification à adopter pour les cylindres est de se baser sur les sujets qui

(i) Textes élamites sémitiques, I, p. 129. il a été reproduit au double de grandeur naturelle.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

y sont gravés. Ce sont presque toujours des représentations d'animaux du pays, lions et taureaux en première ligne, puis les bêtes à cornes, telles que chèvres sauvages, mouflons, antilopes et même cerfs, ensuite des poissons, des serpents, des scorpions, et enfin des animaux fantastiques. La figure humaine est des plus rares, et quant aux ornements géométriques, ils remplissent sou- vent les vides entre les animaux, et même parfois occupent tout le champ de l'empreinte.

Je donnerai donc la description de chacun des cylindres qui viendront se ranger dans l'une ou l'autre de ces catégories, en signalant au fur et à mesure les différences de facture que j'ai pu remarquer. Ces différences sont souvent fort difficiles à saisir, car, comme je l'ai dit, les em- preintes sont loin d'être nettes et ne présentent le plus souvent aucun détail ; à première vue, on ne distingue guère sur les tablettes que des lignes et des reliefs souvent incohérents, et ce n'est qu'après un examen très attentif, à la loupe et dans diverses positions, pour obtenir un jour fri- sant, qu'on finit par pouvoir comprendre le sujet représenté. Heureusement, nous avons, le plus souvent, plusieurs exemplaires de la même empreinte; c'est ce qui m'a permis d'en faire des des- sins très exacts, dans lesquels je me suis efforcé de reproduire, autant que possible, le caractère particulier de chacun des originaux, et que je reproduis toujours de grandeur naturelle.

LIONS

De tous temps, le lion a été un des animaux qui ont le plus frappé l'imagination des hommes, et peut-être même celui que les artistes ont le plus souvent reproduit. Dans les cachets chaldéens à sujets mythologiques, aussi bien que sur les grands tableaux de chasse des rois assyriens, nous voyons très fréquemment représenté (i) le petit lion mésopotamicn qui devait être alors la terreur de la contrée, et dont la race n'est pas encore éteinte aujourd'hui.

A Suse, nous l'avons déjà vu, formant le sujet principal de deux cachets ; rien d'étonnant si nous le retrouvons comme un des motifs préférés des graveurs de cylindres, qui le reproduisent

avec une simplicité schématique, mais pleine de vie et d'énergie, dans

plusieurs de ses postures, comme un animal qu'ils ont eu le loisir d'étu- Q dier de près.

Quoique le lion paraisse le plus souvent, comme nous le verrons plus loin, en parallèle avec le taureau, il est aussi parfois représenté seul, et, dans ce cas, nous avons toujours deux individus fiirurés svmétriquc- ,. ^ ,

' o . 1 Ik;, 1 2, dniiuleur naturelle.

ment, absolument semblables et se faisant pendant.

Le premier cylindre de cette catégorie, imprimé sur un morceau d'argile, nous montre deux

(i) Pour les particularités zoolot,'iques, comme pour ce qui a trait aux représentations assyriennes des animaux figurés sur nos cylindres, je renvoie le lecteur à l'étude du Rev. W. Houghton. On thc Mammalia of tlie ARsyrian Sculptures. Dans les Transactions de la Société d'archéologie biblique, V, p. 33-64 et 519-3S3. Pour le lion plus spé- cialement, V. p. 322-326.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

lions debout sur leurs pattes de derrière, se tournant le dos, tandis que les têtes, placées en sens inverse, se regardent; les queues se dressent en s'entrelaçant, et l'une des pattes de devant se relève tandis que l'autre pend simplement, ce qui donne à ces animaux une allure qui rappelle celle de nos lions héraldiques (fig". 12). L'empreinte a fort peu de relief, et ne laisse distinguer qu'un détail, la gueule ouverte et la langue qui pend.

Sur un autre morceau d'argile, l'empreinte est peut-être moins nette encore, nous retrou- vons un sujet presque semblable, mais ici, ces animaux, toujours adossés et retournant la tête, sont assis sur leur arrière-train et fière- ment campés des pattes de devant (fig. 1 3). Les queues se recroisent r^ quatre fois, divisant ainsi le cachet verticalement en deux parties. « IT '^^'^^^/j^^ Wi < ^'^^ crinières sont indiquées très sobrement par deux petites mèches ^"^ ~~ -"- saillantes devant le cou et, à l'opposite, par une proéminence très

a.j.

Fig. 13. Grandeur naturelle. marquée, au-dessus du garrot. Entre les lions, deux petits animaux

placés l'un au-dessus de l'autre me paraissent représenter des tortues. Nous revoyons les deux lions retournant la tête sur des cachets imprimés au revers de deux tablettes ; cette fois-ci, ils sont presque couchés, se rele- vant légèrement sur leurs pattes, dont les extérieures seules sont dessinées (fig. 14). On ne distingue plus des queues que l'extrémité enroulée, la gueule n'est pas indiquée, et le contour seul de la crinière est marqué. Entre les deux lions, une sorte d'arbre à trois branches relevées. I ~ ' '

riG. 14. Grandeur naturelle.

Enfin, du dernier cylindre de ce type, empreint sur

une petite motte d'argile, il ne reste que la partie supérieure, qui repré- sente deux lions marchant, la queue en l'air, regardant toujours derrière

_^ç? j) n. 'L__b^ ' ^^^ ' '^'-'^ ^^ contour des muscles des jambes est serti d'une ligne en relief.

o ((Si^N/ffi-^î) <" De même que pour les trois autres, nous ne voyons aucune trace d'outil, Fig. 15. Grandeurnaturciie. et Ics formes, tracées souplement, sans difficulté, nous montrent bien

que ces cylindres, comme ceux qui nous sont parvenus, étaient en pâte, non en pierre dure (fig. i ^).

Quand le lion apparaît, non plus seul, ni en parallélisme avec le taureau, mais accompa- gnant d'autres animaux, il a l'air de n'être que pour remplir un vide : je n'ai trouvé de ce fait que deux exemples. Dans l'un de ces cylindres, qui représente une antilope suivie de deux tau- reaux de tailles et de formes différentes, un lion se tient assis au-dessus du plus petit des tau- reaux ; sa tête est énorme, sa crinière très développée, et la queue se dresse pour se recourber à son extrémité. Beaucoup plus petit que les trois autres animaux figurés sur ce cachet, le lion paraît ici jouer un rôle tout à fait accessoire (fig. 16).

Il en est de même pour un cylindre représentant des cerfs, que je reproduirai plus loin (fig. 46). Au-dessus de chacun de ces animaux est couché un lion, ici aussi de dimensions

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

L

G.J.

FiG. i6. Grandeur naturelle.

beaucoup moindres, qui remplit exactement le vide laissé entre le dos du cerf et le bord supé- rieur, et qui ne semble être que dans le but d'équilibrer la composition ; en effet, si le graveur avait voulu représenter un lion terrassant un cerf, il s'y serait certainement pris d'une ma- nière toute différente, et lui aurait donné, en tous cas, plus d'importance qu'à sa victime. Ici la queue est pendante, et quant à la tête, elle a disparu sur chacune des quatre tablettes qui nous ont conservé des empreintes de ce cachet.

Si les graveurs susiens ont donné avec prédilection à leurs taureaux des attitudes extraordinaires, comme nous le verrons plus loin, ils ont aussi cherché à représenter le lion dans la même posture étrange, qui le rapproche plus de

l'homme que de la bête, et je serais presque tenté

de voir l'image d'une divinité : un cylindre, assez mal imprimé au revers d'une tablette, nous montre deux lions (la forme très bien indiquée des membres posté- rieurs ne permet pas d'y reconnaître d'autres animaux), debout sur les pattes de derrière et croisant sur la poi- trine celles de devant, traitées comme les bras d'un homme dont les deux coudes seraient écartés du corps autant que possible. De la tête on ne distingue que les deux oreilles; derrière pend une sorte de double queue, ou plutôt les deux extrémités d'une ceinture (fîg. 17). Les deux lions sont légèrement différents, l'un plus cambré que l'autre ; entre eux sont figurés des tas pyra- midaux de petites boules et une sorte de feuille de trèfle.

Parmi les rares cylindres trouvés à Suse, il en est un, en hématite(?), très grossièrement travaillé à la scie et au burin, qui représente deux lions debout, la queue en l'air, terrassant des gazelles qui se dressent en face l'une de l'autre. L'une de ces dernières a les pattes de devant démesurément longues, touchant terre, tandis que l'autre, par l'inexpérience du graveur, n'en a

pas du tout (fig. 18). Ce petit monument rappelle beaucoup, par le sujet représenté, ceux qui sont reproduits par Men.ml (Glyptique orientale, p. 58, fig. 22, 23, 24) ; je ne le cite ici que sous toutes réserves, ne pouvant rien affirmer quant à sa date.

G.J.

Fig. 17. Grandeur naturelle.

Fig. 18. Grandeur naturelle.

10

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

TAUREAUX

Dans les temps anciens, un des animaux sauvages les plus redoutables de la Mésopotamie était Vurus ou bas primigenius, dont la race est actuellement éteinte, au moins dans ce pays. De même que les Chaldéens et les Assyriens, les graveurs susiens l'ont souvent figuré sur leurs intailles, à peu près de la même manière, et nous pouvons aisément reconnaître cet animal, dont la structure générale est indiquée le plus souvent d'une manière très caractéristique.

Le cylindre que j'ai reproduit plus haut (fig. i6) porte deux représentations de taureaux, dont l'empreinte un peu fruste et très incomplète permet toutefois de distinguer la large tête à l'unique corne recourbée, exactement comme la figureront plus tard les sculpteurs assyriens, et la queue pendant tout droit. Les deux bêtes sont différentes : l'une a le cou plus allongé, l'autre porte une crinière qui fait saillie à la naissance des jambes, et des toufifes de poils se détachent à la hauteur

des genoux, particularité qui semble un peu in- ~ ^ solite chez un animal de cette espèce et rappel-

^^3^ lerait plutôt le mouflon à manchettes figuré sur le même cylindre ; il faut sans doute n'y voir qu'une confusion du graveur.

Le plus beau et le mieux conservé des cylindres de cette série nous montre des taureaux marchant vers la gauche, d'une allure extrême- ment naturelle, qui ^contraste avec les postures un peu raides des animaux représentés sur les autres cachets. Le corps, épais et lourd, très ensellé, est supporté par des jambes bien propor- tionnées, très justes de mouvement ; la grosse tête, fort expressive avec son œil posé de face, est surmontée de la grande corne recourbée ; la queue retombe,

^ ^ I II II _. III I II ■m I

terminée par une triple toufïe de poils. Les bêtes sont sépa- rées par une plante à sept feuilles lancéolées, se dressant tout droit (fig. 19).

Nous retrouvons le même souci du naturel dans une représentation analogue, avec une recherche de perspective curieuse, quoique un peu naïve. Le taureau, dirigé vers la droite et bien campé sur ses jambes de devant, retourne la tête à gauche ; le corps est de profil, la tête aussi, mais toute l'avant-main est représentée de face, d'une façon qui

n'est pomt choquante à l'œil (fig. 20). Les cornes, qui se dressent de chaque côté d'une forte protu- bérance, au sommet de la tête, sont à double courbure et assez minces, ce qui semble indiquer

Fig. 19. Grandeur naturelle.

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FlG. 20. Grandeur naturelle.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

ir

une race bovine autre que l'urus, mais que je ne puis déterminer exactement. De chaque côté, un taureau beaucoup plus petit est debout dans la même position, mais ne porte sur la tète que la grosse corne à courbure simple. Les vides du champ sont comblés par des croix alezées. La partie inférieure du cachet n'est pas visible.

Un grand cylindre en pâte blanche, très bien conservé, sur lequel j'aurai à revenir plus loin (v. pi. I, fig. 2) porte à sa partie inférieure trois animaux semblables, marchant vers la droite, dont la tète, représentée de face, avec son frontal très large et son museau carré, et surmontée de deux cornes, paraît bien devoir appartenir à un individu de la race bovine. Le travail en est du reste très sommaire.

Les taureaux ne sont pas toujours représentés au naturel ; souvent les graveurs susiens ont adapté leurs formes générales à des figures bizarres dont la pose est plutôt celle de l'homme que celle d'un animal. Au revers d'une grande tablette, nous voyons une théorie de ces êtres étranges, absolument sem- blables, debout, dirigés vers la droite. L'exécution est maladroite et les proportions manquent d'exactitude ; la tète, très petite et allongée, est surmontée d'une paire de fines cornes en accolade; les pattes de devant, posées sur la poitrine, se terminent par une sorte de main à trois doigts, largement ouverte ; les cuisses sont énor- mes, et les sabots, tout petits, sortent d'un gros paturon

évasé. Une sorte de caleçon enserre le bas du ventre, et de pendent par derrière deux rubans, l'un traînant jusqu'à terre, l'autre de moitié plus court, 'qui peut-être figure la queue (fig. 21).

Un sujet analogue se retrouve sur un cvlindrc d'une exécution plus soignée, dont l'em- preinte nous est conservée au revers d'une autre tablette. Les deux animaux représentés, diffé-

_____________^ rents l'un de l'autre, sont agenouillés, le buste droit, et

tournés vers la gauche, les pattes de devant toujours dans la même position, repliées à la hauteur de la poitrine ; le ventre est proéminent et les cuisses très fortes. Le premier de ces animaux a une grosse tête au chanfrein busqué surmontée d'une forte protubérance, de deux cornes arrondies et d'une mèche se recourbant en avant ; d'autres mèches de poils pendent de l'avant-bras, et la queue se replie deux fois derrière la croupe, avant de retomber à terre. Dans le taureau de droite, nous avons l'autre type de cornes sur une tète plus fine, et la queue se termine par un gros paquet de poils finissant en pointe (fig. 22). Sur cette empreinte assez médiocre, on ne distingue que vaguement les objets accessoires, des lozangcs striés et une sorte de fleur de lotus sur une tige droite surmontée d'un disque ailé (?).

Fig. 21. Grandeur naturelle.

Fig. 22. Gr.mdeur naturelle.

12

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

r^-g^^^ ^T^

Û.J

Plus étrange encore, presque grotesque, un autre cylindre, également sur une tablette, nous montre deux individus de la même espèce, agenouillés en face l'un de l'autre. Celui qui est tourné

à droite est petit et trapu, au corps informe, la

tête à la corne unique plantée gauchement sur un cou trop mince ; ses pattes de devant ne sont guère que des moignons tenant un petit objet rectangulaire ; la queue remonte obliquement pour se terminer par un enroulement. L'autre animal, qui lui fait face, est encore bien plus disproportionné: de longues jambes, des cuisses monstrueuses sur lesquelles s'étale un corps très court d'une épaisseur invraisemblable (fîg. 23). Les pattes de devant sont de vrais bras d'homme, l'un replié derrière la tête, .l'autre tendant en avant un faisceau de flèches(?) ; la queue, qui commence par se relever, se coude brusquement à angle droit. La tête, avec sa corne arrondie, indique que les deux bêtes sont de la même espèce. Parfois aussi, ces êtres sont représentés de face ; nous n'en avons que des fragments d'em- preinte, l'un très flou, qui nous les montre dans une allure rappelant un peu le Moloch syrien.

FiG. 23. Grandeur naturelle.

4 A

^ t-

FiG. 24-26. Grandeur naturelle.

les autres qui ne nous donnent que le bas du corps, avec des cuisses striées longitudinalement, semblables plus à celles d'une grenouille qu'à celles d'un taureau (fîg. 2.4-26).

Je crois reconnaître des veaux dans des animaux au corps jeune, porté sur de grandes jambes

FiG. 27. Grandeur naturelle.

grêles, sujet principal d'un cylindre roulé .sur une motte d'argile ; la tète, petite et arrondie.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

est plantée très naturellement sur un cou mince. Leur allure, pleine de vérité, contraste avec celle des antilopes inhabilement dessinées qui les surmontent (fig. 27). Derrière eux, une branche recourbée, garnie de ses. feuilles.

LIONS ET TAUREAUX

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Ls. ^

^MDrjJfimi

Fig. 28. Grandeur naturelle.

La légende babylonienne nous raconte les luttes qu'eurent à soutenir Gilgamès et son ami Eabani avec le lion et le taureau, les deux fléaux de la contrée, avant d'entreprendre leur expé- dition contre le roi d'Elam. Les cylindres chaldéens de la plus ancienne époque donnent souvent la représentation de ces combats(i), mais il est curieux de retrouver à Suse même, la capitale du pays conquis par le mythique héros mésopotamien, les deux mêmes animaux, qui furent ses adversaires les plus sérieux, figurés côte à côte sur plusieurs monuments datant d'une époque qui doit correspondre à peu près à celle qu'il symbolise. Je me borne à signaler ici ce singulier rapprochement, sans vouloir en tirer des conclusions qui ne pourraient être que hasardeuses.

Les deux premiers cylindres de cette série, imprimés sur des tablettes, ne nous donnent guère que des sil- houettes. Ici, les deux animaux se suivent à une allure très calme, et si le lion a pas mal de carac- tère, avec sa tête bien dessinée, sa crinière bouf- fante et sa queue élégamment enroulée au-dessus du dos, le taureau est très inférieur comme dessin : la tête et le cou surtout (fig. 28) ressemblent plus à ceux d'un solipède qu'à un individu de la race bovine, et les cornes ont une courbure tout à fait insolite. Quant au petit animal couché au-dessus du dos du taureau, qui fait penser à un cheval, je ne puis guère le déterminer, étant donnée la mala- dresse de l'artiste. Sur l'autre cachet, les deux bêtes sont stviisées d'une manière tout à fait particulière, avec leurs jambes posées obliquement, indiquant comme un arrêt brusque, et leurs grosses têtes informes retournées en arrière, qui ne manquent pas d'expression (fig. 29).

Une autre empreinte incomplète, quoique plusieurs exemplaires nous en soient parvenus, sur des morceaux d'argile, nous montre un travail beaucoup plus soigné. Derrière un lion de

Fig. 29. Grandeur naturelle.

(i) Cf. Menant, Glyptique orientale, I, fii,-. 31, 55, .10, 41, 42, 43, 47, 48. 49.

14

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

G.Ô

Fie. 30.

Grandeur naturelle.

petite taille, dont toute la partie antérieure manque, s'avance un énorme taureau qui occupe pres- que toute la hauteur de l'intaille ; sa tête, représentée de face, est ornée d'une forte barbe, et

au-dessus s'élèvent, de chaque côté de la protubérance crânienne, très accentuée, deux grosses cornes rondes. Le cou est large et court, recouvert d'une épaisse toison striée qui descend jusqu'au bas du poitrail. La seule faute importante de dessin est dans une des jambes postérieures, dont l'attache est très maladroite, mais malgré cela ce cylindre est un des plus intéressants que nous possédions. Les vides du champ sont occupés par des rameaux couverts de leurs feuilles et par un ornement en forme de cœur (fig. 30).

Je reproduis ici, sans toutefois pouvoir en garantir l'exac- titude absolue, tant ce cachet est flou et incomplet, une empreinte qui se trouve au revers d'une tablette. Le sujet, toujours le même, se répète sur deux registres qui empiètent l'un sur l'autre: le taureau, renversé complètement, la croupe en ______

l'air et retournant la tête, est suivi par un lion de plus grande dimension, la queue dressée, les pattes de derrière légèrement repliées, tandis qu'une de celles de devant est tendue vers le taureau. La tête, un peu lourde, devait être travaillée très finement, autant que nous pouvons en juger par certains détails de la crinière que nous pouvons distinguer encore, entre autres de petites mèches à la hauteur des yeux. Entre les deux animaux, il paraît y avoir une sorte de croix ansée, mais peut-être ce motif,

très peu distinct, n'est-il autre chose que l'extrémité de la patte du lion tenant une des jambes du

taureau, posée horizontalement ; tous les efforts que j'ai faits pour arriver à com- prendre ce détail ont échoué devant la mau- vaise conservation de l'original (fig. 31). Une scène beaucoup plus compliquée forme la transition entre la figuration naturelle des animaux et leur représen- tation dans la posture anthropomorphe dont j'ai parlé plus haut; ici nous voyons, sur un cylindre admirablement travaillé, un lion domptant deux taureaux, et, réciproquement, un taureau matant deux lions. La figure principale du premier groupe est debout, comme un homme, le buste posé de face et la tête de profil, tenant dans ses griffes, de chaque côté de lui, deux petits taureaux qui se cabrent. Les

Fig. 31. Grandeur naturelle.

Fie. 32. Grandeur naturelle.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

15-

FiG.

Grandeur naturelle.

détails sont bien étudiés, jusqu'aux petites touffes de poils qui s'échappent de la crinière et même quelques indications de muscles ; les poses sont très décoratives. Dans le groupe qui fait pendant et dont malheureusement toute la partie supérieure a disparu, le taureau appuie ses deux sabots de devant sur la tête de deux petits lions accroupis, la queue dressée. Une sorte de mamelle pendant devant le torse de l'animal prin- cipal pourrait faire croire qu'il s'agit d'une femelle, mais ce détail se trouve dans la partie la moins distincte de l'em- preinte, et il est possible qu'il représente toute autre chose, peut-être une crinière (fig. 32).

Enfin nous retrouvons les deux animaux sous la forme la moins naturelle, chacun à genoux sur un petit bateau dont

la proue et la poupe sont également relevées, naviguant entre des roseaux représentés d'une manière très rudimentaire que nous retrouverons plus tard. Le taureau et le lion, vus de profil, ont des bras qui se détachent du corps l'un au-dessus de l'autre, tenant dans leurs triples griffes une sorte de gaffe terminée en fourche ; la tète du premier porte une paire de petites Fig. 34. Grandeurnaturelie. corncs recourbécs en dehors (fig. 33).

Sur un petit cylindre en pierre noire, d'une époque douteuse, on voit la lutte du lion et du taureau, ou plutôt la poursuite de celui-ci par celui-là. Les deux animaux sont bien dessinés, pleins de vie, et le travail, très soigné, ne laisse plus voir les traces d'outils (fig- 31)-

chKvres sauvages

L'icgagre (i), de nos jours encore, vit, par bandes parfois nombreuses, dans les montagnes du Louristan, et les habitants de Suse ont le connaître de tous temps. 11 n'y a donc pas lieu de nous étonner si nous retrouvons son image sur les plus anciens monuments du pavs. C'est, en effet, cet animal que je crois reconnaître à ses cornes longues et recourbées, sur plusieurs de nos cylindres.

Ces animaux sont figurés avec un art consommé sur un très beau cylindre en pâte fine recou- vert d'une légère couche d'émail verdâtre, le meilleur spécimen de ce genre de monuments qui nous soit parvenu (2); il suffit d'un rapide examen pour voir qu'il est contemporain de ceux qui sont imprimés sur les tablettes, mais ici au moins, comme les moindres détails du relief sont admi- rablement conservés, il est facile de se rendre compte des procédés du travail et de juger de l'ha-

(i) V. Houj^hton, Trans. 0/ Soc. Bibl. Arc/i., V, 340-542.

(2) V. pi. 1.

i6

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

FiG. 3)

Grandeur naturelle.

bileté des anciens ciseleurs de Suse, de leur connaissance approfondie de la nature et de la délica- tesse avec laquelle ils savaient en rendre les moindres détails. Sur ce cylindre, nous voyons d'abord, dans le bas, trois œgagres au corps trapu et solide, aux jambes fines, marchant d'un pas mesuré vers la gauche, la tête relevée presque horizontalement. Les naseaux sont retroussés, l'œil largement fendu, l'oreille, très petite, placée en arrière de la tête; les cornes épaisses et recourbées sont couvertes de stries très rapprochées. Le corps est recouvert d'une épaisse toison

bouclée, sauf sur l'épaule et la cuisse, les poils sont figurés dans le sens de la longueur, ce qui produit un très heureux cfiFet en dessinant nettement les membres. Au-dessus gambadent parmi des plantes trois ani- maux remarquablement naturels d'allure, dans lesquels je crois reconnaître deux antilopes et un cerf (PI. I, fig. i). La seule représentation vraiment bonne de la chèvre sauvage se trouve sur un cachet sont figurés deux indi- vidus de cette race, légèrement différents l'un de l'autre. De la tête triangulaire pend une forte barbe ; les cornes, très longues, se recouvrent l'une l'autre, la bête étant dessinée de profil, et ainsi une seule est figurée; il en est de même pour les jambes, repliées comme si l'animal était en marche. Malgré le manque de détails, il semble qu'une épaisse toison couvrait la poitrine. Le bas des jambes est indis- tinct, et la partie postérieure d'un des animaux a dis- '^ ""' '" "" . "■""■'

paru ; quant aux accessoires qui remplissent le champ, on ne distingue plus guère que des feuilles en fer de lance, montées sur une tige droite (fig. 35).

C'est sans aucun doute le même animal qui est représenté de la façon la plus rudimentaire dans un cylindre imprimé sur une motte d'argile. Lancées au grand galop, ces bêtes ont les pattes figurées par de simples lignes droites, et le reste du dessin est à l'ave- nant. Il est très possible que ce cachet ait été gravé sur

pierre et non sur pâte, comme les autres, auquel cas la difficulté plus grande du travail expli- querait l'infériorité du dessin (fig. 36).

Je ferai la même remarque pour deux autres cylindres dans lesquels toutes les formes sont traitées par des lignes droites se recoupant brusquement ; les cornes seules sont arrondies et se dessinent, dans le premier de ces cachets, l'une au-dessus de l'autre, tandis que sur le second, elles se recourbent en sens inverse, de chaque côté de la tête. Sur celui-ci, plus détaillé, les corps sont striés de lignes obliques, les têtes indiquées par des cercles concentriques faits sans doute à la boute- rolle, d'où sort un museau triangulaire (fig. 38). Dans l'autre, les bêtes sont représentées une fois

G.J.

Fig. 36. Grandeur naturelle.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

17

sur leurs pattes, l'autre fois la tète en bas, de sorte qu'on peut le voir indifféremment dans les deux sens (fig. 37).

FiG. 37 et 3?

Grandeur naturelle.

Sur un cylindre en pâte (i), dont j'ai parlé plus haut à propos des taureaux qui ornent sa partie inférieure, on voit dans les deux autres registres deux types d'animaux semblables à ceux dont je viens de parler: ceux du haut ont la tête de profil, triangulaire, ornée de deux cornes recourbées, l'une en avant, l'autre en arrière. Les trois qui sont au-dessous présentent leur tête de face et portent des cornes beaucoup plus longues et moins courbes, dirigées dans le même sens. Quant au troisième animal du registre supérieur, qui a aussi la tète de face, mais un museau beaucoup plus large, une cassure empêche de voir ses cornes, par conséquent de le déterminer. Il n'est, du reste, pas possible de tirer des conclusions de ce cachet, dont la facture est très sommaire : les animaux, assez maladroitement dessinés, sont indiqués en relief plat, serti de lignes un peu plus accentuées, qui délimitent simplement les membres; c'est ce qui fait qu'en somme on pour- rait aussi bien voir des antilopes que des chèvres sauvages dans les animaux représentés sur la bande du milieu.

Nous retrouvons ces deux types de cornes dans un cylindre roulé deux fois sur un bouchon de vase en terre, qui porte les représentations de sept animaux différents, parmi lesquels doux

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?€"iàc^OiMt

FlG. 39. Grandeur naturel

chèvres sauvages; la première, dont une seule corne est figurée, porte une forte barbe sous le maxillaire inférieur, la seconde, aux deux cornes opposées, n'a pas de barbe. Il s'agit, sans doute, de deux espèces différentes (fig. 39).

(i) V. pi. I, fig. 2.

i8

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

GAZELLES

De même que les chèvres sauvages dans les montagnes, les gazelles abondent dans le désert qui borde la Mésopotamie et la Susiane(i). Sur plusieurs cylindres nous reconnaissons les cornes à double courbure, analogues à celles que nous avons vues pour certains taureaux, mais plus

___^ ,___ , longues. C'est, malheureusement, le seul

indice qui nous permet de les identifier, car les corps, sans doute par inexpérience de l'ar- tiste, n'ont guère de caractère particulier, et pourraient appartenir à n'importe quelle espèce de capridés.

Un de nos plus grands cachets, le plus

important de cette série, représente une

théorie de ces animaux, marchant vers la

gauche, tous semblables, avec de grandes

cornes, une barbe longue et recourbée sous

le menton, et des manchettes aux jambes, ces

derniers caractères étant, comme je viens de

le dire, plutôt ceux d'autres animaux, par

exemple du mouflon. Dans le champ sont des rectangles doubles, en forme de pelle, et en haut,

comme bordure, un ornement dentelé en croissants, entre deux bandes horizontales, tandis que la

bordure du bas, plus étroite, se compose simplement de deux lignes parallèles en relief (fig. 40).

Les animaux figurés sur un autre cylindre, dont nous avons plusieurs empreintes sur des

G.J.

Fie. 40. Grandeur naturelle.

Fig. 41. Grandeur naturelle.

morceaux d'argile, se rapprochent davantage du type de la gazelle, quoique leurs corps soient

(i) Cf. Houghton, Trans. 0/ Soc. Bibl. Arc/i., V, 346.

CACHETS FT CYLINDRES ARCHAÏQUES

19

un peu lourds et leurs jambes un peu courtes. Ils sont couchés, retournant la tête, dans des

carrés formés par des bandes verticales à médaillons arrondis

contenant chacun l'image d'un objet qui ressemble à un vase,

et en bas, par une large bordure formée comme de mèches qui

s'amincissent et s'enroulent à leur extrémité inférieure. Au point

de vue de la composition ornementale, ce cachet, seul de son

espèce, est des plus intéressant (fig. 41).

Un autre cylindre, gravé sans doute sur pierre, nous a donné une empreinte très nette, à part, toutefois, l'extrémité des têtes. Le travail en est assez mauvais : le graveur a beaucoup exagéré les cornes, qui lui paraissaient la partie la plus caracté- ristique de la bête ; les corps sont informes et les jambes simplement indiquées par des traits obliques, séparés du corps (fig. 42).

V //// //// n

G.J.

Fig. 42. Grandeur naturelle.

ANTILOPES

Je classe sous ce terme un peu général plusieurs représentations d'animaux portant sur la tête de longues cornes, recourbées plusieurs fois et de différentes manières. Jamais, sur les bas- _ reliefs assyriens, nous ne retrouvons ces espèces, aussi, leur identi-

fication exacte ne me parait pas possible pour le moment (i).

Nous en avons déjà vu un exemple sur un cylindre reproduit

plus haut (fig. 27) qui. donne l'image de bêtes couchées, dont la

jambe de derrière est dessinée d'une façon insolite. Les cornes, très

longues, sont différentes comme forme de celles qui ornent la tète

d'autres animaux, sur un cylindre beaucoup plus soigné, dont un

fragment d'empreinte seulement nous est parvenu. Ici, les antilopes

sont dressées sur leurs pattes de derrière, aux cuisses énormes; les

pattes de devant sont repliées, et le cou, retourné, supporte une tête

d'où pend une longue barbe ondulée. Dans les accessoires, très

incomplets, je ne distingue qu'une sorte de feuille de lierre. L'autre bête, qui faisait pendant à

celle que je viens de décrire, était différente pour la forme des cornes et sans doute aussi pour

le corps, qui a presque complètement disparu (fig. 43).

J'aurai à revenir plus loin sur un cvlindrc qui nous montre, derrière un griffon étrange, une antilope lancée au galop, d'une très belle allure. Les cornes, à quadruple courbure, sont presque

Fig. 43. Grandeur naturelle

(i) Cf. Houghton, Trans. of Soc. Bibl. Arch.. V, 345

20

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

^⻫=@

FiG. 44. Grandeur naturelle.

aussi longues que le corps ; la tète, à peu près ronde, aux naseaux bizarrement retroussés, s'at- tache sur un cou très fin d'abord, puis se terminant par un gros fanon, d'où se détachent trois petites boucles de poils. Des petites touffes semblables sont figurées à la naissance de chacune des pattes

(fig- 44)-

Elle est peut-être mieux dessinée encore, cette

bête qui galope au-dessus d'un monstre, et dont, mal- heureusement, la tête manque; la partie antérieure du corps et le détail du garrot sont d'un vrai artiste, tandis que l'arrière-train est peut- être un peu grêle. La corne, qui se termine en fourche, est curieuse de forme.

Sur le grand cylindre en pâte, dont j'ai parlé plus haut, à propos des chèvres (pi. I, fig. i), nous voyons galoper dans le haut, avec une vérité d'allure tout à fait remarquable, deux animaux à longues cornes presque droites dans lesquels je ne puis voir autre chose que des antilopes; la tète est très fine, le chanfrein et les naseaux bien indiqués, ainsi qu'une longue fig. 45. Grandeur naturelle, barbe droite. Il faut remarquer tout spécialement le dessin parfait des

pattes et leur mouvement si naturel. Tout cela fait de ce petit objet un monument artistique de premier ordre (fig. 45).

CERFS

Ce n'est que sur un seul cylindre, reproduit en plusieurs exemplaires sur des tablettes, que

, , _ _^ nous voyons apparaître le cerf, de l'espèce méso-

potamienne sans doute, figuré ici avec un corps lourd, un cou très court, mais avec des cornes fort caractéristiques dont une a disparu, ainsi que le bas des jambes et la tête du lion qui complète la composition. Il ne peut y avoir aucun doute pour l'identification de cet animal, facilement reconnais- sable malgré les défectuosités du dessin (fig. 46). Sur le grand cylindre dont il vient d'être question (pi. I, fig. i), à côté des chèvres sauvages et des antilopes, un autre animal paraît bien repré- senter un cerf, à en juger par ses cornes très ramifiées, recourbées à angle droit; une toison bouclée recouvre le cou et le corps, tandis que les pattes semblent nues. Ce quadrupède, aussi

Fig. 46. Grandeur naturelle.

kmaillep:

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

bien travaillé et aussi naturel d'allure que ceux qui l'accompagnent, n'a cependant pas un caractère aussi précis dans les formes, et nous ne pouvons l'identifier qu'avec beaucoup de réserves.

QUADRUPÈDES DIVERS

Sur un fragment d'empreinte d'un cylindre vraisemblablement gravé sur pierre, se dresse, campé drôlement sur trois jambes, un petit animal à la tête triangu- laire portant un gros œil rond et deux oreilles pointues ; sa queue est très courte (fig. 47). Cette représentation très simplifiée semble être celle d'une sorte de chien. Quant au travail, il est le même que sur deux autres cachets, reproduits plus haut (fig. 37 et 38), sont figurées

des chèvres sauvages.

Fig. 47. Grandeur naturelle.

G.J.

Fig. 48. Grandeur naturelle.

Nous retrouvons la môme silhouette avec les oreilles plus petites

toutefois, sur un cylindre dont j'ai déjà parlé (fig. 39) sont reproduits, outre deux aegagres

. et deux têtes coupées à cornes légèrement courbées,

plusieurs autres animaux. Au registre supérieur d'abord, devant le chien, si c'en est un, que je viens de mentionner, deux bêtes d'une allure approchante marchent vers la droite, mais ils ont le dos plus renflé et la tête plus petite, sans indication d'oreilles. Au-dessous, un singe (?) accroupi semble tirer la queue d'une des chèvres, et derrière lui, un gros

oiseau, au cou fortement recourbé, ressemblant un peu à un dindon, se tient debout sur ses

deux pattes. Je n'ai rencontré sur aucun autre de nos cylindres de

figurations de ces deux animaux.

Je ne puis déterminer un mammifère qui se trouve représenté

en deux tailles différentes, la tête ronde à oreilles droites et la queue

courte étant des particularités par trop insuffisantes (fig. 48). Les

végétaux qui accompagnent ces figures sont plus curieux : la tige

droite, plantée au sommet d'un petit monticule, se recourbe brusque- ment, donnant naissance à deux rameaux, parallèles ou obliques

l'un par rapport à l'autre et terminés par une sorte de fruit ovoïde. Il me reste à citer ici deux cylindres très fragmentés, imprimés

sur des mottes d'argile, se trouvent figurés des quadrupèdes

qui doivent appartenir soit au genre des capridés, soit à celui

des antilopes. Sur le premier (fig. 49), l'animal est représenté debout, vu légèrement en raccourci,

dans un curieux essai de perspective, remarquable surtout par la pose très naturelle de l'arricre-

FlG. 49. Grandeur naturelle.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

V

/,\

V

\

^-^

train. La tète a entièrement disparu. Les ornements qui l'accompagnent, formés de courbes

striées de lignes obliques, sont trop incomplets pour qu'on puisse les définir.

Sur l'autre cachet, dont nous possédons deux fragments qui ne se raccordent pas, nous voyons des animaux debout, retournant la tète, repliant une des pattQS de devant et rele- vant l'autre dans un geste très naturel. Malheureusement le haut de la tête et les cornes ont disparu. Une ligne ver- ticale aboutit à la naissance de la queue ; derrière sont

couchées des bêtes, de la même espèce probablement, mais beaucoup plus petites et sans cornes.

Leurs pattes sont repliées sous le corps (fig. 50).

FiG. 50.

î

Grandeur naturelle.

ANIMAUX FANTASTIQUES

Fig. 51. Grandeur naturelle.

A propos des taureaux et des lions, j'ai déjà eu l'occasion de signaler ces êtres bizarres

les graveurs susiens unissaient des membres d'animaux et des pos- tures humaines. Ceux qu'il me reste à citer sont plus étranges encore,

et leurs formes plus difficiles à analyser.

Dans un cylindre très flou, au revers d'une tablette, nous voyons

un de ces monstres, debout sur des pattes de taureau, avec une très

courte queue; deux bras sont relevés de chaque côté du corps, et

la tête, de forme rectangulaire, est ornée non plus de cornes, mais de

grandes oreilles rappelant celles du lièvre (fig. 51). L'animal qui

le précède est à moitié détruit, mais nous pouvons encore voir

que sa position était analogue ; la tête, un peu plus fine, a des oreilles un peu plus courtes. Sur plusieurs tablettes se trouve l'empreinte d'un cachet, en général assez indistinct, dont ______^^^^^^__^__________ la décoration consiste en un animal à peu près semblable, na- viguant sur une barque entre des toufiFes de roseaux attachés trois par trois, dont on ne voit plus la partie supérieure. Cet être est agenouillé sur des pattes qui se terminent par une triple griffe ; l'abdomen sur lequel sont croisées les mains est très proéminent ; sur la tète deux grosses oreilles pointues. La queue, très rigide, est ramifiée comme une branche d'arbre. Le bateau est dessiné dans tous ses détails : il est court et haut, arrondi en dessous, avec une proue et une poupe très relevées, celle-ci légèrement plus grosse ; le bordage est à

Fig.

Grandeur naturelle.

jour, et le

long de

a coque descendent trois bandes verticales, striées de lignes obliques, qui

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

25

paraissent être simplement un motif décoratif. Au-dessus sont représentés une sorte de boucle en étrier, dont je ne m'explique pas l'usage, et deux objets dont l'un est un harpon et l'autre peut-être une rame.

Un corps de lion et des pattes d'aigles, telle est la forme que les Assyriens ont donnée à quelques-uns de leurs génies, et que nous retrouvons figurée sur un des cylindres reproduits plus haut (fig. 44). Le anonstre marche lentement, précédant une antilope au galop; sur le dos se dresse une large aile ; la tête de lion sort dune crinière à triple imbrication de boucles, sur- montant une protubérance étrange, pointue, qui semble une tête d'aigle, maladroitement fixée au cou; cette partie du griflfon, qui est la plus curieuse, est malheureusement très indistincte sur toutes les empreintes, tandis que tout le reste de la bête, malgré le peu de relief du cachet, est dessiné très correctement et avec beaucoup de vie et d'expression.

Sur un autre fragment d'empreinte, nous voyons encore un monstre des plus bizarres, qui se dresse, avec son long cou élégamment recourbé, et ses pattes de devant à demi repliées, au- dessous d'une antilope lancée à toute allure (v. plus haut fig. 45). Cet être fantastique est encore plus difficile à identifier que le précédent, car nous ne trouvons pas son pareil dans les bas-reliefs assyriens, au moins à ma connaissance.

HOMMES

La figure humaine, comme je l'ai dit en commençant, est extrêmement rare sur les cylindres archaïques de Suse. Nous la retrouvons cependant, traitée tout à fait à l'égyptienne ; les personnages se suivent, marchant à grandes enjambées, un bras à demi tendu en avant, l'autre recourbé à la hauteur du crâne ; entre eux une sorte de rectangle posé vertica- lement représente peut-être une porte (fig. 53). La silhouette de _______^________^______ l'homme, pleine de vie, dé- note déjà chez le graveur beaucoup d'habileté et d'ob- servation de la nature. 4 ^^ P*^// li;-""\ ^it5Ï ,, . j .

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G.J.

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Fig. 53. Grandeur naturelle.

pour le second cachet de cette catégorie, dont nous n'avons qu'un fragment d'empreinte, très bien conserve. Ici deux personnages, plutôt ébauchés que dessinés, aux formes lourdes et maladroites, sont assis en face l'un de l'autre, levant un bras ; celui de gauche est sur un tabouret à pieds très bas, l'autre sur une sorte de borne (fig. 54). (>ette petite scène, dont la signification est assez peu claire, est encadrée par un double rectangle

Fig. 54. Grandeur naturelle.

24

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

divisé en petites cases par des lignes perpendiculaires, et n'occupait qu'une partie du cylindre,

ainsi que nous pouvons le voir par quelques traces de relief, qui apparaissent sur la gauche.

Un cylindre en terre cuite, très grossier, aux figures absolument barbares, semble devoir appartenir à une époque très ancienne, peut-être contemporaine de celle des tablettes, car il provient de la même région du tell de Suse. Le dessin se borne à de simples traits sans épaisseur, tant pour l'homme debout, les bras écartés, que pour son arc, l'anti-

G.J.

FiG. 55. Grandeur naturelle.

lope, l'étoile et l'arbre qui complètent la scène (fig. 55).

POISSONS, SERPENTS, SCORPIONS

Parmi les animaux inférieurs, j'ai déjà eu l'occasion de signaler la tortue (fig. 13); il me reste à mentionner les poissons, dont nous trouvons dans un cylindre reproduit plus haut (fig. 52) un exemplaire très bien dessiné, pour représenter l'eau au-dessous d'une barque. Parfois il forme à lui seul le sujet d'une intaille, comme dans ce petit cachet [qui [en représente une série nageant l'un derrière l'autre, entre deux rangées de petits points traversés de lignes en croix.

Fig. 56-58. Grandeur naturelle.

Le serpent et le scorpion apparaissent, dressés côte à côte, dans deux cylindres de très petites dimensions. Sur le premier, ces deux animaux sont dessinés avec beaucoup de naturel, tandis que dans l'autre, dont la matrice était peut-être gravée sur pierre, on les devine plutôt qu'on ne les reconnaît dans ces lignes épaisses qui se coupent à angle droit.

ORNEMENTS

J'ai mentionné, au fur et à mesure qu'ils se présentaient sur les cachets reproduits jusqu'ici, les rudimentaires figurations végétales et les quelques ornements qui remplissent les vides dans le champ du cylindre, entre les représentations d'animaux. Les uns et les autres ont trop peu

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

25

FiG. 59. Grandeur naturelle.

d'importance pour qu'il vaille la peine d'v revenir avec plus de détails; il ne me reste plus à

décrire ici que deux empreintes dans lesquelles nous voyons

un ornement régulier occuper toute la surface du cylindre,

devenu ainsi purement décoratif ; toutes deux sont conservées

sur des morceaux d'argile, découverts parmi ceux dont j'ai

parlé jusqu'ici, et appartenant incontestablement à la même

époque.

Sur le premier, c'est une suite de rosaces formées de

cercles concentriques; la zone extérieure, plus large, est

striée de lignes à peu près parallèles, laissant en haut et en bas du rond un triangle très ouvert (fig. 59). Il faut noter ici la manière presque parfaite avec laquelle le graveur a tracé ses cercles, opération plutôt compliquée sur une surface con- vexe comme celle d'un cvlindre.

Sur l'autre cachet, nous voyons se répéter un motif

composé de trois lignes recourbées en forme de fer à cheval, inscrites l'une dans l'autre ; la partie

supérieure du cylindre manque (fig. 60).

Fig. 60. Grandeur naturelle.

CONCLUSIONS

Les petits monuments que je viens de décrire ouvrent donc, comme on le voit, un chapitre tout nouveau dans l'histoire de l'art oriental. Sans atteindre la perfection, ils nous montrent cependant que les graveurs susiens étaient déjà arrivés fort loin à cette époque si reculée ; bons observateurs de la nature, ils savaient rendre avec beaucoup de vérité les formes générales et caractéristiques de l'animal qu'ils voulaient reproduire, et cette recherche de la simplicité et de la simplification dénote déjà un art qui est très éloigné de la barbarie primitive. Inhabiles sans doute à graver sur la pierre dure, ces artistes avaient adopté la pâte tendre qui leur facilitait consi- dérablement la tâche en leur permettant de reproduire leur dessin presque sans difficultés matérielles.

Un grand pas a été franchi et un progrès énorme réalisé entre les cachets aux représenta- tions rudimentaires, que j'ai décrits en commençant, et les cylindres imprimés sur nos tablettes. Il y a plus de distance encore entre ceux-ci et les plus anciennes intailles chaldéennes, celles qui représentent des épisodes de l'épopée de Gilgamès, les seules qui aient encore une certaine analogie avec nos cachets et qui en dérivent très probablement. Ici, les graveurs reprennent l'ancien pro-

4

26 CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

cédé de tailler leurs cylindres sur la pierre, mais cette fois avec une assurance et une maîtrise telles, qu'après eux leur art ne pourra plus que décliner.

Quels sont les monuments qu'on peut classer entre ces deux époques? Nous n'avons point de documents positifs à cet égard, mais je serais tenté d'y ranger certains cylindres en marbre, très grossiers comme travail, dont M. Menant reproduit quelques-uns dans son grand ouvrage (i).

Si l'on veut trouver des objets d'art contemporains des cachets de Suse, ce n'est pas en Méso- potamie qu'il faut les chercher, mais beaucoup plus loin, en Egypte, depuis quelques années de nombreux monuments datant soit des premières dynasties, soit d'une époque qui doit être sensi- blement la même, sont sortis de terre. Ce n'est pas ici le lieu de faire à ce sujet une étude com- parée, les documents du reste sont encore trop peu nombreux, dans un pays comme dans l'autre; je ne ferai qu'indiquer certains points de rapprochement très curieux, qui frappent à première vue.

De même que les habitants de la Mésopotamie et des pays avoisinants, les Egyptiens se ser- vaient à cette époque-là de cylindres en guise de cachets, système qu'ils abandonnèrent complète- ment dès le Moyen Empire, et les employaient pour sceller les grands bouchons d'argile de leurs jarres (2). Comme ils étaient en possession d'une écriture très décorative par elle-même, ce que nous trouvons surtout sur ces cylindres, ce sont des inscriptions au nom du propriétaire, mais il s'en rencontre aussi quelques-uns qui portent des représentations d'animaux très analogues comme style aux cachets de Susc (3). Ce triple rapprochement, dans des objets d'usage courant, l'emploi des cylindres, les empreintes sur des bouchons de vases, et les motifs de décoration ani- male, se retrouvant chez deux peuples si distants l'un de l'autre, semble bien indiquer une ori- gine commune, surtout si l'on songe que le cylindre, difficile à graver en raison même de sa forme, et compliqué comme emploi, n'est pas un de ces objets simples dont l'usage s'impose aux peuples primitifs.

Pour le style même de la décoration et pour les figurations d'animaux, il faut se reporter à d'autres objets, beaucoup plus soignés, datant aussi des premiers rois d'Egypte. Je veux parler de ces plaques de schiste couvertes de sculptures extrêmement fines, dont l'usage est loin d'être encore exactement défini, et qui sont les œuvres d'art les plus importantes de répoque(4). Ici, nous retrouvons, à côté de grandes scènes historiques, de nombreuses représentations d'animaux qui, quoique traitées par des artistes certainement de beaucoup supérieurs, offrent avec nos cylindres

(i) Glyptique orientale, I, p. 4)-54-

(2) V. à ce sujet de Morgan, Recherches sur les origines de l'Egypte, II. p. 165-172; 243-244. Pétrie, Royal Tombs, I, pi. XVIII à XXIX; II, pi. XIII-XXIV, etc.

(3) Jéquier, dans de Morgan, Recherches, II, p. 257. Pétrie, Royal Tombs, II, pi. XIV, fig. 101-104.

(4) Heuzey, Bull, de corr. hellen., XVI, p. 307. Steindorff, A£gyptiace, p. 124 sq. Jéquier, dans de Morgan, Recherches, II, p. 265. Legge, Proc. ofSoc. Bibl. Arch., XXII, 125-138. Quibell, Hieraconpolis, pi. XXVIII et XXIX.

CACHETS ET CYLINDRES ARCHAÏQUES

des analogies frappantes ; c'est la même observation de la nature, le dessin très simplifié qui se borne à donner, d'un trait pur et net, les formes générales et caractéristiques, l'allure de l'ani- mal, en omettant les détails sans importance et enfin ce rendu souple et énergique, qui est le fait d'un artiste possédant à fond son métier.

Il me reste encore à mentionner, dans cet ordre d'idées, certains ivoires sculptés, spéciale- ment ceux qui ont été trouvés à Kom-el-Ahmar, du même style et d'une facture en tous points semblable à celle des palettes de schiste (i).

Il serait prématuré de vouloir tirer de ces rapprochements des conclusions relatives à l'ori- gine commune des deux grandes civilisations de l'Orient ancien, quelque tentantes qu'elles puissent être. Je me borne donc ici à les signaler, espérant que les fouilles qui nous ont livré, ces dernières années, tant de documents absolument nouveaux sur ces époques si reculées, et qui sont poursuivies avec ardeur tant en Égvpte qu'en Mésopotamie, viennent peu à peu apporter quelque clarté dans cette question si intéressante des origines.

(i) Quibell, Hieraconpolis, pi. XII. Cf. Pétrie, Nagada and Ballas, pi. LXXVII.

DÉCOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHEMÉNIDE A SUSE

Par J. de Morgan.

Nous n'avons, jusqu'à ce jour, découvert aucune des nécropoles susicnnes: on ne peut, en eflfet, qualifier de nécropole l'ensemble des sépultures éparscs qui se rencontrent sans groupement dans les diverses parties des ruines. Les cimetières existent, cependant, car de tout temps Suse fut un centre considérable de population.

Les habitants de la Chouchan élamite étaient nombreux et, bien certainement, la ville enter- rait ses morts du commun à proximité de ses murailles. Quant aux rois et aux grands person- nages, leur dépouille était portée dans un lieu spécial dont Assurbanipal(i) se vante d'avoir détruit les tombeaux.

La nécropole royale était certainement voisine de Suse, car c'est au moment du sac de la ville que le roi d'Assyrie profana les sépultures. Elle n'était pas dans les montagnes qui semblent avoir été indemnes de la visite des troupes ninivites; elle ne se trouvait pas à l'ouest de la capitale, plaine basse et humide impropre à l'établissement d'un cimetière : c'est donc sur la rive gauche du Chaour, entre cette rivière et l'Ab-é-Diz qu'il conviendrait de la chercher.

Au temps des Achéménides, alors que la religion dominante dans l'Iran était le Mazdéisme, des peines très sévères étaient édictées contre ceux qui souilleraient la terre du contact d'un cadavrc(2) et les populations païennes (3) soumises au Grand Roi durent éviter de rendre publi- ques leurs pratiques funéraires; il ne put donc exister de nécropole. Seuls les rois et les grands de cette époque obtinrent, par des moyens détournés, une dérogation à la loi avestique; leurs tombeaux peu nombreux, sont connus pour la plupart.

(i) Cf. J. .Menant, Annales de l'Assyrie, p. 268 (W. A, I. 111. c. vi, 1. -y). J. de .Morgan, Mission scicntijique en Perse, t. IV. Recherches archéologiques, p. 205.

(2) Le Zend-Avesta (trag. 7. Trad. J. Darmesteter, t. 11, p. loi) dit qu'ils restent impurs à tout jamais. Quant à la peine corporelle on voit par ailleurs (Vd. VIII et Strab. XV. 14) que c'est la mort. Le Shàyast (II, 76) en t'ait un crime margarzàn (mortel, inexpiable) et les Rivàyats annoncent que le coupable sera puni dans ce monde et dans l'autre; on doit l'écorcher vif devant le peuple, le démembrer et le livrer aux chiens et aux corbeaux.

(3) Communément nommées Daêva (Div.) dans le Zend-Avesta.

30

DECOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHEMÉNIDE A SUSE

Après la conquête grecque, Suse, devenue Scleucie d'Oulaï(i), bien que déchue de son rang de capitale d'empire n'en resta pas moins une cite populeuse (2) et, grâce aux mœurs nouvelles et à la religion qui supplanta le culte du feu, les nécropoles reparurent; non que l'élément maz- déen eût renoncé à ses usages, mais parce que, dans une population aussi mélangée que fut for- cément celle d'une grande cité greco-pcrse, chaque culte suivit publiquement ses rites et les Maz- déensde cette époque furent, à peu de chose prés, réduits à ce qu'ils sont aujourd'hui, qu'ils vivent côte à côte avec les musulmans, les chrétiens et les Hindous.

FiG. 61. Vue de la mosquée de Daniel.

Avec l'avônemcnt de la dynastie sassanidc et le rétablissement des autels du feu, apparurent de nouveau les tours du Silence et les Charniers tels qu'on en voit encore aux Indes, à Téhéran, à Yezd, tels que j'en ai retrouvé les traces dans les montagnes du Nord de la Perse (3). Les

(i) Le nom de Suse à l'époque séieucide. Scleucie d'Oiilaï. nous est fourni par une inscription grecque trouvée à Suse en 1900.

(2) Strabon (I, 131, 133, 144: III, 283, trad. Tardieu) dit que de son temps (HI. 280) l'enceinte de la ville avait encore t2o stades de pourtour.

(3) J. de Morgan, Mission scientifique en Perse, t. IV. Recherches archéologiques, p. 16.

iiG. 02. Vue du tombeau des Deux Frères.

^.B.llr0Uft-,JltH

FiG._65. Vue du tombeau d'un cheikh.

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DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

mages de l'époque sassanide durent être plus tolérants que ceux des anciens temps, car cette période correspond au plus grand développement du christianisme en Iran ; mais rien ne prouve que les non-Mazdéens eussent été autorisés à créer des nécropoles officielles. Ces sépultures furent

disséminées et, probablement, faites clandestinement. Ces considérations expliqueraient la présence, dans les ruines de Suse, d'un grand nombre de tombeaux placés pour ainsi dire au hasard. Ils appartenaient aux juifs, aux chrétiens, aux païens dont les usages n'étaient pas tolérés au point de laisser publiquement souiller la terre. Avec les musulmans, les cime- tières devinrent de nouveau lieux saints : Suse, encore très peuplée, répandit au dehors de ses murs les tombes des fidèles ; le corps de Daniel fut, dit-on, retrouvé (i), une mosquée s'éleva rapidement (fig. 6 1 ) et ses alen- tours se couvrirent de tombeaux. Quelques cheikhs réputés furent en- terrés avec plus de luxe que le com- mun des citadins; on voit encore (fig. 62 et 63 ) leurs monuments ruinés dans la plaine (2).

Sépultures de l'époque élamite. Nous ne connaissons rien encore des sépultures princièresélamites. Les rites funéraires devaient être voisins de ceux de la Chàldée, si nous en jugeons par la communauté des idées religieuses chez les

(i) Cf. Yakout. Trad. Barbier de Meynard, p. 327. « La dernière place de l'Ahwaz qui tomba au pouvoir des Musulmans est Sous. On y trouva le corps du prophète Daniel... Par l'ordre d'Omar on arrêta le cours du fleuve dans lequel on creusa une fosse et on y déposa les cendres de Daniel : puis on rendit aux eaux leur première direction. » Suse est citée comme ville existant encore par Ibn-Thaher el-Mogaddessi, par Hamd Allah Mustôfî, par El-Isthakhri, par El-.Mokri, etc.; d'autre part les restes arabes que nous trouvons dans les ruines appartiennent généralement au xiv-- et au xv= siècles.

(2) Les indigènes prétendent que ces santons datent de l'époque ou Suse était encore une ville importante, c'est-à- dire du xiv= ou du xv<^ siècle de notre ère au plus tard.

Fig. 64.

Amphore funéraire.

DECOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHExMENIDE A SUSE

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deux peuples, mais la Chaldée elle-même ne nous a jusqu'ici fourni aucun renseignement à ce sujet. Seuls les tombeaux appartenant à la classe pauvre ont été retrouvés, et, à Suse, ils sont les mêmes qu'àWarka, à Moug-heir, à Niffer, etc..

L-IG. t.:

Scpultiire dans des amphores.

Les morts étaient souvent enterrés dans le sol de la maison, la corps enfermé dans une am- phore (fig. 64) ou dans deux longs vases placés bouta bout et joints au bitume (fig. 65). Quelques perles de pierre accompagnaient seules le défunt. Quant aux tombeaux plus compliqués (i), renfermant un mobilier de vases, d'armes et de bijoux, nous n'en avons pas encore rencontré.

Sépultures gréco-partiies. Les sépultures appartenant aux temps qui se sont écoulés entre la conquête d'.Mexandrc et la restauration sassanide du mazdéisme, c'est-à-dire du iv" siècle avant notre ère au m' siècle après J.-C. sont disséminées dans le tell dit de la Ville Royale, occupant principalement la partie centrale et la pointe méridionale. Elles sont profon- dément creusées dans le sol. Un puits étroit, de 10 à i 5 mètres, donne accès dans une chambre, soit produite par l'élargissement du puits, soit, suivant la coutume égyptienne (2), placée latéra- lement. La plupart du temps, des vases grossiers, des fioles de verre et quelques petits objets sans importance accompagnent seuls le squelette et permettent d'en fixer approximativement la date (3).

(i) Cf. Lottus, Traveh and researcfies, p. 203, 204 et c!iap. x. Taylor, Journ. of the AsiaticSoc, vol. XV, p. 269. G. Rawlinson, The five Great Monarchies, t. I, p. 87.

(2) Puits funéraires et chambres des mastabas de la nécropole Memphite, à Dahchour. Saqqarah, etc.

(5) M. Dieulafoy a découvert dans le tell de la Ville Royale bon nombre de ces puits funéraires (cf. l'Acropole de Suse, p. 426, flg. 274). Quelques-uns renfermaient des médailles {id.. p. 456. ilg. 521); tous semblent appartenir à la période parthe. Le même auteur(/if.. p. 436, fig. 320) attribue à Pliraates //(136-127 av. J.-C.) une médaille de bronze alors que cette monnaie, de môme que le suivant, appartient à un certain Kamnaskirès, peut-être à celui qui monta

5

34 DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉ:NIDE A SUSE

En Cbaldée, on rencontre fréquemment, à Niffer entre autres localités, des sarcophages gréco-pàrthes en terre ômaillée. A Suse ces cercueils semblent être plus rares; on ne les a trouvés jusqu'ici qu'en fragments.

Les renseignements que nous possédons jusqu'à ce jour sur les usages funéraires à Suse, aux diverses époques, sont donc très pauvres ; mais, grâce à la méthode adoptée dans les fouilles, aucun monument, quelque modeste qu'il soit, ne pouvant échapper, nous parviendrons à réunir les documents nécessaires pour une étude d'ensemble.

J'ai dit que les tombeaux apparaissent toujours fortuitement dans nos tranchées, sans qu'aucun indice puisse faire pressentir leur présence. Généralement ce sont des sépultures sans importance, pauvres en objets comme en renseignements.

Découverte de la sépulture d'époque achéménide. Une seule tombe importante a été rencontrée, jusqu'ici, parmi ces sépultures isolées; elle offre un intérêt considérable; rien n'en pouvait faire supposer l'existence, aucun indice extérieur ne la révélait, les terres qui l'entouraient ne différaient que fort peu de celles du reste du tell.

Dès la campagne de fouilles de 1898-99 nous avions découvert, dans la partie Sud-Est de la Citadelle, à 4 mètres de profondeur, un petit édifice carré construit en briques émaillées et dont l'attribution nous restait inconnue. J'avais fait conserver cet édicule, afin de ne pas rompre l'or- donnance de nos tranchées. Plus tard (janvier 1901), lorsque le plan en fut entièrement relevé, puis qu'il eut été démoli, les textes de fondation nous apprirent que c'était un temple appar- tenant à l'époque élamitc et construit par le roi Choutrouk-Nakhounte II.

Au Sud et à l'Ouest de ce monument, et à divers niveaux, se trouvaient des restes informes de constructions, temples ou palais élamites eux aussi ; on ne voyait plus que des arasements de murailles et quelques débris de dallages. Cette portion des ruines se trouvait dans le plus grand désordre. Çà et là, des puits, beaucoup plus récents, traversaient les couches achéménides et éla- mites, et les débris parthes, sassanides et arabes se trouvaient côte à côte avec les vestiges anté- rieurs.

Ces puits, dont nous avons déjà rencontré un très grand nombre, sont parfaitement limités. Quelques-uns même sont garnis de larges tuyaux de terre cuite, les débris qu'ils renferment tra- versent les couches des divers âges sans s'y mélanger ; de sorte qu'en dehors d'eux il ne peut y avoir intrusion de fragments récents dans les niveaux plus anciens. Cette remarque était néces- saire pour qu'il n'existe aucun doute sur la date des divers o'bjets trouvés ensemble dans la sépulture.

sur le trône en 87 ap. J.-C. (Cf. Fr. Spiegel, Eranische Alterthurnskunde, t. III, p. 89). Il est à remarquer que jus- qu'ici les sépultures parthes du tell n'ont fourni que des coins postérieurs à l'époque d'Ale.xandre le Grand.

Sjnètrea.

FiG. 66. Plan donnant la position du tombeau dans les ruines. (Les cotes indiquent la profondeur des divers points au-dessous de la surface du sol.)

56 DECOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHEMENIDE A SUSE

Le bord du tell était dans cet endroit, comme partout ailleurs, couronné par un gros mur de briques crues suivant servilement le relief du terrain et que je crois pouvoir attribuer à l'époque des Achéménidcs. Cette enceinte unique et très irrégulière dans sa direction, comme dans son épaisseur, formait la seule défense de la citadelle (i). Quelques rares constructions plus légères, également en briques crues du même modèle, s'appuyaient parfois sur la face intérieure. Les fon- dations de cet ensemble ne se trouvaient pas à plus de trois mètres de profondeur ; elles s'ap- puvaient sur les débris plus anciens, recouvraient en partie le petit édifice de briques émaillées dont il vient d'être parlé, et passaient au-dessus de chambres élamites renfermant une grande quantité de tablettes en terre crue. En ce point du tell le niveau achéménide s'arrêtait donc à trois mètres de la surface, tandis que celui de cinq mètres se trouvait très nettement caractérisé comme appartenant à l'époque élamite sans qu'il puisse v eivoir le moindre doute.

En continuant les tranchées, les ouvriers découvrirent le lo février 1901 , à 6 mètres environ de profondeur et à 4 mètres au Sud de l'édicule de briques "émaillées, une large cuve de bronze aux bords évasés dont le grand axe était orienté du Nord au Sud. Ce bassin oblong mesurait i"',65 de longueur à l'ouverture sur o^.gô de largeur; il était accolé aux ruines d'une muraille élamite et, à priori, je le pris pour une annexe du monument voisin tant il avait peu l'apparence d'un sarcophage ; je croyais me trouver en présence d'une cuve de libations ou d'un bassin destiné au culte. (Cf. plan, fig. 66).

Les alentours étaient remplis de vases grossiers brisés, de cendres, d'os calcinés et de frag- ments de briques ; l'intérieur même de la cuve était plein de briques crues en grand désordre. P]n la dégageant moi-même je découvris d'abord un vase d'albâtre, puis une patère d'argent. C'est alors, seulement, que je me rendis compte que j'avais à faire à une sépulture et que je commen- çai à fouiller avec grande précaution. En sondant au sud je vis briller un collier d'or que je recouvris de suite de terre, afin de ne pas éveiller l'attention des ouvriers.

Il était, en effet, essentiel pour la suite de nos travaux de ne pas leur faire connaître l'im- portance de la découverte, sans quoi, à l'avenir, tout récipient capable de renfermer de l'or ou de l'argent eût été brisé en mille pièces et vidé avant que nous puissions être avertis de sa décou- verte. J'attendis donc jusqu'au soir que les ouvriers eussent quitté les chantiers et la fouille recommença.

Les bijou-x furent enlevés avec grand soin, après examen de leur position sur le squelette; les terres tamisées furent emportées, triées, puis lavées et triées à nouveau. Aucun objet, quelque

(i) C'est à tort que M. Dieulafoy suppose la citadelle de Suse défendue, au temps des Achéménides, par des rem- parts de tracé savant. Je n'ai rien rencontré qui puisse, en quoi que ce soit, justifier cette opinion. Tant à l'Ouest qu'à l'Estdu tell, l'enceinte secomposaitd'une muraille unique, peut-être même sans tours, couronnant le bord du monticule. Aujourd'hui tout le pourtour du tell a été déblaye sur une profondeur d'environ 5 mètres et une saignée de 20 mètres de profondeur a été pratiquée d'Est en Ouest environ dans la plus grande largeur des ruines. Toute la muraille d'enceinte achéménide a été enlevée, après examen méticuleux, et je dois dire qu'aucun fait n'est venu confirmer la théorie avancée par l'auteur de V Acropole de Suse{\\" partie, pi. II, p. 226 sq.).

DÉCOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHEMENIDE A SUSE

petit qu'il fût, n'échappa à nos recherches. Malheureusement, l'état de décomposition dans lequel se trouvait la pâte qui retenait les pierres incrustées était tel que beaucoup d'incrusta- tions tombèrent. Le sarcophage n'ayant pas été fermé par un couvercle métallique l'humidité, en s'y accumulant, dégrada quelque peu toutes les parties oxydables du mobilier funéraire.

Le sarcophage entièrement en bronze et, à l'origine, d'une seule pièce, mesurait o'\56 de hauteur, i'",65 de longueur à l'ouverture, r",29 au fond, ©"',96 de largeur à l'ouverture et o"\66 au fond (fig. 67). Il était fendu lorsque je l'ai trouvé : les terres et les débris de briques en y tombant avaient exercé sur les parois mal soutenues une pression trop forte. Les divers morceaux ont été soigneusement recueillis.

Époque de la sépulture. A priori, j'étais fort embarrassé au sujet de l'époque de cette sépulture, n'osant pas la faire remonter avant le temps d'Alexandre le Grand. Dans ma pensée je ne pouvais rencontrer à Suse de sépultures appartenant à la période qui correspond au Maz- déisme, quand deux médailles vinrent m'éclairer et fixer l'âge reculé du tombeau.

L'ensemble de la trouvaille ne présentait aucun des caractères do l'art grec ; mais je devais tenir compte de ce fait qu'à l'époque d'Alexandre et sous les Séleucides l'élément grec était en infime minorité dans ces pays de l'Asie et que, par suite, ce tombeau pouvait être celui d'une indi- gène ayant vécu pendant ou après la conquête macédonienne.

Une objection, très sérieuse d'ailleurs, venait à l'cncontre de cette hypothèse. Aucun objet d'art purement grec, aucune médaille d'Alexandre ou de ses successeurs ne se trouvait dans le mobilier funéraire.

Les deux médailles d'argent, bien que très oxvdées. étaient cependant assez lisibles pour que je puisse, de suite, les attribuer au iv' siècle; elles portent toutes deux à l'avers une tète et au

5S DECOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHEMENIDE A SUSE

revers la galère telle que nous la voyons sur les coins des satrapes perses des villes de Phô- nicic ; l'attribution de ces monnaies est certaine et elles permettent de dater la sépulture.

Les premiers Achéménidcs, après l'expédition de Lydie (547 ou 546 av. J.-C.) rapportèrent de l'Occident l'usage de la monnaie et frappèrent eux-mêmes des dariques. Mais ces premières médailles, comme d'ailleurs les plus anciennes de la Lydie, d'Égine et des villes grecques, por- tèrent toujours au revers le quadratum incusum. Ce sont celles qu'on attribue à Darius I, Xerxes, Artaxerxes I", Darius II, Cyrus le Jeune et Artaxerxes II, Mnemon, le constructeur des grands palais de Suse.

C'est sous ce dernier roi, Artaxerxes II (404 av. J.-C.) que nous voyons, au cours de son règne, apparaître des monnaies royales perses portant deux effigies, l'une à l'avers, l'autre au revers; le satrape Melqart frappait également (de 350 à 332) des coins du nouveau modèle, de même que tous les gouverneurs perses de Phénicie et les villes des côtes syriennes. C'est à ce dernier type que se rapportent les deux monnaies du tombeau. Son âge ne peut donc être reporté au delà du milieu du iv° siècle av. J.-C.

Quant à la limite inférieure de l'antiquité de ma découverte, elle est fournie par la date même de l'arrivée en Perse des Macédoniens; le défaut de bijoux grecs et plus spécialement de monnaies à l'effigie d'Alexandre prouve que la sépulture est antérieure à l'an 331 av. J.-C, date de la bataille de Gaugamela et de la prise de Suse. Ces deux limites laissent donc entre elles 19 ans. Il semble difficile de parvenir aune évaluation plus précise. Je donne plus loin la description détaillée de ces deux médailles.

D'après le mobilier que renfermait cette sépulture, le manque d'armes, la petitesse des ossements, nous pouvons affirmer, d'une manière positive, que nous avons affaire à la tombe d'une femme perse riche, que ses contemporains ont ensevelie dans l'intérieur même de la Cita- delle.

Les briques crues qui remplissaient le sarcophage, et qui probablement provenaient de l'ef- fondrement d'une voûte, présentaient les mêmes dimensions que celles employées à la construc- tion des remparts achéménides. Or, ces briques furent certainement faites au moment même de l'ensevelissement, car, en Susianc, des matériaux crus ne peuvent être employés plusieurs fois, l'humidité du sol les désagrégeant rapidement.

Il serait imprudent d'établir une date même approximative, en s'appuvant uniquement sur les dimensions des matériaux, car ces dimensions ont pu être conservées pendant bien des siècles. Mais cette observation, concordant avec tout ce que nous savons de l'époque du tombeau, ne pré- sente pas moins de l'intérêt.

Nati RE DE LA sÉPULTiRE. Lcs ritcs fuuéraircs de l'Avesta prohibaient de la façon la plus stricte l'enterrement des cadavres.

« poiicrons-noits le corps des morts ? ô Ahiira Mazda! le déposerons-nous ? « Ahura Mazda répondit :

DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 59

« Sur les lieux lesplus élevés, 6 Spitana Zarathushtra, oùVonsaiL que viennent tou- jours les chiens carnivores et les oiseaux carnivores {i). »

Toutefois, ces règles semblent n'avoir été respectées, durant la période des Achéménidcs, que pour les gens du commun. Les rois, les princes et quelques grands du royaume ont béné- ficié d'exceptions et leur corps fut déposé dans le tombeau.

Nous connaissons les monuments funéraires de Cyrus et de ses successeurs (2) dans le Fars, et de quelques morts probablement illustres dont les restes reposèrent à Eudir Kach (3) (Kurdis- tan de Moukri), près de l'encienne Gazaka, à Kèl é Daoud (4) dans le district de Zohâb et à Dî-nou(5) non loin de Bisoutoun. Les mages trouvèrent le moyen de tourner le texte sacré. La tombe de Cyrus était garnie d'un sarcophage d'or (6) et les quatre ouvertures réglemen- taires furent probablement ménagées dans la porte du mausolée.

Hérodote (7) nous explique le subterfuge employé par les prêtres pour satisfaire aux exigences des grands. On enduisait le corps de cire avant de le mettre au tombeau afin d'obéir à la lettre de l'Avesta et de ne pas souiller la terre par le contact d'un cadavre. Cette coutume était en usage chez les Perses, tandis que les Mèdes, scrupuleux observateurs de l'esprit de la loi , faisaient dccharncr les corps ainsi que le pratiquent encore les Guèbres de nos jours. Ces différences entre lés usages des Perses et des Modes nous sont affirmées par Cicéron(8) et par Strabon(9), et Ctcsias(io), dans la légende qu'il rapporte au sujet de la mort et de l'enterrement d'Astyage, nous montre que, même chez les Modes, les rois n'étaient pas toujours soumis à la loi commune. Les sarcophages métal- liques semblent n'avoir été qu'une précaution de plus pour éviter les colères d'Ahura Mazda.

(i) Zcnd-Avesta, frag. VI. v, 44 et 45. Trad. J. Darmesteter, 1892, t. II, p. 92.

(2) Pour le tombeau de Cyrus, cf. Texier, Descript. Arm. Perse et Me'sop., pi. 81, 82 et 83. Coste et Flandiii, Voy. en Perse, pi. 194 et 195. M. Dieulafoy, VArl en Perse, pi. XIX. Pour les autres tombes royales, cf. Texier, Descrip. Arm. Perse et Mésop., pi. 127 et 128. Coste et Flandin, Voy. en Perse, pi. 173, 174 et 175. M. Dieula- foy, Y Art en Perse, pi. X.

(3) Cf. J. de Morgan, Mission scientifique en Perse, t. IV. Recherches archéologiques, p. 294, fig. 172 et 173.

(4) Cf. J. de Morgan, Mission scientifique en Perse, t. IV. Recherches archéologiques, p. 299, fig. 177 et 178. Coste et Flandin, Voy. en Perse, pi. 211.

(5) Village situé entre Bisoutoun et le défilé de Gherrâbân sur la rive gauche du Gamas-Ab (Haute-Kerkha). J. de Morgan, Mission scientifique en Perse, t. IV. Recherches archéologiques, p. 300, pi. XXXII et XXXllI.

(6) « C'est au centre des jardins royaux de Pasagardc que s'élevait ce tombeau entouré de bois touffus, d'eaux vives et de gazon épais; c'était un édifice dont la base, assise carrément sur de grandes pierres, soutenait une voûte sous laquelle on entrait avec peine par une très petite porte. On y conservait le corps de Cyrus dans une arche d'or sur un abaque dont les pieds étaient également en or massif, couvert des plus riches tissus de l'art babylonien, de tapis de pourpre, du manteau royal, de la partie inférieure de l'habillement desMèdcs,de robes de diverses couleurs, de pourpre et d'hyacinthe, de colliers, de cimeterres, de bracelets, de pendants en pierreries et en or » (Arrien, Exped. Alex., \ I, 8, I 4, trad. P. Chaussard, 1802, t. II, p. 300 sq.).

(7) Hérodote, I, cxl.

(8) Cicéron, Tusculanes, 1, 45.

(9) Strabon, XV, m, 20.

(10) Ctesias, fragm. 29, | 5, ds. MuUer-Didot. Ctesiae Cnidi fragmenta, p. 46-47.

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DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

Ce n'est pas sans difficultés que les mages parvinrent à faire adopter la loi avestique par les populations occupant la Perse. Au Mazanderan(i) l'évangélisation fut accompagnée de mas- sacres; dans le sud, les Perses éprouvèrent toujours une grande répugnance à livrer leur corps en pâture aux animaux sauvages(2), Lors des guerres d'Occident, les morts de l'armée perse furent ensevelis(3) en dépit des prescriptions de Zoroastre. '

En face de ces nombreuses exceptions, il n'est pas surprenant de rencontrer à Suse une véritable sépulture d'époque achéménide entourée des mêmes précautions qui furent prises pour les tom- beaux des souverains. La cuve d'or(4) de Cyrus est ici remplacée par un sarcophage de bronze et le monument de pierre par une voûte de briques crues que le temps a fait crouler sur le squelette.

Contrairement à ce qu'on aurait pu penser, le mobilier funéraire ne renfermait aucun objet rappelant le culte avestique; peut-être avait-on exclu intentionnellement tous les signes religieux, afin de ne pas les soumettre à la souillure, la Druj Nasu(5), s'emparant du corps; peut-être aussi les femmes mazdéennes n'avaient-elles pas le droit d'en porter (6).

Le seul bijou achéménide que je connaisse, en dehors de ceux de notre trouvaille, est un collier d'or trouvé probablement en Egypte et exposé dans les vitrines du musée du Caire ; il est orné de pendeloques d'or estampé figurant, toutes, la divinité mazdéenne ; mais nous ne connais- sons pas la provenance exacte de ce bijou, nous ne savons pas s'il décorait les épaules d'un homme(7) ou celles d'une femme ; s'il a été trouvé dans une sépulture ou dans des ruines.

(i) Les Màzainya (daêva), populations sauvages et pavennes du Mazanderan furent massacrées par Haoshyana et par Thraètaona (Z end- Aves ta, trad. J. Darmesteter, t. Il, 373, 582), le reste fut converti au mazdéisme.

(2) Hérodote, IH, 26. Strabon, XV, m, 14.

(3) Hérodote, VII, 127; VIII, 24; IX, 31.

(4) Strabon, XV, m, 18, range l'or parmi les matières qu'il était interdit de souiller par le contact d'un cadavre, mais cette assertion n'étant pas justifiée par les textes avestiques il est permis de croire, soit qu'elle est erronée, soit que les mages de basse époque ajoutèrent par rigorisme cette interdiction de leur propre chef.

(5) Démon qui prend possession du cadavre et dont la présence se marque par la décomposition et l'infection. « La Druj Nasu se précipite par les régions du Nord sous la forme d'une mouche furieuse, genoux courbés en avant, queue en arrière avec des bourdonnements sans fin et semblable aux plus infectes khrafstras » (Vendidad Sade, frag. Vil, 2. J. Darmesteter, trad. de VAvesta, t. 1, p. 123).

(6) Cf. Zend-Avesta, trad. J. Darmesteter, t. I, p. 230.

(7) Les hommes, chez les Perses et les Mèdes, se paraient de bijoux tout comme les femmes. Un bas-relief persé- politain nous montre un Iranien parc d'une torque et de pendants d'oreilles (cf. G. Rawlinson, The five Great Monarch., t. II, p. 317), plusieurs passages de Xénophon sont très explicites à ce sujet : « Cyrus, lui (Syennesis), fait les présents d'honneur qu'offrent les rois de Perse: un cheval ayant un frein d'or, un collier, des bracelets de même métal, un cimeterre à poignée d'or et une robe perse » (Xénophon, Anabase, I, 2) et plus loin : « Quelques-uns (des Perses) avaient des colliers au cou, des anneaux aux doigts» (Xén., Anab., I, 5) et encore: « Artapatès... voyant Cyrus à terre saute de son cheval et se jette sur le corps de son maître : le roi, assure-t-on, l'y fait égorger: d'autres disent qu'il s'égorgea lui-même, après avoir tiré son cimeterre; car il en avait un à poignée d'or, et portait un collier, des bracelets et autres ornements, ainsi que les premiers des Perses (Xén., Anab., I, 8). D'autres auteurs sont non

-moins clairs (Cf. Quint., Curt., III, 3, | 13; Justin, XI, 9; Aristid.Panath ; Dio Chrysost., etc.). On s'explique, dès lors, aisément, que les Perses aient laissé un butin immense sur le champ de bataille de Platée et que la richesse des Eginéens s'en soit accrue d'une manière si importante.

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position du squclcltc dans le sarcophage de bronze. Disposition des biioiix. des alabasirons et de la paieie d argent.

DECOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHÉMENIDE A SUSE 41

Une hypothèse peut être émise au sujet des joyaux achémenides de Suse : peut-être la femme qui les portait n'appartenait-elle pas au culte d'Ormazd. L'empire perse était, en effet, à cette époque, composé dépeuples qui, pour la plupart, avaient conservé leurs croyances nationales(i). Babylone, l'Egypte, la Phénicie n'avaient rien changé à leur culte ; l'Arménie adorait ses idoles dans les temples d'Armavir, de Pakovan, etc.

Cette supposition ne semble pas devoir être prise en considération, car, si la morte avait appartenu au paganisme, nous trouverions certainement dans son mobilier funéraire des traces de son culte, soit sur les bijoux, soit par des statuettes, des amulettes ou des emblèmes précis de ses divinités. Les amulettes que nous possédons ne présentent, comme on le verra plus loin, aucune signification particulière.

La même observation doit, a fortiori, être faite dans le cas nous supposerions que cette femme fût non seulement, étrangère à la religion de Zoroastre, mais aussi aux pays iraniens, qu'elle fût Égyptienne, Syrienne, Phénicienne ou Grecque. Dans tous les cas, sa parure refléte- rait son origine, sa patère porterait des hiéroglyphes ou des textes ; ses colliers, ses bracelets, pré- senteraient un tout autre caractère.

Quoi qu'il en soit, que la morte eût été Mazdéenne ou non. Iranienne ou étrangère, l'époque de sa sépulture n'en est pas moins fixée d'une manière sûre et, comme on le verra plus loin, ses parures ne rappellent en rien ce que nous connaissons des satrapies de l'Occident.

Description de la sépultcre. Les divers objets se trouvaient encore dans la position ils avaient été placés sur le corps.

Au côté extérieur du fémur gauche étaient un vase d'albâtre, l'ouverture tournée vers le haut du corps, et une patère d'argent appuyée contre le sarcophage. A l'extérieur du tibia de la jambe droite se trouvait un autre alabastron, plus petit que le premier, l'ouverture tournée vers les pieds du mort. Au cou, les colliers; aux poignets, ramenés sur la poitrine, les bracelets; à droite et à gauche de la mâchoire, les boucles d'oreilles (PI. II).

Deux boutons d'or, qui probablement retenaient les vêtements, étaient placés l'un près de l'autre à la hauteur du sein gauche. Des amulettes et des perles plates se trouvaient mélangées aux autres bijoux sans que je puisse savoir quel rôle elles jouaient dans la parure ; je crois que les perles plates avaient été cousues au col d'un vêtement.

Le mort avait été placé sur le dos, la tête penchée en avant, appuyé contre la paroi du fond de la cuve, les genoux légèrement relevés, les pieds portant sur le fond du sarcophage. Ainsi placé, le cadavre put trouver place sans être replié sur le côté, dans une cuve dont la longueur

(i) Le culte du feu, même aux époques les plus florissantes du mazdéisme, ne semble pas s'être répandu au delà des limites naturelles de l'Iran; les souverains achéménides eux-mêmes se montrèrent parfois très respectueux des dieux de leurs sujets d'Anirân lorsque l'intérêt politique les y engageait. En Egypte, en Judée, en Phénicie, en Baby- lonie, en Asie Mineure, en Arménie et dans le Caucase les doctrines mazdéennes furent repoussées par la population, ou les mages, à cette époque, ne cherchèrent même pas à les introduire.

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DECOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

n'est que de i'",29. Lors de la fouille, les maxillaires reposaient sur les clavicules, et les fémurs

chevauchaient d'une quinzaine de centimètres sur les tibias ; les tarses et les métatarses se trouvaient en paquet à l'extrémité du sarcophage.

La taille de cette femme était certainement supé- rieure à i^.ôo, son squelette était très fin, ses dents usées accusaient la vieillesse.

FiG. 68. Alabastrons.

Mobilier funéraire. Alabastrons. Les deux vases d'albâtre sont de même forme et rie dif- fèrent que par leurs dimensions, l'un mesurant 200 mil- limètres de hauteur sur 92 millimètres de diamètre maximum, tandis que l'autre est haut de 165 mil- limètres et large de 73 millimètres. Cette sorte de vases est très fréquente à l'époque achéménide ; on en rencontre souvent des fragments dans les fouilles. Quelquefois ces morceaux portent, en textes trilingues cunéiformes, les noms et titres des rois Darius, Xerxes, Artarxerxes, etc. Souvent, aussi, ils pré- sentent le cartouche hiéroglyphique des mêmes souverains; nos musées d'Europe contiennent bon nombre de ces types.

FiG. 69. Fragments d'alabastrons avec textes trilingues ou hiéroglyphiques trouvés dans les fouilles de Suse.

J'ai dit, dans un précédent travail(i), combien l'albâtre est abondant dans les tranchées de Suse; il provient des montagnes loures et présente de grandes variétés dans sa coloration ; fré-

(i) Cf. Mém. de la Délég., t. I, Rech. Arch. Mat. minérales.

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DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 43

quemment il est veiné de rouge, de brun ou de vert. Cette matière était, depuis les temps les plus reculés, employée à divers usages : on en faisait des statues, des bas-reliefs, des vases, des fusaïoles, des amulettes, etc. Les deux alabastrons trouvés dans le tombeau sont en albâtre translucide, veiné de lignes blanches opaques.

Patère. La coupe d'argent qui accompagnait le plus grand des deux vases d'albâtre est une pièce de fort belle exécution (PI. III) : elle mesure iz)^8 millimètres de diamètre, 44 milli- mètres de hauteur, est en métal fondu et pèse 589 grammes. Son profil est très gracieux et artis- tement calculé. Son ornementation a été reprise au burin avec beaucoup d'habileté. La régularité de ses bords et de toutes les parties circulaires a été obtenue au tour : on voit encore sur les deux faces les centres laissés par l'axe de l'instrument.

Extérieurement, elle porte une rosace de seize pétales, ornement que nous retrouvons à chaque instant dans les sculptures assyriennes et achéménides. Quarante autres pétales, beaucoup plus longues que les premières, rayonnent autour de la rosace centrale et vont se terminer en pointe près du bord lisse, laissant entre elles un nombre égal de triangles réguliers. Le bord est lisse sur une hauteur de 18 millimètres.

A l'intérieur, la décoration est beaucoup moins marquée qu'à l'extérieur ; une couronne de fleurons entoure un bouton soudé sur le centre.

L'exécution de cette pièce d'argenterie est fort soignée quant à l'ensemble de la composition; elle est remarquable par son élégance et sa pureté, l'art en est fort beau et semble avoir été largement influencé par le goût ninivite. Les créneaux du palais de Sargon(i), certains ornements peints sur enduit (2) et beaucoup d'autres monuments assyriens nous offrent des motifs qui sem- blent avoir été pris pour modèle par le ciseleur perse. Ces rosaces, communes en Orient, pré- sentent des analogies frappantes avec celles rencontrées dans le mycénien d'Europe et d'Asie; l'aire dans laquelle on les rencontre est très vaste, aussi semblerait-il imprudent de chercher à tirer des conclusions de leur présence à Suse.

Bijoux. Les joyaux du tombeau peuvent être rangés en trois séries bien distinctes : deux parures bien homogènes dans leur composition comme dans leur technique, et les bijoux isolés. Il est certain que, de son vivant, la Persane qui les possédait ne pouvait les porter tous en même temps; ils ne furent réunis que dans sa sépulture.

Pre.mière parure. Torque. La torque était la pièce importante dans la plus riche parure de la défunte : elle est en or et pèse 385 grammes, mesure 202 millimètres de diamètre et se compose de deux parties rentrant l'une dans l'autre sur une longueur de 36 millimètres et fixées

(i) Cf. Place, Ninive. pi. 36.

(2) Cf. Layard, Monuments, i" série, pi. 87.

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DECOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

l'une à l'autre à l'aide d'une goupille (PI. IV). Les torques primitives s'ouvraient par torsion du métal qui faisait ressort; celle-ci se séparait en deux pièces qu'on rajustait après les avoir placées autour du cou.

Le corps du bijou est une torsade régulière, lisse et serrée, de 12 millimètres de diamètre; ses deux extrémités sont terminées chacune par une tête de lion, ces deux têtes, se regardant face à face ; elles sont ciselées et incrustées de pierres et de nacre.

FlG.

Tête de lion vue de profil.

Le nez de chaque lion est en or, nu jusqu'aux arcades sourcilières ; les oreilles et la lèvre inférieure sont également en métal sans incrustations ; les joues sont en turquoise, tandis que le mufle porte un lapis-lazuli encadré de deux turquoises (fig. 70, 71 et PI. IV); les pommettes des

joues sont ornées chacune d'une turquoise et d'un lapis; les yeux, en nacre, portaient des prunelles noires; le sommet de la tête est recouvert de plaques nacrées.

Le cou, formé d'une plaque d'or mince ajustée sur le corps de la torque, est orné d'un semis de petites turquoises serties, taillées de façon à imiter grossièrement les mèches de la crinière.

Au delà du cou est une sorte de collier composé de deux gorges séparées entre elles par une bande alternent en inscru- stations les carrés de turquoise et de lapis-lazuli. Les gorges elles- mêmes sont pavées, la première de petits triangles enchevêtrés, la seconde de petites lamelles rectangulaires de turquoise.

Après cet ornement, sur une longueur de 35 millimètres, le joaillier, afin d'imiter les mèches de poil tombant à droite et à gauche de l'épine dorsale, a serti, régulièrement alternés, des. tur- quoises et des lapis découpés d'une forme spéciale; l'axe correspondant à la colonne vertébrale se termine par une turquoise taillée en poire.

Comme on le voit, ce sont les parties les plus caractéristiques de la tête qui ont été rehaus- sées de pierres, donnant ainsi au bijou un aspect étrange, très différent de ce que nous avons coutume de rencontrer dans les arts de l'antiquité classique.

Ce procédé conventionnel de représentation de la nature ne s'appliquait pas seulement aux

Fig. 71. Tête de lion vue de face.

PL IV

BIJOUX ACHLMENIDES Turaue en or _ h'Oij^.on.. en or avec incrusLdLionr^ et perid.eiaquer; d cr. lapiG, cornaline et pâte eniaillee

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DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

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bijoux, il était courant chez les artistes perses du vii'^ au iv^ siècles. Nous en voyons un exemple frappant dans les reliefs émaillés du palais de Suse (fîg. 72 et 73).

Les Perses avaient certainement reçu des Assyriens ces principes artistiques, car nous consta- tons, sur les bas-reliefs polychromes qui ornaient les palais ninivites(i) (fig. 74 et 75), l'appli- cation du même mode de dessin ; la crinière d'un lion entre autres rappelle singulièrement celle que figurent nos bijoux achéménides.

Fig. 72. Tcte de lion, relief émaillé des palais achéménides de Suse (Musée du Louvre).

C'est surtout dans la bijouterie égyptienne que nous trouvons le plus de termes de compa- raison : il me suffira de citer les bijoux de Dahchour et leurs imitations quelque peu barbares de l'époque des Ramessides. Bien que les motifs ornementaux soient très différents, la technique est la même en Perse et dans la vallée du Nil.

Que les Assyriens aient tiré d'Egypte ce mode de décoration polychrome, puis que les Perses en aient hérité des Ninivites, ou que les soldats de Cambyse aient rapporté directement ces pro-

(i) Cf. Place, pi. XXIX et XXX.

48 DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMENIDE A SUSE

émaillés, mais avant eux les Assyriens, et plus anciennement encore les Élamites, avaient employé avec succès le même mode de décoration. En bijouterie ils firent usage de la ciselure, de l'incrustation, du filigrane, mais dans chacune de ces branches ils restèrent très inférieurs à leurs maîtres, les Égyptiens. En gravure sur pierre dure ils ne firent jamais rien qui approchât des œuvres grecques. Enfin, en sculpture, ils furent inférieurs aux Ninivites eux-mêmes.

Nous ne devons donc pas être surpris de rencontrer dans cette torque, quoiqu'elle soit le bijou le plus important de la découverte, une grande infériorité sur les œuvres des autres pays tant au point de vue du modelé et de la ciselure qu'à celui des incrustations. Malgré ses défauts, cette pièce est une production remarquable pour le pays elle a été faite : et fournit dans son ensemble un grand effet décoratif.

Bracelets. Les bracelets ornant les poignets du mort, appareillés avec le collier, sont massifs et lisses, sauf dans les parties voisines des têtes de lions (fig. 76 et PI. V). Leur poids est de 98'', 8 pour l'un et de 97 grammes pour l'autre; leur plus grand axe mesure 78 millimètres;

ils sont coudés dans la partie médiane et ne présentent au petit axe que 58 millimètres.

Le modelé des quatre têtes de lions dont ils sont ornés est bien inférieur à celui des mêmes motifs dans la torque ; les joues sont trop maigres, les oreilles trop grandes et mal formées, le nez trop anguleux. Les incrustations sont moins nombreuses ; par suite des dimensions du sujet, les joues sont garnies de tur- quoises, de même que le sommet de la tête. Le mufle, les pom- "^ ^ "™"""' mettes des joues et les maxillaires sont ornés de lapis lazuli. Les

Fig. 76. Bracelet d'or incrusté de gemmes, yeux sont de nacre ; le uez, les oreilles et la lèvre inférieure sont

en or nu. Le cou est orné du même semis de turquoises que sur la torque pour figurer la crinière ; le reste de l'ornementation est semblable à ce que nous avons vu au sujet du collier.

Il est certain que ces trois bijoux formaient une parure complète, n'ayant rien de commun avec les autres joyaux trouvés dans le tombeau et dont le style est tout différent.

Le Musée du Louvre possède un bracelet qui semble avoir été inspiré par le même modèle que ceux de Suse. Le procédé d'exécution est, il est vrai, tout autre: les incrustations de pierres colorées y font défaut, le rendu est encore moins artistique, mais les deux bijoux présentent la même composition.

Le bracelet du Louvre ayant été acheté à Alep (i), il est impossible de lui assigner avec cer- titude une époque et un lieu d'origine. S'il est antérieur au v'' siècle, il remonte peut-être, comme

(i) G. Pcrrot et Chipiez, Hist. de l'Aj-t., t. IV, p. 764.

BIJOUX ACHEMENIDES r 'T.-iants;. dcro'.l'.en en rr av-r -.ncrustationr, _ Collier de perles fines ''oilier de î^eriet-te:i >î'or- et de ôernnnec :

DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 49

le suppose M. G. Perrot, à l'époque du royaume Khéta. Dans ce cas, il aurait été probablement copié sur un modèle assyrien qui, plus tard, fut adopté par les artistes perses.

L'usage d'orner les torques et les bracelets de têtes opposées de lions remonte à des époques très reculées (i) ; le plus ancien spécimen qui soit parvenu à ma connaissance est un bracelet figuré sur un relief de terre émaillée d'époque élamite, trouvé dans nos fouilles de Suse et anté- rieur au x" siècle avant notre ère.

Deuxième parure. Cette seconde parure n'est certainement pas de la même main que la première; son style est tout différent et son exécution, bien que souvent défectueuse, montre des qualités de précision que ne présentent ni la torque ni les bracelets.

Collier. Un grand collier d'or (2), orné de pendeloques, s'étalait sur la poitrine au- dessous de la torque; il se composait de perles massives en métal incrusté de turquoises, de lapis- lazuli et de cornalines. Quatre grosses perles décoraient le milieu du bijou, dix-huit pendeloques, également espacées, toutes semblables et rehaussées de gemmes, retombaient au- tour du cou. Chaque pendeloque, fixée à une perle, est ornée à la partie supérieure d'un grènetis filigrane dans un rec- tangle de métal nu (fig. 77 et PI. VI, fig. i).

Le filigrane est obtenu non pas au moyen d'un fil d'or tordu et soudé, mais par une succession de petites perles mé- ^ n> .• ) i- .,„.,^„i^o„»c

r r r Fig. 77. Partie de coiIier orne de pendeloques.

talliques fixées séparément. Ce mode de travail se rencontre

dans tous les pays de l'Orient et il est malaisé de retrouver son origine. Les Égyptiens le prati- quaient, dès le Moyen Empire, avec une habileté qui n'a jamais été surpassée. La Phénicie, la Grèce le connurent; nous le retrouvons en Perse, en Bactriane et plus loin encore vers l'Orient. Ce collier forme un ensemble très décoratif, mais, de même que la première parure décrite, présente de grands défauts ; les alternances du bleu foncé du lapis-lazuli et du bleu clair de la turquoise eussent produit un effet très agréable, si l'artiste n'avait eu la malheureuse idée d'y joindre le rouge vif des cornalines. Le jaune brillant de l'or accentue encore cette opposition et rend les tons plus criards. Quant à la taille des gemmes età leur sertissage, ils sont très médiocres, plus malhabiles encore que dans la torque et les bracelets.

(i) Le musée de New- York possède un bracelet d'or d"un modèle très voisin de celui des bracelets de Suse; suivant di Cesnola (Cyprus, p. 311), il aurait été trouvé en Chypre et, par suite, appartiendrait au groupe asiatique qui nous occupe. Il est fâcheux que son lieu d'origine et son époque nous soient fournis par une autorité aussi peu sûre que celle de di Cesnola.

(2) Ce collier, dont le poids total est de 152 grammes, se subdivise comme suit: 18 pendeloques (poids ensemble: 988',o); 4 grosses perles d'or (poids ensemble: ios<',^); huit perles d'or de taille moyenne (poids ensemble: 58'',5); 109 petites perles d'or (poids ensemble: 38?'',o).

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DECOUVERTE D'UNE SEPULTURE ACHEMENIDE A SUSE

Dans les bijoux égyptiens incrustés de la douzième dynastie, les gemmes sont taillées avec une telle précision qu'il a suffi, pour les fixer, de les sertir avec le métal; c'est à peine si, par places, le bijoutier a garnir la cavité destinée à recevoir la pierre d'une légère couche de pâte afin de racheter une différence d'épaisseur. Plus tard, sous les Ramessides, alors que les arts tom- baient en décadence par suite des préoccupations militaires de toute la nation, les artistes cher- chèrent à obtenir les mêmes effets qu'autrefois par des procédés plus rapides et moins coûteux : les pierres furent grossièrement taillées et, parfois même, remplacées par de la pâte émaillée; les cloisons métalliques perdirent leur ancienne destination et ne servirent plus qu'à séparer les dif- férentes couleurs pour la vue seulement. La pâte remplaça le sertissage comme moyen de fixer les gemmes ; les bijoux y perdirent de leur grâce et de leur solidité.

Plus tard, vers la fin du Nouvel Empire jusqu'à la conquête perse, nous voyons se continuer le déclin de l'art du bijoutier en Egypte, et c'est à cette époque que les artistes iraniens choisirent les types dont ils s'inspirèrent; de mauvais modèles entre les mains d'ouvriers inexpérimentés ne pouvaient donner que des œuvres médiocres. C'est ce qui arriva. Encore devons-nous être sur- pris de voir si peu de différence entre la technique des bijoux perses et celle des joyaux égyptiens contemporains.

Peut-être devons-nous voir dans les œuvres des bijoutiers perses du iv' siècle l'origine des cloisonnés de grenat, ou de verre rouge, qu'on rencontre si fréquemment chez les peuplades bar- bares qui, dans leur marche vers l'Occident, frôlèrent l'empire perse vers la frontière du Nord ? Peut-être trouverions-nous en Susiane les principes décoratifs que les Francs, les Scandinaves, etc., ont apportés jusqu'aux extrémités de l'Europe? Mais analyser une question aussi étendue serait sortir de notre sujet.

Boucles d'oreilles. Je réunis à la même parure les boucles d'oreilles qui, bien que ne renfermant pas de cornalines, appartiennent au môme ordre de bijouterie. Chacune d'elles se

compose d'un large anneau plat en or(fig. 78 et PI. V, fig. 3 et 4). Couvert de pierreries sur les deux faces, cet anneau présente 44 mil- limètres de diamètre et 3™", 2 d'épaisseur; il estévidé au centre suivant un cercle de i 5 millimètres de diamètre et se compose de deux parties bien distinctes et concentriques.

Le cercle interne porte, sertis, des ornements quadrangulaires de lapis-lazuli et de turquoise encadrés de fuseaux de turquoise; le cercle externe figure les pétales d'une fleur : les plus grandes sont arrondies- et alternent tour à tour en lapis-lazuli et en turquoise, tandis que les petites sont couplées en turquoise et en lapis; ainsi le rang extérieur offre 18 pétales tandis que le rang intérieur en montre 36. Les lignes principales de l'ornementation convergent vers le centre du bijou, de même que les côtés de l'ou- verture par laquelle passait le lobe de l'oreille; à l'intérieur de l'anneau est un double cercle fili-

FiG. 78. Boucle d'oreille.

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DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 51

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grané. La fermeture se faisait au moyen d'une épingle d'or montée sur charnière et qu'une cla- vette fixait a l'extrémité libre.

Boutons. Deux boutons placés sur la poitrine de la morte font aussi partie delà même parure ; ils mesurent 21 millimètres de diamètre, sont bombés, et portent, à leur face inférieure, un anneau soudé qui permettait de les fixer au vêtement (fîg. 79 et PI. IV, fig. 2 et 3).

Au centre est un cercle renfermant un curieux motif qui, probablement, avait jadis un carac- tère emblématique, mais que je ne saurais expliquer. Sur un croissant de lapis- lazuli pose, dans un champ de turquoise, un objet d'or semblable à une branche d'arbre garnie de deux bourgeons. Cinq cercles identiques encadrent celui du centre. Ils sont reliés entre eux par de petites cornalines, et, vers le bord, l'orne- mentation se continue en une succession de triangles alternants de turquoise et de lapis ; l'ensemble est serti d'un g^rènetis circulaire de perlettes d'or.

•^ . " »^ _ I-iG. 79. Bouton d or

La technique de ces boutons est la même que celle des boucles d'oreilles ; incrusté de gemmes. les gemmes sont taillées et fixées avec beaucoup moins de maladresse que dans les bijoux précédemment décrits. Quant à la composition, elle est assez heureuse et ne rappelle en rien ce que nous connaissons de l'Assyrie ou de l'Egypte. Le motif principal de ces bijoux est trop étrange pour ne pas avoir été emblématique : il se reproduit douze fois dans les deux boutons et trente fois danS les barrettes du collier de perles fines dont il va être question. Il est certain que, si une idée religieuse ou superstitieuse ne s'v était pas attachée, on ne l'aurait pas employé avec une pareille profusion.

Bijoux divers. Je range dans cette catégorie une série de bijoux qui ne semblent pas avoir fait partie de parures complètes, quoique certains d'entre eux rappellent, par les motifs de leur ornementation, certains des joyaux dont il vient d'être parlé.

Collier de perles fines. L'usage de porter des colliers, dits aujourd'hui « colliers de chien », en perles fines, existait déjà en Perse au iv^ siècle avant notre ère; les perles étaient abondantes dans le Golfe Persiquc, on les employait exactement de la même manière que nous faisons de nos jours.

Ce collier était à trois rangées de perles, que dix barrettes d'or incrusté de pierres réunissaient à intervalles égaux (fig. 80 et PI. V, fig. 6); ses débris, entassés pêle-mêle sous le crâne, montrent que cette parure était portée en haut du cou.

Les barrettes sont formées de la réunion de trois des emblèmes dont j'ai parlé au sujet des boutons ; elles ne portaient aucun autre ornement.

Quant aux perles fines, elles étaient fort détériorées lors de la découverte. J'ai pu en recueillir 238, mais beaucoup d'entre elles tombaient en poussière et j'évalue à 4 ou 500 leur nombre pri- mitif dans le collier.

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DECOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

Le Golfe Persique est, on le sait, l'un des points du monde les perles fines se rencontrent en plus grande abondance; elles sont d'une fort belle eau et de tout temps furent trèsappréciées(i). Les pêcheries du Golfe datent de temps immémoriaux. Bahrein, Ormuz, Mascate, Lingah et cent autres points de la côte arabique ou persique, ont toujours été des centres importants pour la production des perles fines. C'est même pour beaucoup d'entre eux leur unique raison d'être peu- plés. Si nous en jugeons d'après les bas-reliefs assyriens et perses, les souverains et les grands personnages s'ornaient de perles à profusion. Ils en portaient non seulement dans leurs bijoux, mais aussi sur leurs vêtements et jusque dans la barbe.

FiG. 8c. Élément du collier de perles fines.

Il est à remarquer que les Égyptiens des temps anciens ne semblent pas avoir employé la perle fine que, probablement, ils connaissaient grâce à la proximité de la Mer Rouge. Dans les tombeaux de Dahchour je n'en ai jamais rencontré; les seules que je connaisse, sur des bijoux égyptiens, appartiennent à l'époque ptolémaïque et sont montées à la grecque.

Collier de gemmes et d'or. Tous les pays, depuis les temps les plus anciens, ont connu les colliers faits de gemmes taillées et percées, ou simplement percées. Les stations préhistoriques

FiG. 8i. Éléments du collier de gemmes et de perles d'or.

nous en offrent de nombreux spécimens, aussi bien dans l'Europe occidentale qu'en Asie et en Egypte. Il est donc très naturel de rencontrer à profusion en Perse ces sortes de parures à l'époque des Achéménides.

Quatre rangs formaient l'ensemble du collier: ils renferment 400 perles de pierres et autant

(i) Au premier rang, au faîte pour ainsi dire de tous les joyaux, sont les perles. C'est spécialement l'Océan Indien qui les envoie... et encore les Indiens eux-mêmes n'en prennent-ils que dans un très petit nombre d'îles. Elles sont le plus abondantes à Taprobane [Ceylanj et à Stoïs, comme nous l'avons dit dans la description du Monde [VI, 24, 9 et 28, 3], ainsi qu'à Périmula, promontoire de l'Inde. Les plus estimées sont celles de la côte d'Arabie, sur le Golfe Persique ,'Pline, Hist. nat., IX, 54].

DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 53

de perles d'or, les plus grosses gemmes occupant le milieu de la parure (fig. 81 et PI. VI, fig. 2 et 3). Les couleurs alternent et se trouvent rehaussées par le métal précieux les séparant.

Ces perles de pierre sont habilement travaillées, et très régulièrement tournées : elles sont renflées en leur milieu et terminées carrément à leurs extrémités; leur forage a été efifectué par les deux côtés.

Quant aux variétés minéralogiques faisant les frais de ce bijou elles sont très nombreuses, beaucoup plus même qu'il n'est coutume dans les colliers de ce genre. Ce sont :

Turquoise (i). Silex.

Lapis-lazuli (2). Jade (?).

Émeraude(3). Quartz, hyalin et laiteux.

Agate (4). Améthyste d'un violet pâle(5).

Jaspe de toutes couleurs. Hématite.

Cornaline rouge et blonde. Marbre de diverses couleurs.

Feldspath. Brèche.

(i) La turquoise (en persan moderne ejjjvj) est la pierre persane par excellence. De riches mines, irrégulièrement exploitées, existent au Khoraçân. Les exploitations anciennes, aujourd'hui inondées, ont été abandonnées et remplacées par des gisements la pierre, de moindre qualité, perd très rapidement sa couleur bleue pour verdir. Les turquoises se trouvent généralement en Perse dans des couches argileuses à l'état de rognons entourés d'une gangue ferrugineuse. Pour les mines de turquoise de la presqu'île sinaïtique, cf. J. de Morgan, Recherches sur les origines de l'Egypte.

(2) (En persan moderne 1^1 ij^V)- La lazulite se trouvait, dit-on, autrefois aux environs de Kachan et aurait été l'objet d'un commerce important. Ces gisements ne sont plus connus. Les Persans disent qu'il existe une veine, non exploitée mais très importante, de lazulite dans le district montagneux de Koulpa, entre Yezd et Ispahan. Les amu- lettes de lapis communément portés au Khoraçân sont apportés de Boukhara. Le lapis-lazuli était fort employé dans la haute antiquité en Chaldée et en Susiane. Nous le rencontrons très fréquemment dans nos travaux (Pline,//. A^., XXXVII, 5, 8). Le lapis-lazuli de Médie était fort réputé. On trouve aujourd'hui cette pierre en abondance en Afghanistan (cf. ¥î&str, Khorasan App., pp. 105, loé).

(3) (En persan moderne 3 ^3). Je ne possède aucun document sur l'existence, à l'état naturel, de cette pierre en Perse. (Pline, H. N., XXX'VII, 17, § i.) [Les émeraudes] 'les plus renommées sont les Scythiques, ainsi nommées du pays on les trouve... Les émeraudes bactriennes, voisines par le lieu de la provenance, le sont aussi par le rang. Elles se recueillent, dit-on, dans les fissures des rochers... Mais on assure qu'elles sont plus petites que celles de Scy- thie. Au troisième rang est l'émeraude d'Egypte qu'on extrait des rochers, dans des collines aux environs de Coptos, ville de la Thébai'de.

2.] Les autres sortes d'émeraudes se rencontrent dans les mines de cuivre. De vient que le premier rang parmi ces dernières appartient aux émeraudes de Chypre... (S 3.) Après les émeraudes attiques, viennent les émeraudes de .Médie, celles qui offrent le plus de teintes variées; quelques fois même elles se rapprochent du saphir. (19, Jj i.) On range parmi les émeraudes la pierre appelée tanos. Elle vient de Perse (Trad. E. Littré, t. II, 1850, p. 547 sq.).

(4) (En persan moderne rJs.)- Minéral très abondant dans les alluvions caillouteuses du Sud-Ouest de la Perse. L'agate rubanée (en persan moderne, pierre de Soleymanieh) sert encore aujourd'hui d'amulette ; elle est apportée en Perse des environs de Soleymanieh (en Turquie). L'usage de cette pierre, dans la bijouterie, remonte à la plus haute antiquité.

(5) L'Améthyste, au temps de Pline (//. A'., XXXVII, 40, § 1), provenait de l'Inde, de l'Arabie Pétrée, de la Petite Arménie, de l'Egypte, de Galatie, de Thasos et de Chypre.

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DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE

Quelques matières minérales, composées de plusieurs éléments minéralogiques, sont d'une détermination difficile dans des perles d'aussi petites dimensions.

11 est à remarquer que ce collier ne renferme pas d'ambre et que cette substance, commune en Egypte, n'a pas encore été rencontrée dans les ruines de Suse. Il en est de même pour le grenat qui semble n'avoir été employé que par les peuples du Nord.

Les perles d'or(i) sont toutes semblables. Elles se composent de plusieurs rangs de per- letlcs métalliques soudées sur des cercles collés les uns aux autres, de telle sorte que la partie

médiane de la perle soit renflée (fîg. 82 et PI. VI, fig. 2 et 3). Les plus grandes perles d'or se trouvaient au milieu de chacune des rangées du collier.

Une grosse perle d'or, largement percée et ornée de côtes, réunissait derrière le cou les quatre rangs du bijou.

Ce genre de perles, en filigrane d'or, m'est connu depuis longtemps. J'en ai trouvé sur le marché, beaucoup à Hamadan en 1890(2). Je les croyais moins anciennes et appartenant à l'époque de la dynastie sassanide.

Le travail du filigrane s'est conservé dans quelques pays de la Perse et des contrées voisines. Je citerai spécia- lement Zendjan, célèbre dans tout l'Iran pour la délica- tesse de ses bijoux et de son argenterie, et Akhaltsik dans les montagnes de l'Arménie russe. Les travaux modernes dififèrent peu comme technique de ceux de l'antiquité.

Fie. 82. Perle d'or réunissant les rangées de perles du collier (grossie trois fois).

Perles de la coiffure. Huit grosses perles d'or (3), très largement percées, se trouvaient ^ dans le tombeau aux environs du crâne; leur usage ne m'est pas connu, mais je

^/|il^ suppose qu'elles étaient prises dans la coiffure ou qu'elles terminaient les mèches pendant en longues nattes des deux côtés du visage (fîg. 83 et Pl. IV, fig. 4 et 5). L'usage de porter de semblables nattes et de les orner de la sorte est encore courant chez les femmes arabes de la Mésopotamie et de la Susiane.

Ces perles se composent de trois anneaux soudés entre eux et portant chacun deux rangs de perlettes d'or ; sur les deux anneaux des côtés les perlettes sont très fines, sur celui du milieu elles sont beaucoup plus grosses et en double épaisseur. Le trou de l'anneau médian mesure 4"'", 3, tandis que celui des anneaux exté- rieurs présente 5'"™, 5 de diamètre. Il résulte de ce dispositif que la perforation très large et bi-

FiG. 83. Perles de la coiffure.

(i) Le poids total des perles d'or de ce collier est de 155 grammes.

(2) J'ai acheté à Hamadan en 1890, un collier composé de perles d'or qui se trouve aujourd'hui déposé au musée Guimet. Quelques-unes de ces perles sont d'une facture toute différente et appartiennent probablement à une autre époque; mais la plupart sont semblables à celles du tombeau de Suse.

(3) Poids des huit perles: 25s"". 5.

DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 55

conique de la perle ne conviendrait pas à l'insertion de ces bijoux dans un collier. Ces considé- rations, jointes à la position qu'occupaient ces perles dans le tombeau, me portent à croire qu'elles étaient employées dans la coiffure.

A.MULETTEs. Les amulettes ne faisaient pas partie des grands bijoux: elles étaient pendues soit au cou, soit au poignet, et accompagnées de perles variées qui composaient un ccjllier simple ou un bracelet. Ces perles sont de même nature que celles du grand collier, mais elles en diffèrent par la forme. Ce sont des émeraudes, des cornalines, des lapis-lazuli et des turquoises, proba- blement séparées entre elles par des perles d'or analogues à celles du collier de gemmes, et des perles lisses fusiformes en argent et en or. Il n'est pas possible de restituer l'ordre dans lequel les amulettes entraient dans cette série de perles : aussi les décrirai-je séparément.

Sphinx a tête de bélier. Cette figurine de pâte blanche, couverte d'un émail vert, est non seulement égyptienne par sa composition, mais elle l'est aussi par sa fabri- cation (fig. 84 et PI. IV, fig. 6). Elle mesure 12 millimétrés de longueur sur lo"",^ de hauteur. Ces sortes d'amulettes sont très fréquentes dans la vallée du Nil. Elles sont plus ou moins soignées de facture ; celle qui nous occupe est une de ces figu- tôle d~b m^'^ "^ rines communes telle qu'on en rencontre tant à partir de l'époque saïte jusqu'à la fin du paganisme.

Lion ou chat en or. Cette figurine est une copie asiatique d'un modèle égyptien bien connu, représentant un chat assis. Il est en or fondu et ciselé avec soin ; la facture en est beaucoup plus rude que dans les amulettes égyptiennes ; les membres sont grêles et raides, la tète est encadrée d'un collier de poil qu'on ne voit pas dans les

Fig. 85. Lion ,, . , j 1 . , r ■. 1'

ou chat en or. ngurations pharaoniques de chats et qui me lait penser que 1 artiste a peut-être voulu figurer un lion (fig. 85 et PI. IV, fig. 7).

Colombe en or . Cette amulette est une très grossière représentation d'un oiseau, ^i probablement d'une colombe, les ailes reployées; elle est en or fondu à peine retouché i^>,. au burin (fig. 86 et PI IV, fig. 8). L'artiste n'a pas jugé utile de figurer les pattes. fig. s6.

Colombe en or.

?»vT Colombe en LAris-LAZULi. Cette figurine est encore plus grossièrement

travaillée que la précédente (fig. 87 et PI. IV, fig. 9). La pierre, de médiocre qualité, FiG. 87. Colombe est simplement découpée et ne porte aucun des détails de l'oiseau.

en lapis lazuli.

Amulette d'agate. Une agate blanche, transparente, taillée en demi- cercle, est montée en or et porte, contre son diamètre, un tube de suspension. Cette amulette rappelle la forme d'un bijou lydien du lAlusée du Louvre Fig. 88.

Amulette d'.ni'.ite.

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DECOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHEMENIDE A SUSE

FiG. 89. Pendentif de cornaline.

Pendentif en cornaline. Cornaline rouge, façonnée en disque, et munie de son tube de suspension taillé à même la pierre.

Disques en or. Deux disques d'or, à double face, percés comme des perles ; l'un d'eux porte des deux côtés une croix dont les quatre bras rayon- nent autour d'un bouton central ; dans l'autre, les bras de la croix sont rem- placés par les pétales d'une fleur qu'un grènetis sépare (fîg. 90).

FiG. 90. Disques d'or.

Pendentifs en or et pierres. Deux petits cylindres lisses, l'un de jaspe rouge, l'autre de quartz laiteux sont garnis d'or aux deux extrémités et munis chacun d'un anneau de suspen- sion (PI. IV, fig. 10 et II).

Montures de pendentifs. Quatre montures de pendentifs en or sont munies chacune de trois anneaux d'attache ; elles renferment encore les restes de tiges d'une matière dont j'ignorâ la nature et l'usage ; chaque monture en renfermait sept, une au centre et six autres rangées en hexagone autour de la première (fig. 92 et PI. IV, fîg. 12 à 15).

Perles montées en or. Deux perles de lapis-lazuli et une de cornaline, beaucoup plus grosseque les deux premières, ont leurs extrémités garnies d'or (fig. 91).

Quatre autres montures d'or ornées de côtes ont été trouvées _

en même temps ; elles garnissaient Fig- 91- Perles de plen-re montées en or. F'°- 92- Montures de pendenrifs '- '^ en or.

probablement des perles oblongues

de pâte ou de bois, que le temps a fait tomber en poussière (PI. IV, fig. 16).

Pierres taillées. Près du cou du squelette se trouvaient deux disques elliptiques, d'agate

Fig. 93. Pierres taillées.

rubanée, mesurant 32 millimètres de longueur sur 22 millimètres de largeur, et percés suivant leur grand axe. Ces pierres étaient accompagnées de quatorze disques ronds, en cabochons taillés.

DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉMÉNIDE A SUSE 57

de même matière, et également percés ; de onze petites plaques en forme de lozange, et de trente- huit perles ovoïdes d'agate noire et blanche (fig. 94 et PL VI, ûg. 4, 5,6).

iVlalgré un examen très attentif, je n'ai pu me rendre compte ni de l'usage de ces pierres, ni de leur position sur le corps ; j'incline à penser qu'elles ornaient un vêtement sur lequel elles avaient été peut-être cousues au milieu de broderies.

Étoffes. L'oxyde de cuivre du sarcophage nous a conservé quelques débris d'une étoffe de fil assez fine, analogue aux tissus qui se fabriquaient en Egypte à cette époque; c'est une toile unie qui, dans le peu que nous en possédons, est entièrement lisse.

Monnaies. Dans son savant ouvrage sur la numismatique des souverains achéménides et de leurs satrapes, M. E. Babelon range, dans les séries d'Aradus en Phénicie, les coins qui nous intéressent. Ces médailles sont placées avec certitude vers le milieu du iv' siècle.

Les deux monnaies trouvées dans la sépulture ont été fort altérées par le temps ; toutefois les effigies y sont assez nettes pour que nous puissions en donner une description sûre et exacte:

Statère perse, pièce ovale. Grand diam. 21 millimètres, petit diam., 17 millimètres.

Av. Tète laurée et barbue de Melqart (350 à 332 av. J.-C), à droite, l'œil de profil, les cheveux arrangés sur le front et sur la nuque en trois rangées de frisures, la barbe frisée et en pointe; il ne reste pas trace du grônetis du pourtour.

156 Galère phénicienne avec un rang de rameurs voguant sur des flots représentés par trois lignes parallèles ondulées; restes de l'inscription fsy ex Arado.

Monnaie très oxydée, incomplète.

Av. Même type.

^ Même type. "~-fv/ Ev Arado anno XII.

(Sur les médailles de ce type, consulter Ernest Babelon, Cat. des mon. iirecjjues de la Bibl. nat. Les Perses. Achéménides Paris, 1893, p. 128, n"' 880, 881, 882 ; p. 130, n" 908; p. 131, n" 913. PI. XXII, fig. 12, 13, 14, 20, 21.)

Je me suis longuement étendu sur cette découverte parce qu'étant unique elle jette un jour nouveau sur les arts en faveur à la cour des Achéménides au iv'= siècle av. J.-C. On ne connaissait jusqu'ici aucun bijou perse de ces époques ; c'est une grande lacune qui vient d'être comblée par notre découverte et j'espère qu'on ne me tiendra pas rigueur de l'avoir exposée, non seulement dans ses moindres détails, mais aussi en faisant part des déductions quelle me suggère.

Au iv" siècle, au moment l'Empire perse s'était étendu sur le monde civilisé tout entier, les goûts artistiques des Iraniens n'étaient plus ce qu'ils avaient été dans les débuts de la monar- chie. Les troupes royales, obtenues par la levée en masse, s'étaient affinées au contact des Egvp- tiens, des Phéniciens et des Grecs. Elles avaient rapporté de ces expéditions et répandu dans les diverses provinces, non seulement des modèles dus au pillage, mais aussi des idées nouvelles,

8

58 DÉCOUVERTE D'UNE SÉPULTURE ACHÉIVIÉNIDE A SUSE

une façon de voir diflférente de celle de leurs ancêtres. La finesse et le goût élevé des Égyptiens et des Grecs ne furent certainement jamais compris par ces peuples barbares, l'esthétique perse demeura bien inférieure à celle des peuples pris pour modèles, mais il resta beaucoup de ces expé- ditions. Les Iraniens firent de grands progrès. C'est alors que furent élevés les plus vastes palais de la Perse à Suse et à Persépolis, que le ciseau du sculpteur, s'inspirant de l'assyrien, couvrit les rochers d'immenses bas-reliefs, qu'il se créa une littérature officielle dont nous retrouvons les vestiges à Bisoutoun, dans l'Elvend, dans le Fars. En Perse on sut écrire, sculpter, émailler la brique, bâtir; on sut ciseler et graver la pierre, gauchement, il est vrai, sans discernement et sans critique, mais on connut une foule d'arts et de sciences, qui semblent avoir été complètement ignorés des Mèdes.

Les bijoux achéménides de Suse appartiennent à cette période tout, en Perse, prit son essor; ils sont remplis de défauts mais caractérisent bien leur époque et viennent appuyer l'opi- nion que nous avions pu nous faire, par ailleurs, du sentiment des arts sous les successeurs de Cyrus.

FOUILLES DE MOUSSIAN^'^

Par J.-E. Gautier et G. Lampre.

Géographie et topographie de la région. Les fouilles entreprises au Pouchté-Kouh, pendant l'hiver 1902-3, ont été inspirées par l'idée de reconnaître un groupement de tumuli dont le plus considérable porte le nom de Tépé Moussian.

Ces collines artificielles avaient, à diverses reprises, attiré l'attention des membres de la Délégation ; elles sont, en effet, visibles depuis la route qui mène de Suse à Kirmanchah et ne pouvaient manquer d'arrêter, par leur aspect particulier, les regards des voyageurs. Nous fûmes engagés, par ces observations, à tenter les recherches qui font l'objet du présent mémoire, notre but étant de déterminer, si possible, le rôle joué, dans l'histoire de l'Élam, par des sites antiques si voisins de la capitale du grand empire.

A l'ouest et à 1 50 kilomètres environ de Suse, on rencontre au pied même du Kébir- Kouh une large vallée, au sol remarquablement uni. Une succession de monticules s'y détache en relief et semble attester l'existence, dans les âges passés, d'une agglomération humaine assez importante.

Cette vallée est bordée, au nord, par les pentes abruptes du Kébir-Kouh ; au sud la chaîne du Djebel Hamrin la sépare seule de l'immense plaine de Mésopotamie.

Deux rivières, issues du haut plateau, le Tib et le Douôridj, arrosent ce territoire. Le ïib, au cours rapide, descend presque en ligne droite jusqu'à la trouée de Beyat, puis, frayant sa route au travers du Djebel Hamrin, va rejoindre le Tigre à la hauteur d'Amara. Plus sinueux, le Douéridj après avoir coulé dans la direction du sud s'infléchit à l'est pour aller se perdre dans les marécages.

(i) Toute la région dans laquelle nous avons pratiqué des fouilles porte ce nom générique, emprunté au tépé principal.

60 FOUILLES DE MOUSSIAN

Mais ces rivières roulent des eaux saumâtres et absolument impropres à la consommation ; au sortir des défilés elles s'engagent dans la masse caverneuse des gypses qui constituent les assises inférieures de ces formations montagneuses qu'Elisée Reclus dénomme si justement le « Jura persan » ; elles se chargent abondamment de principes salins. Néanmoins, de tout temps, elles ont été précieuses pour l'irrigation des cultures.

Cette remarque est capitale ; elle nous permettra de déterminer ce que furent jadis les habitants de la contrée et à quelle classe de la société ils doivent être rattachés. On voit, en effet, que les conditions physiques, qui n'ont pu se modifier, s'opposaient à l'établissement de centres populeux : le manque d'eau potable est catégorique à cet égard ; la région de Tépé Moussian ne fut donc jamais qu'un centre agricole. Les pluies abondantes d'hiver, tout en favorisant les cultures, four- nissaient, comme elles le font encore de nos jours, l'eau nécessaire à l'alimentation des agricul- teurs. Mais les étés de Susiane avaient vite fait de convertir la plaine en un désert aride et brûlant, le pays devenait inhabitable et l'obligation s'imposait aux cultivateurs de rechercher dans la montagne, en même temps que des campements plus frais, le voisinage des sources et les pâtu- rages pour leurs troupeaux.

Les anciens habitants du pays avaient fatalement, à peu de chose près, le même genre de vie que les tribus qui viennent aujourd'hui camper, durant l'hiver, sur les rives du Tib et du Douéridj .

La hauteur des tumuli pourrait faire croire à l'existence de villes importantes, mais, sans doute, ce ne furent que de simples bourgades. Pour la protection des cultures et des ouvriers agricoles, des fortifications puissantes entouraient les groupes d'humbles maisons ; au milieu s'élevaient des temples construits de matériaux modestes, en rapport avec la situation de ces populations rurales.

L'écroulement de ces ouvrages de défense et de ces édifices religieux expliquerait l'importance des buttes artificielles, et, notamment, la masse considérable que présente Tépé Moussian. Puis les guerres fréquentes, les ruines qui en étaient la conséquence, amenaient des réédifîcations successives qui ont augmenté d'autant le relief des tépés.

Ces tumuli parsèment la plaine sur une longueur de plus de 20 kilomètres, de l'est à l'ouest. En venant de Suse, c'est d'abord Tépé Patak que l'on rencontre, six kilomètres avant d'atteindre le Douéridj. La ruine principale mesure 12 mètres de haut ; c'était apparemment la citadelle d'une ville dont on retrouve, au nord, l'emplacement figurant un vaste quadrilatère.

A 5 kilomètres environ de Patak, dans la direction du sud, un coude du Douéridj enserre le site de Mourad-Abad, remarquable par son tépé de couleur jaune clair. A son pied de nombreux mamelons semblent être les vestiges d'une bourgade ; ils rejoignent la rive, que borde encore une sorte de quai.

Entre Tépé Patak et la rive du Douéridj, des tertres, en grand nombre, se confondent presque avec le sol uniforme de la plaine. Par contre, à peine a-t-on franchi la rivière, que surgit, à 3 kilomètres de distance, la silhouette de Tépé Moussian. La ruine se profile sous la forme d'une table de forme allongée, limitée à chaque extrémité par les pentes raides des talus.

FOUILLES DE MOUSSIAN

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Au sud de Tépé Moussian, Tépé Khazinèh, Tépé Mohr, Tépé Aly-Abad et, à l'ouest, Tépé Mohammed Djafar, méritent d'être mentionnés ; il en sera, du reste, question par la suite.

Dans la direction du nord, Tépé Gourghan se dresse en forme de cône très élevé dépassant 30 mètres de hauteur ; nous y verrions volontiers les vestiges d'un zigurat auprès duquel devait s'abriter un village dont l'existence est révélée par une série de monticules.

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FlG. 94. Carte de !a région de Moussian.

Encore plus au nord, indiquons aussi Tépé Imamzadch Akbar. Enfin, à 12 kilomètres de Tépé Moussian, dans la direction de l'ouest, Tépé Fakhrabad, affectant la silhouette dun pain de sucre, apparaît sur la rive gauche du Tib.

A la trouée de Beyat, point signalé par les géographes, quelques ruines d'époque arabe couronnent les crêtes des collines; il est probable, en raison de l'intérêt stratégique de ce lieu, qu'aux époques antérieures il avait être l'objet d'une occupation permanente (voir la carte

%• 94-)

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La plupart des noms que nous venons de citer ont une origine toute moderne et même con- temporaine. Quelques-uns affectent la terminaison A b ad qui désigne en persan un lieu habité, comme Mourad-Abad, Aly-Abad. Ces dénominations proviennent de ce que tel ou tel chef, Cheikh Mourad ou Cheikh Alv, par exemple, vint camper en ces lieux et y fit quelques cultures.

Tépé Mohr (^ cachet, en persan) doit son nom à une trouvaille récente. Il en est de même de Khazineh dont l'expression a la valeur de poterie-vase.

Trois noms seulement pourraient être anciens, Moussian, Gourghan et Patak ; nous ne pouvons leur appliquer aucune étymologie, ni arabe, ni persane.

Description de Tépé Moussian. Tépé Moussian étant sans contredit le tumulus qui, dans cette région, suscitait le plus d'intérêt, c'est que, de prime abord, nous avons décidé d'établir notre camp' et d'entamer des travaux en vue de chercher à identifier le site.

L'énorme monticule est situé à une distance d'environ 7 kilomètres du Djebel Hamrin, tan- dis que 13 kilomètres le séparent de la pente rocheuse du Kébir Kouh. Le cours du Tib passe à 1 2 kilomètres, et celui du Douéridj à 3 kilomètres seulement. Une saignée de cette dernière rivière, qui a laissé des traces apparentes, irriguait le territoire; l'aspect de cet ouvrage permet de le considérer comme fort ancien.

La forme générale du tépé, bien qu'irrégulièrc, tend à se rapprocher d'un quadrilatère dont le grand côté, d'une longueur de 450 mètres, n'est pas exactement orienté au Nord, mais bien au N. i E. ; sa plus grande largeur est de 300 mètres environ.

De profondes ravines le creusent capricieusement en tous sens, pénétrant parfois jusqu'au novau central, sans interrompre cependant la continuité de la ligne de crête. Les massifs ainsi découpés se réunissent les uns aux autres par des sortes de chaussées qui, en certains points, n'ont qu'une très faible largeur.

On peut diviser l'ensemble du tumulus en deux parties distinctes : celle du Nord, de forme parfaitement rectangulaire, caractérisée par l'orientation N. 15° E. et celle du Sud qui, plus large que la précédente, est orientée presque exactement au Nord.

Un rempart encore nettement visible entourait le quadrilatère du Nord sur toutes ses faces. Il se présente sous la forme d'un talus aux pentes très raides ayant une hauteur variable de 4 à lo mètres. Des brèches l'interrompent par endroits correspondant aux ravins qui s'enfoncent dans le tépé. Ces ouvertures ont souvent être causées par l'action des eaux, mais, en plu- sieurs points, elles marquent, sans doute, l'emplacement des portes de l'enceinte fortifiée.

Sur la face septentrionale le rempart, dont la hauteur atteint encore 1 1 mètres, est dans un état remarquable de conservation. En son milieu, une large avenue monte en pente douce pour gagner le sommet du plateau. Celui-ci s'étend dans la direction du sud, avec une hauteur moyenne de 1 3 à 15 mètres ; une série de crêtes transversales rompt l'uniformité de sa ligne et donne les points les plus élevés du tumulus, avec les cotes de 17 et 18 mètres. Non loin du point l'avenue, dont il vient d'être question, prend naissance, une de ces crêtes arrive à la hauteur

Nord

0 5 10 20 30 W 50 Mètres kz cotes d altitude sont eiprimcei en mitres.

FiG. 95. l'ian de Tcpc Mous-M.m.

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de i8'",75. Son versant méridional côtoie deux ravins qui délimitent un massif rectangulaire d'aspect très caractéristique (A du plan). C'est que nos travaux ont mis au jour les vestiges d'un zigurat en briques crues.

Plus au Sud, après deux élévations parallèles à la précédente, le sol se régularise offrant à la cote de 13 mètres une large plate-forme qui servit d'assise à notre camp.

Au sud du camp, deux larges ravins séparent nettement les deux parties du tumulus ; celui de l'est est de beaucoup le plus important. Le rempart du quadrilatère vient, sur les deux faces, se relier par des retours à angle droit au massif central. Seule une étroite chaussée rattache celui-ci à la partie du sud.

Cette partie sud, caractérisée par une orientation différente, déborde largement, à l'est, l'ali- gnement donné par le rempart qui borne sur cette face le versant du monticule dans la région du nord.

Le versant qui regarde le ravin de séparation est curieusement découpé en terrasses de forme carrée qui s'élèvent graduellement. Par contre, le talus méridional descend abrupt vers la plaine et n'en est séparé que par une enceinte peu élevée dont le tracé circulaire s'éloigne de la configuration rectiligne du tépé. Son aspect, autant que la nature des matériaux qui le consti- tuent, nous engagent à le ranger parmi les constructions de basse époque.

Travaux a Tépé IVIoussian. La campagne, commencée le 3 janvier 1903 prit fin le 3 mars de la même année. Pendant ces deux mois i.^o hommes furent journellement employés aux fouilles ; ils étaient répartis en quatre équipes dont trois provenaient de la tribu loure de Kaïd- Khani et la quatrième de celle du Cheik Mohammed Djafar, frère du précédent.

Notre premier soin fut de chercher à mettre le camp à l'abri d'une surprise. A cet effet, un fossé de 2^,50 de large sur 2^,50 de profondeur fut creusé avec rapidité ; les terres rejetées sur le bord formaient parapet, augmentant ainsi la défense. Nous avions donné au quadrilatère qui délimitait le camp les dimensions de 35 mètres sur 215 mètres ; un étroit passage était réservé sur une face pour servir de porte.

Tout en surveillant ce travail préliminaire qui, confié à" des mains novices, exigeait notre continuelle présence, nous fîmes une reconnaissance en un point situé en contre-bas du camp et dans le ravin qui le borne sur sa face méridionale. Là, une sorte d'éperon de faibles dimensions fut coupé d'outre en outre par une tranchée de 5 mètres de largeur. Cette fouille conduite jus- qu'au niveau du thalweg ne donna aucun résultat notable ; on dégagea cependant quelques ara- sements de murs primitifs, construits en gros galets, parmi lesquels se rencontrèrent des débris de poterie peinte.

Le creusement du fossé nous avait permis de reconnaître le sol sur lequel nous étions instal- lés ; mais la faible épaisseur de la couche explorée ne nous fournit que des objets appartenant à des époques très diverses et sans enseignement d'aucune sorte. 11 y a lieu de signaler cependant une gourde en poterie peinte de grandes dimensions (fig. 96) qui, par sa facture, nous semble

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6)

FiG. 96. Gourde en poterie rouge, décor noir, 1/6 gr. nat.

postérieure à l'époque des poteries peintes que découvrirent ensuite nos tranchées à Tépé Moussian et nos fouilles dans les nécropoles voisines. Le fait qu'elle fut trouvée presque au niveau et à proximité de sépultures en jarres accolées, dont il sera parlé plus loin, vient confirmer cette opinion. Le décor se compose de trois séries de cercles concentriques noirs, partant du centre à la périphérie. Le petit cercle central circonscrit une étoile à cinq branches. Cinq traits coupent les grands cercles de chaque côté du goulot. Tous ces motifs sont peints en noir.

Au point marqué sur le plan un dallage en briques cuites fut déblayé sur 3 mètres de lon- gueur : les briques étaient toutes de forme biaise et devaient provenir d'une voûte appartenant à un monument antérieur. Ce dallage, assez irré- gulier de facture, doit être considéré comme le plancher d'une habitation de basse époque. Dès lors, il était sans intérêt d'en poursuivre le déga- gement ; du reste, nous ne pouvions sacrifier le camp qu'il nous avait fallu retrancher au plus vite pour parer aux difficultés que, dès notre arrivée, nous avions prévoir.

Deux sépultures, qu'on peut attribuer à l'époque élamite, furent rencontrées au cours de ces travaux. Le type en est connu. Suse et les nécropoles de basse Chaldée en ont fourni de nom- breux spécimens. Le sarcophage, en terre cuite, se compose de deux vases de dimensions iné- gales s'emboitant par le col. Une de ces tombes contenait, outre les ossements, une coupe d'albâtre et un anneau de bronze.

Tout en poursuivant l'installation de notre campement nous avions examiné avec soin le tumulus pour y rechercher un point d'attaque.

Parmi les débris de surface on ne trouve à Tépé Moussian aucun fragment de poterie ver- nissée caractéristique des époques parthe et sassanide ; le verre v fait également défaut. Les spécimens recueillis sur le sol se composent principalement de casscaux de poterie peinte, fine ou grossière, de vases et statuettes d'argile cuite, de broyeurs à grain, de galets ayant servi de supports de gonds de portes, et enfin de briques cuites. Ces objets, d'un cachet archaïque très accusé, se rencontrent indistinctement sur toute l'étendue du tumulus.

Au centre, une surélévation (A du plan), qui affectait une forme rectangulaire, avait attiré notre attention ; son aspect nous faisait supposer qu'elle devait marquer la place d'un temple ou d'un palais.

Ce massif haut de 16 mètres, aux arêtes rectilignes qui se recoupaient à angles droits, était orienté au N. 15" E. selon le relèvement de sa face orientale. Normalement, un ravin profond venait rencontrer le talus en un point situé à 7 mètres de hauteur. Profitant de cette disposition,

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nous résolûmes d'y ouvrir une tranchée destinée, dans notre pensée, à couper complètement cette partie du tumulus. Nous pouvions ainsi, à l'aide d'une fouille n'ayant pas un développement excessif, en étudier la structure intime sur 9 mètres de hauteur et cela au centre même du mon- ticule.

Nos ressources modestes, le manque de matériel et le peu de temps dont nous disposions nous empêchaient d'entreprendre un travail de longue haleine que nous n'aurions pu mener à bien.

Nous ne pouvions donc songer à déblayer les monuments que le haut plateau de Tépé- Moussian recelait dans ses flancs. Notre effort devait s'attacher à obtenir une coupe des étages du tumulus, et, surtout, à rechercher des documents épigraphiques pouvant permettre d'iden- tifier le site et l'origine des constructeurs de la vieille cité.

Le rectangle qui se dessinait si nettement, mesurait 20 mètres de longueur dans la direction du Nord; son autre face, plus longue, atteignait 30 mètres. Au Nord et au Sud, des dépressions en forme de cols reliaient ce massif aux régions voisines. Moins abrupt que l'autre versant, celui de l'Occident longeait une sorte de vallon dont le thalweg était à la cote de 8 mètres.

Notre première attaque pratiquée dans la partie supérieure de la face orientale rencontra, presque en surface, un pan de mur construit en briques cuites dont il ne restait qu'un arasement de G"", 60 de hauteur. Cette construction, sans grand aspect, se composait de matériaux dispa- rates : les briques appartenaient à des époques diverses ; on y rencontrait aussi des blocages faits de grosses boules d'argile; enfin elle avait subi une restauration grossière en briques crues.

Plus haut, sur le sommet, fut dégagé un dallage de briques cuites qui, lui aussi, était de mauvaise facture : il ne fut pas possible de déterminer si ce dallage et le mur faisaient partie du même monument. Cependant il y a lieu, croyons-nous, d'y voir un édifice à gradins ; mais les escaliers conduisant d'un niveau à l'autre avaient disparu.

Ces vestiges témoignaient que, dans le sous-sol, avaient existé des appareils en briques cuites, et qu'après leur ruine, les matériaux en avaient été employés pour servir à l'édification de nou- veaux monuments, qui, eux-mêmes, furent l'objet de restaurations assez frustes.

Quant au dallage, il est vraisemblablement postérieur et date, peut-être, de l'époque des murs en briques crues rencontrés en surface sur le sommet.

Ainsi l'aspect de plus en plus misérable des constructions superposées témoignait de la déca- dence qui a marquer les dernières années de la vie active à Tépé jMoussian.

Dans l'ignorance nous nous trouvions, au début, de l'importance que pouvait avoir le mur ainsi découvert, force nous fut, pour le conserver, de reporter la tranchée à quelques mètres plus au Nord. Mais là, poussée en profondeur jusqu'au niveau du thalweg, sans rien rencontrer, elle nous permit de constater que le sous-sol de la région était uniquement formé d'un énorme terrassement. (]cttc fouille fastidieuse n'amena même pas la découverte des menus débris qui se trouvent toujours en abondance dans les couches remaniées. Il semble donc que ce terrassement n'était autre que la plate-forme destinée à l'assise d'un édifice presque complètement disparu.

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Deux équipes, en même temps, attaquaient le massif , l'une au sommet, l'autre sur sa face occidentale.

Le premier chantier, conduit à travers un sol dur et compact, fut bientôt abandonné ; les travailleurs en furent distribués dans la fouille pratiquée à l'Ouest, qui, précisément, dégageait les murs d'une importante construction en briques crues.

Pour reconstituer le plan d'une partie de cet édifice, nous fîmes déblayer une série de cham- bres dont les murs subsistaient encore sur une hauteur de i mètre. La face occidentale, mesu- rant 20 mètres de longueur, était orientée au N. 7" E., tandis que les constructions existant sur l'autre versant faisaient avec la méridienne un angle plus fort: il était, comme on l'a vu, de N. 15° E. Cette remarque nous fut, par la suite, d'un grand secours pour classer, par ordre d'ancienneté, les murs qui furent recoupés à divers étages par les travaux poussés plus avant dans le tumulus.

Le monument que nous venions de dégager, portait, en effet, de nombreuses traces de restau- rations successives; mais, tandis que les unes obser- vaient exactement les alignements de l'édifice pri- mitif, les autres, appartenant sans doute à l'époque des bàtim.entsde la face orientale, reproduisaient leur orientation de N. i 5" E. Ce n'étaient du reste que des arasements sans importance, et nous prîmes le parti de les sacrifier pour ne conserver que les portions qui, plus anciennes, pouvaient concourir à la détermi- nation du plan.

Ainsi déblayé l'édifice fournit, à l'Ouest, une première série de quatre chambres se suivant en façade ; en arrière se trouvait une longue salle à laquelle succédaient deux petites pièces ; un large couloir, perpendiculaire à la direction de la façade, aboutissait en contre-bas d'un dallage qui, lui-même, s'engageait dans le massif; faute de temps nous ne pûmes explorer plus avant cette partie. Sans doute des escaliers reliaient les étages et donnaient accès à des p<jrtes dont le seuil était encore visible, mais toute trace des degrés a disparu.

Dans quelques-imes des chambres, un cordon de briques courant le long du mur indiquait le niveau du dallage ; le milieu de la pièce en était dépourvu, soit qu'il eut été défoncé en vue de rechercher les cachettes qu'il pouvait recouvrir, soit que le sol eût été primitivement en terre tassée.

Ce travail de déblaiement ne nf)us fournit aucun débris digne de remarque ; les quelques iragments de poterie qui en proviennent sont de pâte grossière et n'ont aucun caractère.

FiG. 97. Plan des constructions découvertes àTOpé Moussian (au point A du plan).

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Les angles des chambres, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, furent soigneusement explorés : aucun dépôt de fondation ne s'y trouvait.

L'exploration des murs à leur base vint cependant nous apporter un renseignement de quelque valeur. Dans l'assise inférieure du mur nous avons trouvé un morceau de brique cuite engagé à même la maçonnerie. La cote du point étant de 9 mètres environ, c'est donc plus bas qu'il faut aller chercher le niveau des constructions en briques cuites. Ces fondations contenant parmi leurs matériaux un débris de cette nature, il devient évident que les édifices en briques cuites sont antérieurs et que leur niveau doit être recherché plus bas encore. D'autre part, le grand terrassement signalé à l'Est et retrouvé jusqu'à 7 mètres de hauteur au-dessus de la plaine, rabaisse d'autant l'étage qu'il convient de leur assigner.

Avant atteint, aussi, le niveau du thalweg, il ne nous était pas possible d'aller plus profondément. Pour descendre plus bas il eût fallu procéder au creusement d'un puits, travail long et pénible qui ne fournit que des renseignements localisés dans le champ rétréci du sol exploré.

Le temps, d'ailleurs, nous manquait pour entamer un semblable travail dont le résultat était problématique.

Le déblayement de cet édifice n'avait pas duré moins d'un mois et demi ; il avait été parti- culièrement délicat, car rien n'est malaisé comme de suivre le tracé de murailles en briques crues au travers des éboulis qui en proviennent, les uns et les autres arrivant à se confondre par l'iden- tité de couleur et de consistance.

Pour atteindre le niveau très profond l'on pouvait espérer retrouver les assises des monu- ments en briques cuites il eût fallu enlever une telle masse de déblais que cette entreprise eût nécessité de longs mois et des équipes nombreuses, sans compter le matériel indispensable de wagons et de rails, dont le transport était presque impossible en raison des distances et de l'insé- curité de la région.

En outre, l'intérêt capital qui nous poussait à la recherche des monuments en briques cuites consistait dans l'espoir de trouver quelques documents épigraphiques ; mais, malgré leur nombre considérable, aucune des briques recueillies pendant les travaux ne portait trace d'inscriptions. Les textes, si tant est qu'il en ait existé à Tépé Moussian, devaient donc être très rares, et, dès lors, bien faible était la chance de mettre la main sur l'un d'eux.

Ainsi qu'on l'a vu, les points les plus bas auxquels nous pouvions atteindre étaient, à l'Est, de 7 mètres, et, à l'Ouest, de 8 mètres au-dessus du niveau de la plaine. Nous avions fait ainsi un déblai considérable, la hauteur du monticule au point d'attaque arrivant à plus de 16 mètres. Le résultat obtenu était qu'on ne pouvait espérer trouver dans cette couche que des monu- ments en briques crues; l'approfondissement de ces fouilles était, d'autre part, impossible, car, arrivés au thalweg des ravins, nous ne pouvions plus évacuer les déblais sans avoir soit à les remonter, travaillant ainsi en puits, soit en prolongeant les tranchées jusqu'aux faces du tépé et la distance, de part et d'autre, dépassait 50 mètres. Nous prîmes la résolution, à ce moment il

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ne nous restait plus que deux ou trois semaines avant la suspension des travaux, de sonder des points qui, par leur configuration, avaient éveillé notre attention.

C'est ainsi qu'une tranchée fut ouverte au point B (voir le plan i\g. 95) en vue de reconnaître le rempart à l'angle N.-E. du monticule. L'inclinaison très raide de son talus nous facilitait la besogne, et, profitant d'un ravin dont la pente faible donnait accès au pied même du mur d'en- ceinte, nous pûmes, en peu de jours, constater que celui-ci n'était formé que d'un terrassement sans doute revêtu, jadis, d'un mur extérieur de soutènement dont aujourd'hui il ne reste pas trace.

Non loin de un sondage fut poussé dans le revers d'un vallonnement des débris de briques cuites abondaient en surface. Cette recherche amena la découverte d'un four à briques de basse époque. Les produits de cette fabrication différaient notablement de la belle brique cuite dont il faut localiser le niveau entre 5 et 7 mètres au-dessus de la plaine.

En face du camp, en un point D appartenant à la partie méridionale du tumulus, nous fîmes ouvrir une tranchée dans le talus d'un ravin dont la forte pente dessinait, avec des retours en équerre, une sorte de redan. encore il n'y avait qu'un terrassement s'étageaient des lits de cendres alternant avec des radiers de gros galets. Mais, du moins, v recueillit-on de nombreux casseaux appartenant à la poterie décorée à pâte fine, des statuettes d'argiles, de menus objets votifs, tous avant un aspect très archaïque (voir le plan fig. 95).

Plus au Sud, et à peu de distance de l'angle S.-O. du tumulus, une tranchée fut pratiquée au flanc d'un plateau de i2"\6o d'élévation ; la cote du point d'attaque était de 6 mètres. Outre la configuration de l'endroit, l'abondance extraordinaire des fragments de poterie décorés qui jon- chaient les pentes du tell avait guidé notre choix (point E, voir le plan fig. 95).

Là, comme ailleurs, la coupe obtenue révélait la présence de lits do cendres et de radiers superposés, attestant les remaniements fréquents dont I épé Moussian lut l'objet. Mais, lorsque l'avance des travaux nous permit d'atteindre les couches profondes, on obtint une quantité énorme de fragments de la belle poterie fine, qui est aussi la plus archaïque. Aussi en ce point primes- nous le parti de pousser le travail en profondeur, lorsque le chantier eut rejoint le niveau du thalweg. Des escaliers, aménagés pour permettre le va-et-vient des ouvriers, assuraient le trans- port des déblais. La fosse fut conduite jusqu'à la cote de 2 ',50 au-dessus de la plaine, fournissant en abondance les échantillons les plus variés de belle céramique. Au point le plus bas, cepen- dant, celle-ci disparaissait pour faire place à quelques spécimens de silex taillé.

L'ensemble de ces travaux nous permet de suivre pas à pas l'évolution de la civilisation naissante qui se fit jour dans cette vallée de la Susiane occidentale.

.•\u ras de la plaine les premiers âges de l'humanité se manifestent par la présence du silex taillé ; bientôt, sans transition, surgit l'époque de la poterie décorée à pâte fine, la plus ancienne et la plus belle en même temps; les motifs qui s'y rencontrent feront l'objet d'une étude détaillée.

Puis apparaît, en même temps que le bronze, une céramique également décorée, mais de

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pâte et de facture plus grossières : il semble que c'est vers 5 mètres d'altitude qu'on doit localiser ce gisement qui pourrait bien coïncider avec celui de la brique cuite. Les spécimens de cette fabrication sont moins nombreux que ceux de la céramique à pâte fine ; les deux variétés se ren- contrent, cependant, mélangées à ceux de tous les étages supérieurs du tumulus.

Il est facile de fixer le niveau inférieur d'une période historique ; la limite supérieure qu'il convient de lui assigner est, par contre, malaisée à déterminer, car les débris caractéristiques qu'elle a laissés ne sont plus localisés dans une seule assise, mais se rencontrent partout dans les couches plus élevées les remaniements nombreux dont le site a été l'objet les ont successive- ment fait remonter.

L'explication en est simple : une ville étant ruinée à la suite d'une guerre malheureuse, lorsque la situation politique en permettait la réédification, on commençait par niveler les décombres afin de faire une plate-forme devant servir d'assise aux constructions nouvelles. Soi- gneusement recueillis, les casseaux, les pierres, les gravats étaient emplovés de manière à en consolider les fondations ; c'était matière précieuse, dans une région alluvionnaire. Les galets de rivières, les pierres de la montagne étaient loin du pied d'œuvre, il était plus rapide et moins pénible d'employer les matériaux trouvés sur place. Ces lits de fondation semblent avoir été l'origine des radiers que nous avons signalés et qui se montrent en strates parallèles dans presque toutes les coupes du tumulus que nos fouilles ont obtenues.

L'érosion des pentes mettant à jour ces radiers explique facilement l'abondance des cas- seaux qu'on observe en surface.

Comme nous l'avons dit, c'est entre 5 et 7 mètres de hauteur que nous croyons devoir localiser l'époque de la brique cuite. Là, peut-être, eût-il été possible de recueillir des documents permet- tant l'identification du site. Mais les transformations successives qui, au cours des âges, ont bou- leversé Tépé Moussian, ont si bien modifié son aspect qu'aucun indice ne pouvait guider nos cflForts dans la recherche de la région les constructions de cette époque avaient été établies. (Quelques-unes des constructions en briques cuites devaient être d'une architecture assez soignée à en juger par un spécimen de brique curviligne qui constitue manifestement un élément de colonne cannelée.

Nous devions donc recourir uniquement au hasard et, sous ce rapport, le hasard ne nous fut pas favorable.

A 10 mêlrcs de hauteur nous voyons apparaître les monuments en briques crues ; établis sur une plate-forme dont le remblai atteint plus de 3 mètres d'épaisseur, ils paraissent avoir fait partie d'un zigourat qui couronnait cette partie du tumulus.

L'édifice religieux, après une série de restaurations, est remplacé par un bâtiment dont l'orientation diffère ; sans doute le précédent avait subi une ruine complète. Le nouveau temple est, lui aussi, à plusieurs reprises, l'objet de restaurations. Mais il est à remarquer que, dans cette succession, l'aspect, à mesure qu'on se rapproche des sommets, devient plus misérable, témoignant ainsi d'une décadence progressive.

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Aucun débris pouvant se rapporter aux époques parthe et sassanide ne se rencontre : il est donc probable que la vie active de Tépé xA'loussian prit fin avec la période élamite.

Le tumulus s'est refusé à nous livrer son nom antique. Était-ce une ville purement militaire, ou bien une grosse bourgade de cultivateurs? Les recherches que nous y avons pratiquées nous laissent indécis à cet égard.

Nous voyons au centre de Tépé Moussian une vaste construction en briques crues, temple sans doute, du type connu en Chaldée sous le nom de zigourat. Une enceinte fortifiée entou- rait la ville qui, à cette époque, était peut-être limitée à la partie septentrionale du tumulus et afTec- tait la forme d'un quadrilatère mesurant 350 mètres sur 250. Nos travaux n'ont pas relevé l'existence d'autres édifices, bien qu'il existât sans doute un palais couronnant les hauteurs prin- cipales de la butte, au Nord du temple. Les coupes pratiquées un peu partout dans le tumulus nous ont, d'autre part, révélé sa structure, composée d'une succession de radiers, de galets, cas- seaux et gravats alternant avec de minces couches de cendres. Chacun de ces étages marquait une des crises qui, amenant la ruine de la cité, était suivie dosa réédification. Nous considérons ces radiers comme étant les fondations des maisons qu'occupaient les habitants de la ville; les cendres provenaient de l'incendie des toitures. A l'aspect de ces couches on peut juger que les demeures étaient faites en terre tassée et couvertes de chaume. Elles ne différaient guère des abris qui se groupent aujourd'hui sur les rives du Karoun et l'étude du procédé de construction employé de nos jours ne manquera pas de jeter quelque lumière sur la nature des habitations antiques.

Voici comment opèrent les riverains du Karoun pour édifier leurs chaumières. I out d abord un fossé de faible profondeur est creusé, figurant sur le terrain le plan qui a été adopté. Selon les ressources du pays on v jette, comme fondations, des pierres, des galets, des gravats ou même simplement du mortier d'argile que l'on tasse ensuite avec soin. Le mortier destiné à la confec- tion des murs se prépare en délavant de l'argile, de manière à en faire une pâte plastique à laquelle on incorpore parfois une certaine quantité de paille hachée. Ce mélange acquiert en séchant une plus grande dureté, mais la valeur que représente la paille pour ces populations pauvres, les engage à s'en passer le plus souvent ; il est vrai que l'argile, si abondante partout, est d'excellente qualité et qu'empl"vce seule elle sufiit à donner aux murailles une solidité assez grande.

Le mortier, quel qu'il soil, a\ant acquis la consistance voulue, (jn commence, sur tout le pourtour, àédifier-le mur sans dépasser une hauteur de o'\8o en\iron ; on a soin de réserver l'emplacement de la porte qui, le plus souvent, est la seule ouverture que p(jssède ce type de con- struction. On attend alors que la première assise se soit asséchée sullisamment. Lorsque, sans danger de le faire ébouler, on peut continuer l'élévation du mur, l'ouvrier y procède en construi- sant une assise pareille à la précédente, mais de hauteur un peu moindre.

Parfois un lit de galets sépare les deux premières assises ; cette particularité est fréquente lorsque la construction doit avoir une grande hauteur telle que pour les murailles destinées à

72 FOUILLES DE MOUSSIAN

servir d'enceinte aux vergers. Pour les maisons, la hauteur du mur ne dépasse pas 2 mètres en général ; il supporte directement la toiture.

Le bois faisant presque complètement défaut, la charpente est remplacée par des roseaux empruntés aux marécages si répandus dans la région ; on les réunit en faisceaux qui, courbés en forme de cintres, viennent s'appuyer par leurs extrémités sur la crête des murs. A l'intérieur de la maison, desimpies morceaux de bois, servant de colonnes, soutiennent le faîte qui n'est autre qu'un faisceau semblable aux précédents mais plus fort de diamètre. Un clayonnage, également en roseaux recouverts de chaume, complète la toiture.

Il y a lieu de supposer que ce mode de construction, imposé par la pauvreté des matériaux que fournit le pavs, remonte à la plus haute antiquité, et que les habitations qui composaient l'agglomération de Tépé Moussian ne devaient pas sensiblement différer de ce type. Dans nos coupes à Tépé 31oussian on voit, en effet, apparaître des couches les cendres se mêlent à des A'égétaux carbonisés, débris ayant appartenu à des roseaux ou à des herbes de marécage.

Ces couches, de faible épaisseur, proviennent de l'incendie des toitures qui, seules dans l'en- semble de la construction, étaient attaquables au feu. Des observations recueillies découle natu- rellement la certitude que la disposition des toitures antiques, ainsi que les matériaux qui les constituaient, étaient analogues à ceux qui, de nos jours, sont employés dans les constructions que nous venons de décrire. Quant aux murailles, on ne peut douter qu'elles ne fussent identiques aux murs modernes, à en juger par les radiers de galets, seuls vestiges dont l'écroulement des parois ait laissé la trace.

SÉPULTURES DE TÉPÉ KHAZINÉH

Les fouilles de Tépé Moussian ne nous avaient livré aucun vase entier et nous étions anxieux de nous procurer quelque spécimen de cette céramique si intéressante.

Les nomades, à qui furent montrés les fragments déjà recueillis, nous informèrent, après force questions, que, peu d'années auparavant, des poteries intactes de ce même type avaient été trouvées par eux, en un lieu tout voisin nommé Tépé Khazinèh. Cette découverte était due au creusement d'un canal d'irrigation dont le tracé était venu couper la base du tumulus. Autrefois sans dénomination, le tépé avait reçu, de ce fait, le nom de Khazinèh qui signifie, en dialecte lour, « l'endroit des cruches ».

Le tertre, d'une hauteur de neuf mètres environ, apparaît à trois kilomètres de Tépé Mous- sian, dans la direction de l'Est. A sa partie la plus élevée il est couronné de tombes musulmanes dont la présence nous interdit, en ce point, toute tentative de fouille. Il se termine, au Sud, en pente très douce par un éperon que vient entamer le canal. C'est que se porta notre attaque.

Les sépultures de Tépé Khazinèh sont d'aspect fort archaïque et de types très divers. On y rencontre, côte à côte, l'amas de cailloux roulés et la tombe proprement dite, de forme rectan-

FOUILLES DE MOUSSIAN

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gulaire. Dans cette dernière, le radier et les assises inférieures sont constitues de gros galets ; les parois sont formées de briques crues.

Le mobilier funéraire se compose de vases à figurations animales ou végétales, peintes en rouge et noir, de cruches et de supports de vases en argile jaune, sans aucune décoration, de jattes en pierre et de petits vases en albâtre, simples ou couplés. Tous ces objets sont déposés le long des parois, sans ordre régulier, pêle-mêle avec les armes.

Ces dernières, haches, têtes de lances, pointes de javelines, sont en bronze. Le métal est rare, mais habilement travaillé. Dans la sépulture en amas, avec les armes, se trouvait une fine coupe de bronze.

Nous avons également recueilli à Tôpé Khazinèh une belle hache en pierre polie.

Les ossements avaient tant souffert de l'action des siècles et des intempéries qu'ils n'ont pu fournir aucun renseignement sur le mode d'inhumation. On ne les découvrait qu'à l'état de débris presque entièrement effrités.

De la diversité des sépultures on peut conclure que le site de Tépô Khazinèh a été employé comme nécropole à des âges successifs, mais fort anciens. La simplicité du mobilier, le manque presque absolu d'objets de parure, confirment ici encore nos précédentes considérations sur la condi- tion humble de la race qui peuplait ce pays.

Les vases découverts à Tépé Khazinèh sont étudiés au chapitre de la céramique ;

on remarquera parmi eux un fragment de poterie fine â fond vcrdâtre et peinture noire. La repré- sentation est celle d'une ronde de figures humaines traitées dans le style des poteries peintes de l'époque préhistorique égyptienne. Ce fragment n'a pas été trouvé dans une sépulture ; il est d'une époque antérieure et a été amené dans la nécropole par l'érosion ou par les remaniements du tumulus.

Quoique succincts, les résultats obtenus à Tépé Khazinèh nous furent très utiles à titre d'in- dications, et nous engagèrent â explorer d'autres tertres des découvertes plus importantes nous attendaient.

50 m'"' FiG. 98. Plan de Tépé Khazinèh.

NÉCROPOLE DE TÉPÉ ALY-ABAD

Puisque le tumulus de Tépé-Kazinèh s'était prêté à l'établissement d'une nécropole, il con- venait de vérifier si les buttes de configuration semblable, plus voisines de Tépé Moussian,

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FOUILLES DE MOUSSIAN

n'avaient pas été utilisées de la même façon. La logique autorisait à supposer qu'une population relativement nombreuse avait mis à profit, pour l'inhumation de ses morts, les sites les plus proches et les plus favorables.

C'est une tradition constante que les lieux élevés soient recherchés pour les sépultures ; l'idée religieuse et le souci de préserver les tombes donnent l'explication de cette coutume. Dans la région deMoussian, plus encore qu'ailleurs, elle a sa raison d'être. Durant notre campagne de fouilles nous avons vu une grande partie de la plaine inondée parle débordement du Douéridj,

après deux journées d'averses. Si le sol peut actuellement se transformer si vite en maré- cage, il devait être souvent noyé aux époques lointaines la proximité de la mer engendrait des pluies plus fréquentes et plus abondantes encore. Pour éviter l'envahissement des eaux, on ne devait pas manquer de choisir, comme lieux de sépulture, toutes les éminences à l'abri des crues.

En conséquence de ce raisonnement, notre attention se porta, immédiatement après les fouilles de Tépé Khazinèh, sur le tumulus de Tépé Aly-Abad, très voisin de Tépé Moussian et suffisamment élevé par rapport au plan du terrain.

Ce monticule apparaît au Sud de Tépé Moussian et à une distance d'environ i 500 mè- tres. De petites dimensions, avec un relief qui ne dépasse pas 3", 50, ce tertre affecte une forme presque circulaire ; il est entouré d'une levée de terre dessinant un carré régulier. Cette enceinte, actuellement éboulée, a été tracée par les nomades du district, il y a peu d'années, afin d'abriter leurs troupeaux.

Sur les faces Est et Sud, les terres du tumulus s'étaient largement épandues sous l'action des pluies. Les pentes le mieux marquées regardaient le Nord et l'Ouest ; c'est aussi à ces points plus favorables que furent établis nos chantiers de recherches.

Les sépultures sont plus nombreuses sur les flancs que vers le centre du tépé ; mais, dans cette dernière zone, elles sont beaucoup mieux conservées et livrent en assez bon état les osse- ments qu'elles renferment. Par suite, des renseignements suffisamment précis ont pu être notés tant sur la structure des tombes que sur les modes d'inhumation. On observe, dans le tumulus, quatre types de constructions :

lÉ— ;:^

FiG. 99. Plan de Tépé Aly-Abad.

FOUILLES DE MOUSSIAN

/)

Tombe rectangulaire en briques crues, simplement comblée de terre ; ce genre de sépulture est toujours situé à une profondeur assez grande ;

Cuve rectangulaire en briques crues, fer-

: . , mée par un cintre très surbaissé, formé de ces

■^W/WW^MMMM^/M'/}}!^,^'-, mêmes briques.

FiG. loo. Tombe du type 11° 2

y Tombe à voûte ogivale, fort étroite de fond et figurant une sorte de boyau ; les maté- riaux sont en briques crues. Cette sépulture se rapproche de la surface; elle est, le plus sou- vent, d'une extrême pauvreté et ne contient même parfois que les ossements à l'état de poudre.

FiG. loi. Tombe du type 11° 3.

4M':

FiG. 102. Sépulture collective. Plan et coupe.

Enfin nous avons rencontré, à deux mètres de profondeur, un exemple de sépulture

collective. La tombe, rectangulaire et voûtée, mesurait 2 mètres de long sur i"',5o de large, avec une hauteur de o'",6o. Les deux squelettes, assez bien conservés, gisaient côte à côte, sans sépa-

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FOUILLES DE MOUSSIAN

ration médiane; pour tout mobilier, un vase de terre cuite jaune déposé prés des pieds ; ni armes, ni ornements. D'après la position des crânes, l'orientation était à peu près Est-Ouest.

Une autre sépulture du type 2 donne l'orientation Ouest-Est. Le squelette, fort complet, reposait sur la face droite, les jambes allongées, les bras infléchis, les mains ramenées sur et sous la mâchoire(i).

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FiG. 105. Tombe contenant un squelette couché sur la face droite.

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Souvent une partie des ossements fait défaut ; ils sont dispersés, sans ordre, au hasard, et

les poteries du mobilier funéraire sont dé-

posées parmi eux.

L'orientation des tombes et la dispo- sition des ossements étant variables, on ne peut rien déduire sur les coutumes d'inhu- mation.

La céramique est représentée par des vases d'une argile jaune clair, tantôt sans ornements, tantôt couverte de dessins géo- métriques et de figurations animales ou vé- gétales peintes en rouge et noir. Cette pote- rie sera étudiée en détail au chapitre de la céramique. Elle se complète par une série de jattes et de petits vases couplés en albâtre ou en pierre. Un spécimen unique mérite d'être ici mentionné. C'est un vase de terre noire, orné de figures géométriques et de pointillés tracés au poinçon ; une pâte blanche remplit les traits. L'élégance de la forme et l'effet décoratif sont très réussis. Cette poterie, d'un caractère trèsarchaïque, provient d'une sépulture pauvre et n'était accompagée d'aucun autre mobilier. Étrangère à la région, elle semble y avoir été apportée par quelque émigrant. Il en sera question plus longuement à la fin de cette étude.

FiG. 104.

Sépulture avec ossements incomplets, dispersés parmi le mobilier funéraire.

(i) Attitude de l'adoration, d'après les statuettes de bronze trouvées à Suse et les figurations des cachets archaïques.

FOUILLES DE MOUSSIAN -^

Le bronze se présente sous la forme de haches, pointes de lances et de javelines, lames de poignards (très rares). Comme ornements des épingles, des anneaux de bronze et quelques objets d'argent. Les perles de colliers ou de bracelets en cornaline et lapis-lazuli abondent à Tépé Ali- Abad. Nous signalerons aussi, parmi les ornements, un cylindre uni en hématite.

Parfois armes et ornements ne font point partie du mobilier funéraire ; ils ont été placés sur la tombe en guise d'ofTrandes. Tel est le cas notamment pour deux grandes perles oblongucs en lapis-lazuli déposées dans une jatte d'albâtre au-dessus d'une sépulture.

Tombe A. La sépulture la plus importante que nous ayons rencontrée à Tépé Aly Abad (A du plan, fig. 99) se trouvait sur le versant N.-O. du tertre. De forme rectangulaire, sans orientation précise, elle mesurait 5 mètres de longueur sur i mètre de large : sa dimension prin- cipale était dirigée au N. 55" O. En avant et sur ses longs côtés, des murs de briques crues la délimitaient, tandis que les autres parois semblaient avoir été taillées à même les terres du tumulus. Le sol, bien dressé, était fait d'argile tassée sur laquelle des vases do grandes dimen- sions étaient disposés sans ordre apparent, mêlés à d'autres objets mobiliers. Les murs de briques, dont nous avons parlé, ont été construits après que le mobilier funéraire eut été mis en place ; plusieurs de ces vases, en effet, étaient à demi engagés dans la muraille. De gros galets cou- ronnaient celle-ci par place, d'autres se trouvaient également au-dessus de la tombe qui avait été soigneusement comblée ; la terre, qui la remplissait exactement, avait pénétré partout et ne pouvait provenir d'un écroulement qui n'eût manqué de briser les vases ou du moins de troubler l'ordre assigné aux objets qui se trouvaient dans cette sépulture.

Quant au corps lui-même, nous n'en avons retrouvé que quelques ossements enveloppés dans une natte à demi consumée. On avait donc fait subir aux ossements déposés dans la tombe une incinération incomplète ; d'après la nature des résidus recueillis on peut croire que ce n'était guère que des broussailles légères de la plaine qui servirent de combustible. I']n tout cas, les vases qui garnissaient cette sépulture n'ont pas souflert de l'action du feu. Or, il n'est pas dou- teux que ce bûcher funéraire n'ait été allumé dans la fosse même, l'état de la natte ainsi con- vertie en charbon n'aurait pas permis qu'elle fût transportée d'un endroit à l'autre.

On remarquera que nous avons dit que cette natte contenait des ossements lorsqu'elle fut soumise à l'action du feu ; on n'v observe aucun résidu de décomposition des chairs et, d'un autre côté, il faut bien admettre que les ossements seuls ont été ensevelis après que les chairs avaient disparu puisque nous n'avons point le squelette entier, mais quelques os seulement pro- venant de diverses parties du squelette. Dans cette tombe le crâne faisait défaut ainsi que le bas- sin, les fémurs, tous les grands os, en somme.

D'après ce que nous venons de voir la tombe devait être postérieure au tumulus. Celui-ci à l'époque de l'inhumation affectait sans doute le même aspect extérieur qu'aujourd'hui. C'était une ruine déjà ancienne et ceci nous explique la présence de débris de la poterie fine qui est, sans contredit, bien antérieure au type de la céramique que nous ont livré les tombes.

78

FOUILLES DE MOUSSIAN

Au

-dessus de la sépulture A des traces de foyers, se trouvaient des os de bœuf ou de

mouton, semblent témoigner que des sacrifices faisaient partie du rite funéraire. Des haches de bronze furent également recueillies dans les dé- blais, sans qu'on puisse affirmer qu'elles aient eu une connexion quelconque avec la sépulture.

A peu de distance et vers le centre du tumu- lus nous avons déblayé une sorte de puits rectan- gulaire mesurant o"\8oXo",6o et construit en briques crues. Une poussière fine et très légère le remplissait à demi, provenant sans doute de la lente désagrégation des parois à travers les siècles. Il est à présumer que ce puits, qui descendait jusqu'à un niveau un peu inférieur à celui de la plaine, avait servir de silo, selon la méthode pratiquée de nos jours dans toute la Susiane. Cet usage s'est perpétué en raison des migrations an- nuelles qui, de tout temps, obligèrent les agricul- teurs à mettre en sûreté leurs réserves de céréales ; ils ne pouvaient, en effet, les convoyer avec eux dans leurs déplacements perpétuels durant la saison d'été.

La tombe se composait donc d'une fosse longue et étroite dont le sol se trouvait à environ g", 60 au-dessus de la plaine : sa profondeur dans le monticule ne dépassait pas un mètre, dans la partie qui avoisinait le talus : il est vrai que les érosions séculaires ont diminuer de beaucoup le relief actuel.

L'inventaire du mobilier funéraire permet de conclure que c'est bien le mobilier propre du défunt qui l'accompagnait dans la tombe ; on y retrouve, en effet, le seuil de la porte servant de support au gond, le broyeur à grains, les coupes, les jattes, les grands vases. Et c'est bien tout ce 1 2 aMid' que les humbles habitants qui, jadis, peuplaient

FiG. 105. Tombe A. cettc région, pouvaient posséder dans leurs mai-

sons. D'autant que ces agriculteurs, comme nous

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FOUILLES DE MOUSSIAN

79

l'avons vu, étaient des demi-nomades annuellement chassés de la plaine par la période de séche- resse qui les privait d'eau potable et de pâturage.

De grands vases posés debout étaient distribués tout le long de la fosse, sans ordre marqué; ils étaient parfois remplis de terre ; autant qu'on en peut juger celle-ci avait lentement glissé

dans le goulot demeuré ouvert; aucun résidu à l'intérieur ne permet de croire

qu'ils eussent primitivement contenu des denrées quelconques.

En pénétrant dans la tombe on rencontrait d'abord deux grandes jarres

(fîg. 105, n"' I et 2) ; plus loin venait un vase de dimensions moindres qui était

engagé à demi dans le mur de briques. Ce vase (fig. 105, n" 6), d'une facture

particulièrement soignée, servait de support à doux objets singuliers qui mé- ritent une mention spéciale (fig. 105, n°^ 7 et 8). Affectant une forme conique et clos à leurs

deux extrémités ils ne pouvaient avoir qu'un

usage décoratif ou probablement rituel. Ces

objets, que nous considérerons comme votifs,

sont en bitume incrusté d'albâtre et de cornaline;

ils se composent d'un fût cvlindrique dont les

parois ont une grande épaisseur et reposent sur

une base évasée la couche de bitume, plus

mince, est renforcée par une poterie faite à la

demande. Cette dernière est elle-même remplie

par une masse de bitume qui, par son poids, est

destiné à assurer la stabilité de l'objet (fig. 106). ^ , „,. ., Ouant à la décoration elle se compose d'élé-

FiG. 106.— Objets votifs ^ r

en bitume incrusté de ments triangulaires cn calcaire blanc. Ces trian-

calcaire blanc et de cor- . ' . ^ i j

naline; i/6 gr. nat. glcs sont disposés de manière a lormer des den- telures qui ornent le fût et la base d'une succès-

um

/

sien de bandes parallèles séparées par un mince anneau de bitume. \C ^ C

Tantôt une dentelure simple remplit la bande, tantôt celle-ci cn "■^ClS

contient deux ; en ce cas les trian<'-!es, opposés par la pointe, dèli- ,, r-- ^ r , •.

o i i i t^ liG. 107. Cônes de lona.ition, en argile

mitent une série de losanges au centre desquels est incrusté un cuite, trouvés à Suse, 1/6 gr. nat. éclat de cornaline.

Le fût cvlindrique est clos à sa partie supérieure par une rosace composée des mêmes élé- ments décoratifs.

Nous ne connaissons pas d'analogues à ces objets singuliers si ce n'est, peut-être, certains clous, ou cônes de fondations, fréquemment découverts dans les fouilles de Suse, avec lesquels on peut trouver un lointain rapprochement. La base d'un de ces cônes est percée dune série de trous, en pomme d'arrosoir. Le second spécimen ne présente qu'une seule perforation, au centre

8o

FOUILLES DE MOUSSIAN

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de sa base. Le premier est entièrement creux; l'autre est fermé à son sommet (fîg. 107). Il n'est point douteux que ces objets, rencontrés sous tous les édifices, aussi bien en Chaldée qu'en Susiane, et qui portent, souvent, des textes cunéiformes, étaient ainsi déposés dans les fondations en conformité d'une coutume rituelle dont le sens nous échappe aussi bien que la signification symbolique des objets eux-mêmes.

Quant aux cônes en bitume provenant de la tombe A, les éléments du motif décoratif qui les orne, triangles, losanges et dentelures, nous sont connus par la céramique peinte on les

rencontre fréquemment. Nous observons une disposition assez semblable dans un fragment de poterie fort archa'ique découvert à Suse. C'est une portion de vase quadrangulaire, dans lequel la décoration a été obtenue, avant la cuisson, au moyen d'incisions pratiquées dans la pâte qui est de couleur grise et d'un grain très serré (fig. 108).

Disposés avec soin contre la panse d'un vase qui leur servait d'appui, ces cônes étaient, au moment de la découverte, tordus et déformés ; ils ne tenaient plus que grâce à la terre tassée qui les soutenait. Était-ce la chaleur dégagée par le bûcher funéraire qui, ayant ramolli le bitume, les avait réduits à cet état ; ou bien encore l'action périodique des hautes températures que ramènent chaque année les étés susiens, a-t-clle été suffisante pour produire ce résultat?

En continuant l'énumération du contenu de la tombe, nous rencontrons, tout contre, un broyeur à grain (fig. 105, n" 3) ayant Fig. 108. - susc fragment de poterie ^ ( ^ j o", 3 S de large ; il présente une face concave que

archaïque, pategnse, décor incise, i/2gr.nat. ' n ' y J n r t

l'usage a poli : cet instrument est en grès de consistance moyenne, tel qu'il en existe abondamment dans la contrée.

Plus loin, dans une coupe d'albâtre assez grossière était placée une petite ampoule de même matière, ayant deux ôvidements jumelés (fig. 105, n"' 4 et 5), qui contenait des résidus de couleur verdâtre, provenant sans doute de parfum ou de fard.

Puis, en se dirigeant vers l'extrémité de la fosse, se présentaient une jarre peinte (fig. 105, n''9), un support de gond engagé dans le mur (fig. 105, 1 2), une autre jatte d'albâtre (fig. 105, n" 10) et la natte à demi consumée, qui contenait les ossements (fig. 105, n" 14). Des deux côtés de cette natte se trouvaient deux poteries (fig. 105, n°' 13 et 15), l'une placée debout comme les vases précédents, l'autre fermée par un tampon d'argile et placée le col en bas.

A un mètre au-dessus de l'extrémité de la fosse une autre sépulture fut dégagée. Elle con- tenait un squelette complet couché dans la position embrvonnairc ; on recueillit à o'",20 du crâne une_belle lame de bronze dont la soie large de o'",oi 5 était destinée à s'engager dans la hampe d'une'lance ; il v avait également dans cette tombe un support de vase sur lequel était une écuelle.

FOUILLES DE MOUSSIAN 8i

TÉPÉ MOHR

Simultanément aux fouilles de Tépé Aly-Abad, nous avons poussé des reconnaissances dans plusieurs monticules disséminés aux alentours de Tépé Moussian.

Tépé-Mohr, « la butte des cachets », nous était signalé comme renfermant des tablettes ou des cachets-cylindres. Les indigènes avaient fait de ce tumulus une sorte de magasin général pour y reserrer leur grain. C'est en creusant des silos qu'ils avaient, disaient-ils, effectué leurs trou- vailles. Mais la parole des nomades est sujette à caution et, d'autre part, on ne parvenait à nous produire ni une des tablettes, ni un des cachets ainsi découverts.

Il était certain d'avance que Tépé Mohr ne pouvait être une nécropole ; les tribus n'auraient assurément pas enterré leur orge et leur blé en contact avec des ossements humains. Restait la chance, fort problématique, de voir se confirmer une de ces fables ou légendes qui prennent corps si fréquemment parmi les indigènes, soit par l'interprétation inexacte d'un fait réel, soit par un simple effort d'imagination.

La butte de Tépé Mohr est criblée de cavités dont l'orifice étroit va s'élargissant en cloche. L'existence de ces silos facilitait la fouille qui fut menée bon train et déblaya une aire très suffi- sante. De tablettes ou de cachets nulle apparence. Ce travail ne fournit que des briques cuites, dont l'argile peu homogène, les dimensions et la facture négligée accusaient une fabrication de basse époque, fait corroboré par la présence de quelques fragments d'ornements en pâte émaillée.

Il est possible que Tépé Mohr ait été occupé par un petit poste d'observation sous les domi- nations séleucide ou sassanide.

Situé au Sud et à quatre kilomètres de Tépé Moussian, le tumulus de Tépé Morhr est, en effet, très proche des plis du Djebel Amrin, au débouché d'un passage à travers ce massif. Il se trouve à mi-distance entre la trouée de Beyat et la précieuse source d'eau douce qui porte le nom d'Aïn-Guerzan. Son site surveille la route carrossable, encore très apparente, qui reliait Ctésiphon à la Susiane et aux plaines du Pouchté-Kouh. Une fraction de tribu, moitié lourc, moitié arabe, campe annuellement en ce lieu qui, dans l'antiquité, a être habité par des pasteurs avant d'être utilisé comme point de garde.

TÉPÉ MOHAMED-DJAFFAR

C'est une faible butte, mais d'une certaine étendue, qui fait à peine saillie dans la plaine à l'Ouest et à 3 kilomètres de Tépé Moussian.

Le sol en est meuble, mélangé de cendres et d'une poudre noire produite par la combustion ou la décomposition de végétaux. Un terrain de cette nature et de cette configuration ne pouvait être adopté comme siège d'une nécropole. L'intérêt qui s'attache à Tépé Mohamed-Djaffar réside

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FOUILLES DE MOUSSIAN

FiG. 109. Racloirs et clcmcnts de fliucillcs, grandeur naturelle.

en ce que ce petit tertre a été l'emplacement d'une station préhistorique bien caractérisée, con- temporaine du silex taillé, et qui n'a jamais été réoccupée depuis lors.

Le tépé a été formé par la ruine des huttes en roseaux et branchages, ainsi que par l'amon- cellement des détritus et des résidus de foyer. Ce n'est point, à proprement parler, un kjœkken-

mœddinger, à moins que les débris de cuisine n'aient disparu sous l'action de l'humidité; mais on y trouve tous les indices d'un atelier de taille. Les roches les plus diverses ont été éclatées pour la fabrication des armes et des outils. On a recherché de préférence les pierres que leur grain, leur coloris ou leurs veinures rendaient le plus attrayantes. L'obsidienne, qui n'existe cependant pas dans cette région, se rencontre à Tépé Moha- mcd-Djaffar en éclats et en lamelles.

Nous avons trouvé ni haches, ni pointes de flèches, mais abondance de lames, racloirs et éléments de faucilles. La quantité de nucléi est surprenante. De forme presque exactement conique, ils se signalent par leur exiguïté ainsi que par la finesse des lames prélevées.

Point de débris de céramique fine, point de traces de briques, ce qui nous porte à déduire que le tépé n'a été l'objet d'aucune réoccupation depuis la période du silex taillé.

La poterie est uniquement de l'époque. Faite à la main, elle est épaisse, de couleur jaune d'ocre, rouge sombre ou brun foncé. Nous n'avons malheureuse- ment pu en récolter que des fragments.

La pâte rouge sombre est souvent lissée ; elle porte quelquefois des rehauts façonnés au pouce, des gravures très simples à la pointe et des traits en couleur d'un rouge plus foncé. On y observe des boutons d'anse avec trous de suspension. Bref, cette céramique est du type le plus archaïque. Il est regrettable que les dimensions des fragments aient été trop restreintes pour nous permettre de restituer les formes. Toutefois, les spécimens recueillis à Tépé Mohamcd-Djaffar nous ont aidés à établir, approxi- mativement, une sorte de chronologie dans la céramique.

La poterie faite à la main, avec les caractéristiques que nous venons de détailler, accom- pagne le silex taillé.

Les vases fabriqués au tour, peints en rouge et noir, avec figurations animales et végétales, se rencontrent en même temps que le bronze.

La céramique fine, d'un ton jaune ou vert clair, et ornée de peintures d'un noir brillant.

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IlEgj

FiG. iio. Petits nuclei, grandeur naturelle.

FOUILLES DE MOUSSIAN 83

serait la transition entre les âges du silex taillé et du métal ; elle débuterait à l'époque de la pierre polie dont nous avons trouvé, sous forme de hache, un fort bel échantillon à Tépé Khazinéh.

Mais une poterie si peu résistante ne pouvait satisfaire aux besoins courants ; elle dut être réservée à des usages spéciaux. Nous avons dans la fouille faite à Tépé Mourad-Abad des don- nées qui semblent justifier cette manière de voir.

TÉPÉ MOURAD-ABAD

Les fragments que l'on trouve abondamment à la surface et à l'intérieur de ce tépé se rangent dans la catégorie de la céramique fine peinte. On ne rencontre, en ce site, aucune trace des vases grossiers, à pâte épaisse, dont les casseaux jonchent le sol, un peu plus loin, sur l'emplacement du village antique au bord du Dowéridj.

Il est évident que cette poterie fine ne pouvait, en raison de sa fragilité, être transportée dans les migrations périodiques, auxquelles étaient astreintes les populations semi-nomades de la plaine de Moussian. Ces produits, si remarquables par l'élégance de la facture et le fini de la déco- ration, étaient forcément destinés à n'être employés qu'à demeure.

On peut concevoir qu'une semblable poterie ait subsisté au service des temples, dans le mobi- lier religieux, et cette supposition cadrerait avec les observations recueillies à Tépé Mourad-Abad.

La poterie fine abonde sur le point culminant qui, par son isolement et son aspect élancé, évoque l'idée d'un zigourat, ou de tout autre édifice réservé au culte et l'on ne découvre, en cet endroit, aucune trace de vases grossiers.

Il est assez naturel de supposer que cette céramique, contemporaine, ainsi que nous le pensons, de l'âge de la pierre polie, n'a jamais été que d'un usage restreint. Mais l'invention, si antique qu'elle soit, n'a pas disparu sans laisser de traces, et cette poterie de luxe a persisté dans les conditions elle n'était pas exposée à une destruction certaine.

Sans doute, en dehors des temples, quelques familles aisées possédaient-elles des poteries fines; mais celles-ci, considérées comme objets exceptionnels, ne suivaient pas le mort dans sa demeure dernière.

Il faut ici noter deux observations relevées dans les tranchées de Suse : premièrement, la poterie fine, peinte ou non, s'y trouve abondamment ; elle était très employée par la popula- tion sédentaire fixée dans une riche cité. Deuxièmement, les fragments de ce genre se décou- vrent surtout dans les niveaux très profonds, ce qui est une preuve de l'antiquité de l'invention.

En règle générale, on remarque, dans l'évolution de la céramique, après une première manifestation fort grossière et de facture primitive, une production très fine comme pâte et soignée comme décoration. Puis la matière devient moins choisie, l'habileté des procédés décroît, la variété des formes tend â disparaître, l'ornementation perd sa fantaisie et son fini pour se réduire de plus en plus, à quelques motifs communs ; enfin il ne sort plus des mains du potier que des œuvres uniformes, presque dépourvues de tout intérêt artistique.

84 FOUILLES DE MOUSSIAN

TÉPÉ FAKHR-ABAD

A onze kilomètres et au Nord-Ouest de Tépé Moussian, la haute butte de Fakhr-Abad (dans le dialecte lour Farkawa) dresse sa silhouette en pain de sucre, qui domine toute la région. L'ex- ploration de ce tépé nous a révélé la succession indiscutable d'occupations diverses. Dérivée de son lit primitif par le travail de comblement des limons, la rivière Tib est venue heurter le pied du tumulus qu'elle a largement entamé. L'éboulement des couches supérieures s'en est suivi, de telle sorte que le flanc Sud du tépé descend en falaise sur le cours du Tib. Cette disposition par- ticulière offre une excellente coupe du terrain.

A la base on retrouve la poterie fine ; aux niveaux plus élevés, des briques assez grossières et des fragments de vases épais fabriqués au tour. Enfin le sommet est ceint d'une ligne de rem- parts à l'intérieur de laquelle subsiste le tracé d'une construction. La nature et l'appareillage des matériaux, galets de rivière cimentés au plâtre, reportent manifestement ces travaux aux temps des souverains sassanides.

La position de Fakhr-Abad commande la trouée de Beyat, en même temps que la plaine, et surveille la passe de Dinar-Kouh. En raison de son importance stratégique ce point ne pouvait manquer d'être occupé militairement. Il semble, qu'après avoir été un zigourat au début, Fakhr- Abad ait été, dès la plus haute antiquité, affecté à sa dernière destination, car on ne relève aux alentours aucune ruine de village.

DESCRIPTION DES OBJETS DÉCOUVERTS

Les fouilles pratiquées au site de Tépé-Moussian et dans les tépés avoisinants n'ayant amené la trouvaille d'aucun document épigraphique, nous passerons sommairement en revue les divers objets découverts. Pour abréger, ils seront classés par ordre de matières.

La céramique fera l'objet de deux études distinctes selon qu'il s'agira des fragments recueillis dans nos tranchées ou des vases entiers qui proviennent des nécropoles et formaient part du mobi- lier funéraire.

Brique cuite. Ce genre de matériaux s'est rencontré surtout à Tépé Moussian ; nous en localisons l'étage, comme on l'a vu précédemment, entre 5 et 7 mètres d'altitude au-dessus de la plaine.

Le type le plus répandu est de forme carrée, avec 0^,35 de côté sur 0^,07 d'épaisseur. La pâte en est homogène, peu colorée, de cuisson soignée et de fort grande résistance. Ces produits sont, en tous points, comparables aux briques de la bonne période élamite, si abondantes à Suse.

Quelques échantillons de cette fabrication affectaient la forme biaise ; cette particularité indique qu'ils avaient été employés à la construction d'une voûte.

On peut en inférer que l'architecture était déjà loin des procédés primitifs et qu'une certaine recherche présidait à l'édification des monuments revêtus de briques cuites. Un autre détail con-

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firme cette observation. Nous avons, en effet, découvert à Moussian une brique qui constitue un élément de colonne cannelée (fig. 1 1 1). L'ou- verture de l'angle étant de 60°, il fallait six de ces secteurs pour parfaire le contour du fût.

Il résulte de ces observations que la voûte et la colonne entraient dans la construction et la décoration des édifices de Moussian.

A des époques plus reculées appartiennent quelques échantillons de briques en pâte claire et mal cuite, analogues à celles qui caractérisent à Suse les monuments des Patésis.

Enfin, de rares spécimens nous rappellent par leur similitude les matériaux employés aux

âges anciens de Tello. Ce ne sont plus à proprement parler des briques, mais plutôt des gâteaux d'argile, d'une. facture, d'ailleurs, assez soignée (i). L'un des plats est incurvé par la pression opérée pour tasser la pâte. La forme n'est point un carré régulier, les angles étant arrondis ; les côtés mesurent 0^,25 xo'",i25 avec une épaisseur de o'^oy.

Aux basses époques se rattachent des produits d'une fabrication peu soignée; ils sont formés d'une pâte grossière, mal cuite, et de couleur rouge foncé. Nous en retrouvons de nombreux

débrisdans les petits monticules environnants, notam- ment à Tépé Mohr.

Fig. III.

Tépé Moussian. Brique cuite. Élément de colonne cannelée, 1/5 grandeur naturelle.

Fig. 112. Tépé Moussian. Cachet en pierre, gr. nat.

L.\ PIERRE. Nul indice ne nous a montré que cette matière, dont le travail difficile exige un certain art, ait été employée dans la construction à Tépé Moussian. Nous ne l'y voyons figurer qu'à l'état de seuils de porte grossièrement dressés. Les pierres de gonds abondent, mais ce ne sont que de simples galets, tantôt creusés incomplètement en godets, tantôt perforés de part en part.

Pour les usages ménagers l'emploi de la pierre est fréquent ; nous la trouvons sous forme de broyeurs à grains, de pilons, de pesons, de fusaïoles, de grosses billes, etc. Ces objets sont trop

(i) Un passage d'Hilprecht sur des briques semblables trouvées à Nippour, dans la couche pré-Sargonide semble confirmer, par analogie, Tarchaïsme des constructions de Moussian O. B. I. Par-t II, page 24. « Somewhat below « the pavement of Naram-Sin, between the entrance to the ziggurat and the E. corner, stood an altar of sun-dricd « bricks... At a distance ofnearly 2 m. from the altar (in front of it,and i"',25 below the top), was a lowwall of bricks, « whose limits hâve not yet been found. .\pparently it marked a sacred enclosure around the altar, for it extended far « under the pavement of Naram-Sin and reappeared under the W. corner of the ziggurat. The bricks of which this « curb was built areplano-convc.xin form (length and breadth of 24,5x18 c. m.). Theyare laidin mud, seven courses « (=:45 c. m.) high ; the conve.x surface, which is curiously created lengthwise, being placed upward in the wall. »

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connus pour qu'il soit utile de les figurer ou d'en décrire la forme, du reste invariable. Nous repro- duirons simplement, à titre de rareté, un cachet en pierre, dont l'intaille est très archaïque (fig. 112).

Nous avons dit, d'autre part, combien le silex taillé est abon- dant à tous les étages de Moussian et dans les tépés voisins, spé- cialement à Tépé Mohamed Djaflfar. Percuteurs, nuclei, lames, racloirs, scies et éléments de faucilles foisonnent dans toute cette région. Les poinçons et les pointes sont plus rares ; nous n'avons point recueilli de têtes de lances, ni de flèches. Par contre les

Fig. in.— Tépé Moussian. Masse sphéroïde, , , . , , ,, r j

roche grise, 2/3 grandeur naturelle. armes de hast sout copieusement représentées sous forme de

masses et de haches. Les masses sont sphériques (fîg. 1 13) ou ovoïdes; nous n'avons point rencontré la massue réniforme qui est fréquente à Suse.

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Fig. 114. Tépé Moussian. Haches en pierre polie, 2/3 grandeur naturelle.

Les haches ont été trouvées dans les couches'^profondes, à dix mètres, avec les fragments de poterie peinte, fine ou épaisse ; elles sont, le plus souvent, par leur facture et par leurs lignes (fig. 114) la transition entre les coups de poing de l'âge paléolitique et les armes de l'époque de la pierre polie.

Fig. 115. Fig. 116.

Fig. 115. Khazinèh. Hache en pierre polie, calcaire compact rose, 1/2 grandeur naturelle. Fig. 116. Tépé Moussian. Hache marteau, pierre polie, roche verte, 2/3 grandeur naturelle.

De cette dernière période nous possédons deux pièces intéressantes. L'une est une hache très finement achevée, trouvée à Tépé Khazinèh (fig. 115); nous en avons parlé plus haut en traitant des fouilles dans cette nécropole. L'autre (fig. 116) est une hache-marteau, malheu-

FiG. 117. Tépé Moussian. Fusaïoles en terre cuite, 2/3 grandeur naturelle.

\. Conique, jaune clair, décor brun foncé. 2. Discoïde, jaune foncé, décor rouge brun. 3. Conique, jaune clair, décor brun. 4. Cru- ciforme, jaune clair, décor rouge foncé. 5. Jaune clair, sans décor, 6. Jaune clair, sans décor. 7. Conique, jaune clair, décor noir. 8. Plate, jaune clair, décor brun. 9. Conique, pâte verdàtre, décor noir. 10 et 11. Jaune clair, sans peinture, modelage et incisions sur le pourtour.

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reusement brisée, mais d'un fort beau travail; elle provient d'une tranchée en surface ouverte près de notre camp à Tépé Moussian.

Terres cuites. Quantité de petits objets se rangent dans cette catégorie. Ce sont, en premier lieu, les fusaïoles que l'on rencontre si communément dans toutes les fouilles. Le plus grand nombre ne porte ni peinture ni ornementation. Nous avons groupé à la figure 117 les types généraux soit d'une forme courante, soit des effets obtenus par modelage

ou incision (10 et 1 1), soit des décors résultant d'applications en couleurs (i, 2, 3, 4, 7, 8 et 9). Dans ce dernier genre le spécimen 4 est le plus remar- quable par sa forme. Il serait superflu de décrire ici les divers décors en cou- leurs, d'ailleurs fort simples; l'étude de la céramique peinte nous en four- nira des exemples autrement variés et réussis.

La fabrication des fusaïoles n'of- rait aucune difficulté ; celle des cornes en terre cuite n'était pas moins aisée. Aussi sont-elles également fort communes, très diverses de formes et de dimensions (fig. 1 18). On en trouve souvent à Suse qui sont munies d'un trou de suspension et devaient être employées comme amulettes. Elles représentaient donc un symbole (qui fut, plus tard, celui de l'abondance) et une idée superstitieuse s'y attachait. /^ "*^

L'art n'entre pour rien dans la confection des fusaïoles et des ffi^®^-^

cornes. Il n'en va pas de môme pour la représentation, en terre cuite, des animaux et de la figure humaine. Les spécimens que nous a fournis Tépé Moussian n'indiquent pas un niveau d'art bien élevé. Témoin le lion (?) dont nous reproduisons la rudimentaire silhouette. Des taches de peinture noire simulent le pelage; un trou de suspension traverse le corps (fig. 119). Quelques représenta- tions, plus ou moins informes, de têtes de taureau sont, avec ce lion, les uniques manifestations du savoir-faire de l'animalier.

. r 1 o 1 j T- "9' ~ P*^ Moussian. Terre cuite

Ce sont aussi de pauvres figurmes que les BcltlS de iépé jaune tachetée de noir, 2/3 gr. nat.

Moussian, elles accusent un archaïsme indéniable, mais également

un style fruste et provincial sur lequel le voisinage de Suse n'a pas réagi (fig. 120 à 126). Tantôt la tête disproportionnée s'implante directement sur le tronc d'où s'incurvent, vers les mamelles, deux rudiments de bras; les mains ne sont même pas indiquées, non plus que les pieds; les

Fig. 118. Tépé Moussian. Cornes en terre cuite jaune, 2/3 grandeur naturelle.

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jambes se rattachent g-auchement au bassin qui est étriqué, contrairement à la convention des figurines chaldéennes (fig. 120). Tantôt la coiffure n'est pas modelée; les yeux saillent, formés d'un pastillage, la bouche n'est qu'un trait incisé dans l'argile et le cou, d'une grosseur déme- surée, déborde les mâchoires (fig. 121). Tantôt les proportions sont mieux observées, mais les lignes du corps restent flous, les hanches fuyantes et les détails demeurent absolument négligés (fig. 122). Une seule tête (fig. 123) montre quelque souci de l'observation.

Fig. 125.

Fig. 120. FiG. 121. Fig. 122.

FiG. 120-125. Tcpé Moussian. Terres cuites jaune clair, 2/3 grandeur naturelle.

Deux attitudes différentes s'observent dans ces statuettes, de même que dans la série des Beltis susiennes. Ou bien la déesse offre ses mamelles, enserrées dans ses deux mains, ou bien les avant-bras sont ramenés à angle droit sur la poitrine, les mains croisées au-dessous des seins (fig. 1 24 à 1 26), geste que nous retrouvons dans la plupart des grandes statues découvertes à Suse.

Il nous reste à mentionner une petite tablette rectangulaire, en terre cuite rouge, de pâte fine, que nous considérons comme appartenant à une époque très archaïque. Elle est divisée pour les figurations en trois registres (fig. 127). Celui du haut porte quatre cercles dans lesquels est inscrite une étoile; nous y voyons des représentations astrales; celui du bas est occupé par un dessin géométrique qui peut figurer une construction. Dans le registre intermédiaire s'affrontent

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deux oiseaux. Nous pensons que l'artisan a prétendu reproduire la grosse outarde ou l'autruche.

FiG. 124.

FiG. 124-126.

FiG. 125. FiG. 126.

Ti^'pé Moussian. Terres cuites jaunes, 2/5 grandeur naturelle.

Ce longipède, que l'on confinait dans la faune africaine, semble avoir existé en Asie, aux âges reculés. Si le traducteur n'erre point, Xénophon relate qu'il pourchassa ce gros gibier dans les

plaines de l'Euphratc (i). Rien n'infirmerait, en conséquence, sa pré- sence aux temps antiques dans la région de Moussian.

Suse nous produit quantité de tablettes analogues, d'une pâte jaune clair; aucune d'elles n'offre ce genre de sujet ni de style. L'or- nementation en relief se compose, le plus fréquemment, de dessins géométriques, parfois aussi de représentations végétales. Souvent sont figurés des personnages humains dans des scènes erotiques. Les figurations animales sont exceptionnelles et se bornent aux poissons ; encore ce dernier motif peut-il être attribué, avec vraisemblance, au

FiG. 127.- Tépé Moussian. Tablette Sy"^bolisme chrétien.

en terre cuite rouge, 2/3 gr. nat. Nous citerons, pour terminer la nomenclature des objets en terre

cuite, une série de perles grossières, généralement cylindriques. L'argile crue qui, sans aucun doute, à Moussian comme partout ailleurs, était employée pour modeler des animaux et des figurines humaines, a disparu délitée par les pluies. Nous ne la retrouvons que sous l'aspect de balles de fronde, en forme d'olives.

(i) Aîiabase A. V. « Il (Cyrus) traverse ensuite l'Arabie, ayant l'Euphrate à droite et fait en cinq étapes, dans un « désert, trente-cinq parasanges. La terre, en ce pays, est une vaste plaine, unie comme une mer et pleine d'absinthe. « Tout ce qu'il y croît de plantes ou de roseaux est aromatique, mais il n'y a point d'arbres. Les animaux sont de « nombreux ânes sauvages, et beaucoup d'autruches 'ort grandes, des outardes, des gazelles. Les cavaliers poursui- « valent parfois ces animaux. v>

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FiG. 128. Tcpé Moiissian. Bronze Fragment de représentation solaire, 1/3 grandeur naturelle.

Les métaux étaient rares dans cette région. A peine avons-nous relevé quelques traces de 1er provenant d'occupations postérieures. Le cuivre ou le bronze étaient d'un usage plus courant, encore que peu répandu, pour la fabrication des armes et des or- nements. A Tépé Moussian même les fouilles n'ont exhumé que des anneaux, un bracelet (dans une sépulture formée de deux grands vases accolés), un fragment de ravon solaire (fig, 128), débris d'une représentation très connue, celle de Shamas, qui couronne fréquemment des koudourrous ou des stèles (notam- ment la stèle de Hammourabi), et dont le dessin orne la couverture

même de ce volume; et enfin la pointe d'un ciseau. Dans les nécropoles nous avons recueilli des haches, des têtes de lances et des flèches, des lames de poignards, des épingles, des bagues, des perles